FICHE DE LECTURE: LE « DISCOURS SUR L'INÉGALITÉ » DE ROUSSEAU
Publié le 25/06/2011
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Tout Rousseau est dans le discours sur l'Inégalité parmi les hommes. Ceci est un lieu commun. Je m'y résigne, parce que je le crois vrai. On en a contesté la vérité. J'y reviens parce que, contrôle fait, je le crois vrai. Rousseau trouve la société mauvaise. J'ai dit pourquoi. C'est un plébéien qui a voulu être du monde, qui en a été, qui a cru n'en pouvoir pas être, qui s'en est cru méprisé, et qui s'en venge par en médire, tout en l'adorant encore. (Remarquez que, plus tard, dans la Nouvelle Héloïse, c'est un plébéien épris d'une patricienne, aimé d'elle, trahi par elle, regretté par elle et toujours resté dans son coeur, que Rousseau mettra en scène. La Nouvelle Héloïse est le rêve d'une nuit d'été d'un maître d'études.) Pour le moment il n'en est qu'à regarder la société en son ensemble, et à la trouver horrible. Et pourtant l'homme est bon! Rousseau le sent, à se sentir, sans se bien connaître. L'homme bon, la société inique ; l'homme bon, les hommes méchants ; l'homme né bon, devenu infâme : cette double idée, sous quelque forme qu'on l'exprime, et qu'il l'exprime, c'est la pensée éternelle de Rousseau. Et il est aisé de le croire, puisque c'est son âme même. « L'homme bon «, c'est sa tendresse qui parle ; « les hommes mauvais «, c'est son orgueil. Il a répété cela toute sa vie, parce que, toute sa vie, son orgueil et sa tendresse n'ont cessé de parler.

«
toujours plus rude et un élan toujours plus disproportionné à ses forces.
— Il y a là Une immense méprise del'humanité.
Il faut que l'humanité revienne en arrière.Mais pourra-t-elle recouvrer l'état primitif ? En un certain sens, non ; en un autre oui, et mieux que cet état.
Elleétait vertueuse par ignorance, et heureuse sans le savoir.
Sa longue erreur, dont il ne faudrait point qu'elle perdît lesouvenir, lui aura servi à revenir à l'état primitif par choix, par préférence et par juste estime faite de lui.
Elle ne lesubira plus, elle y adhérera, et elle ne le vivra point seulement, elle le pensera en le vivant ; et il ne sera plus unétat seulement, mais à la fois un état, une idée et une volonté.
Et tous les précieux biens du premier âge serontretrouvés, aussi précieux, mais plus nobles, en ce qu'on en sentira le prix.
La simplicité sera mépris de l'orgueil,l'ignorance mépris du savoir, l'insociabilité mépris des vanités et des ambitions, — et l'innocence sera vertu.
C'est àce troisième état qu'il faut parvenir, qui est un progrès, et sur le second, et même sur le premier .C'est ainsi que Rousseau, tout en paraissant tourner le dos à son siècle, est de son siècle plus que personne; car sarégression est un progrès, et le plus grand que l'humanité puisse faire, et il l'en croit capable ; car sa réaction estun violent effort pour rebrousser, mais dans le dessein de revenir en avant, une fois le vrai chemin retrouvé, et ilcroit le voyage possible ; car son horreur pour la prétendue perfectibilité n'est que l'amour de celle qu'il croit vraie ;et non pas, comme les autres, il croit l'homme bon et devenant meilleur; mais il croit l'homme bon, dépravé, etcorrigible ; bon, déchu et capable de relèvement , ce qui est croire à la perfectibilité comme avec redoublement defoi et un raffinement de certitude.Et maintenant que la misanthropie de.
Rousseau et son esprit de dénigrement à l'égard de son siècle trouvent leurcompte dans ce détour, et même qu'ils ne soient pas sans inspirer un peu ce système, il est bien possible.
Maisc'est l'idée fondamentale, originale et profonde de Rousseau ; c'est tout Rousseau ; et je m'étonne qu'on en doutePasse encore si vraiment elle n'était que dans le Discours sur les lettres et les sciences et dans le discours surl'Inégalité.
Mais elle est reprise et résumée magistralement (après l'Emile) dans la Lettre à Monseigneur de Beaumontet, en la reprenant, Rousseau renvoie formellement le lecteur au discours sur l'Inégalité, dont il affirme que l'Emilen'est que la suite ; et du reste elle est dans tous les ouvrages de Rousseau (sauf le Contrat social), et de tous elleforme comme le fondement et le centre.Elle est une pure hypothèse et un roman.
Elle suppose tout ce qui est à prouver.
Elle ne tient compte des faits quepour nier tous ceux qu'on connaît.
Rousseau le dit en propres termes : « J'écarte tous les faits ».
Dès lors quereste-t-il ? Une antinomie dont un des termes est une pure invention de l'imagination.
Rousseau dit : « L'homme estné bon, et partout il est méchant.
Résolvons cette contrariété » ; comme il dira plus tard : « L'homme est né libre,et partout il est dans les fers ».
Dire : « le mouton est né carnivore ; et partout il mange de l'herbe ; expliquons ceprodigieux changement », serait aussi juste.
Ce qu'il faut avouer, c'est que nous n'avons aucune notion historiquede l'homme dans l'état de nature, et que dès lors, sans nier cet état, nous n'avons qu'à ne pas nous en occuper.
Iln'existe pas comme élément de raisonnement.
Y pousser comme à un idéal dans l'avenir serait permis ; y poussercomme à un retour et à une restauration est mettre au principe de l'argumentation un vice qui la ruine d'avance.Tout ce que nous savons des fourmis, c'est qu'elles ne vivent qu'en fourmilières ; des abeilles, c'est qu'elles nevivent qu'en ruches, et des hommes qu'ils ne vivent qu'en société.
Comme a dit Rossi, « l'homme vit en sociétécomme le poisson dans l'eau ».
Le supposer vivant autrement est une idée, du reste très intéressante, deromancier.
Le Discours sur l'Inégalité, l'oeuvre, d'ailleurs, de Rousseau où il y a le plus d'imagination, de verve,d'originalité neuve encore et fraîche et naturelle, n'est qu'une histoire de Swift à laquelle l'auteur croirait.
C'estl'Astrée de la sociologie.Aussi j'engage à le lire et ne l'analyserai point.
L'histoire de l'humanité qui y est tracée est d'un grand poète qui neserait pas très bon psychologue.
Des idées très justes, çà et là, sur la nature humaine y traversent la rêveriecontinue, puis disparaissent sans aboutir.
L'auteur n'en tire rien.
Par exemple il nous dit que tout l'homme primitif estégoïsme et altruisme, et rien de plus ; et de cette vue tout un système pourrait sortir.
Mais, ensuite, il abandonnel'altruisme complètement et attribue uniquement l'invention sociale à l'égoïsme mal entendu des foules et à latromperie de quelques habiles.
Tout cela est peu lié, peu suivi et mal fondu.
Reste la tendance générale.
Elle estcelle que j'ai dite : conviction que l'homme est, au moins, trop social : qu'il faudrait, au moins, restreindre l'étatsocial à son minimum, revenir, sinon à la famille isolée, du moins à la tribu, au clan, à la petite cité ; qu'ainsidiminueraient et la lourdeur de la tâche et l'intensité de l'effort, et l'énormité des inégalités entre les hommes ;qu'ainsi seraient atténués les besoins factices, gloire, luxe , vie mondaine , jouissances d'art ; qu'ainsi l'homme seraitramené à une demi-animalité intelligente encore, mais surtout saine, paisible, reposée et affectueuse, qui est sonétat de nature, en tout cas son état de bonheur.
— Et vous pouvez ne pas lire ce qui suit.
Sauf dans le Contratsocial (et encore!) Rousseau, de toute sa vie, n'a pas dit autre chose que ce qu'il vient de dire..
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