Fiche de lecture : Christian Baudelot et Roger Establet : Allez les filles ! Une révolution silencieuse
Publié le 31/07/2012
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Premièrement, on pourrait s’interroger sur la pertinence des études utilisées dans cet ouvrage par C. Baudelot et R. Establet. Expliquons. L’expérience de Georges Felouzis réalisée dans la région d’Aix Marseille consistait à proposer aux élèves une série d’adjectifs qu’il fallait associer soit aux hommes soit aux femmes. Les auteurs en concluent une persistance des stéréotypes de sexe. Or le simple acte du sociologue de sélectionner certains adjectifs plutôt que d’autres laisse peu de liberté de choix aux élèves. La question est de savoir si instinctivement et individuellement les élèves auraient choisi les adjectifs « faible, charmeuse, caressante « pour les filles ou si le sociologue en choisissant ces adjectifs qui renvoient aux stéréotypes incite les élèves à rester dans les conceptions traditionnelles de sexe. Deuxièmement, une question essentielle doit se poser, à savoir : Les femmes subissent-elles la ségrégation des filières et de l’emploi et les stéréotypes traditionnels où sont-elles tout de même actrices dans l’orientation de leurs études et de leur carrière professionnelle ? C'est-à-dire, les femmes ne regardent-elles pas leur propre intérêt en préférant une filière plutôt qu’une autre ? La thèse des auteurs est plutôt de dire que la socialisation, l’éducation, la société construisent les représentations féminines incitant ainsi les filles en seconde à choisir plutôt la voie littéraire que scientifique. Mais est-ce à dire que les filles ne sont pas libres de choisir, qu’elles sont conditionnées par la société ou ne font-elles parfois qu’exprimer un goût pour telle ou telle matière ? En effet, une des grandes questions qui émerge à la lecture de ce livre est de savoir si le goût des femmes pour telle ou telle filière est librement consenti ou s’il n’est que le reflet de ce que la société souhaite imposer aux femmes. Les auteurs penchent plutôt pour cette deuxième proposition. Ils expliquent à juste titre que les filières purement scientifiques (première scientifique, prépas scientifiques, écoles d’ingénieurs) se caractérisent par une plus grande compétition, ce qui incite les femmes à éviter ces filières
«
En ce qui concerne le partage des tâches ménagères vu par des lycéens de terminale, certaines tâches sont considérées comme pouvant être partagées (courses,factures, vaisselle) alors que d'autres son considérées comme relevant du domaine exclusivement féminin (ménage et lessive) ou du domaine masculin (entretien de lavoiture, bricolage).
« Mathématiques, l'égalité des compétences »Cette discipline occupe une place symbolique fondamentale dans l'univers scolaire car elle est souvent considérée comme celle qui permet de sélectionner les espritsles plus intelligents.
Le fait de découvrir une capacité moindre des filles dans cette discipline permettrait de justifier une perpétuation du sexisme.
C.
Baudelot et R.Establet vont donc, en s'appuyant sur des études quantitatives, renverser une idée reçue, encore trop répandue, de l'infériorité des filles en mathématiques.Ils se basent sur les évaluations organisées en CE2 et en sixième par la DEP (Direction de l'évaluation et de la prospective).
Il en ressort différentes observations :_les filles s'en sortent mieux en français que ce soit en primaire ou au collège (écart net entre les résultats)_ l'écart de résultats pour les mathématiques est bien mois significatif.
En CE2 les garçons ont l'avantage puis ce sont les filles en sixième puis de nouveau les garçonsen troisième._la variable de l'origine sociale est plus importante pour comprendre les écarts entre les résultats que celle du sexe, qui n'apparaît qu'en deuxième position._Suivant les exercices demandés, l'un des deux sexes a de meilleurs résultats : les exercices qui demandent une maîtrise de la vision en trois dimensions des figuresspatiales réussissent mieux aux garçons et les exercices qui demandent une maîtrise efficace de la lecture de données –tableaux, statistiques- réussissent mieux auxfilles.
« Français, la suprématie précoce des filles »Lorsque l'on observe les taux de réussite pour chaque exercice de français de ces mêmes évaluations de la DEP, la suprématie des filles est incontestable.
En CE2 leurtaux de réussite est supérieur 88 fois sur 88 exercices, en sixième 101 sur 107 et en troisième 86 fois sur 91.
Comment expliquer ces écarts de taux de réussite ?Certains exercices clivent car ils sont mieux réussis par les filles : ceux qui consistent à respecter des règles formelles (respect de la ponctuation, orthographe,conjugaison, faire les accords …).D'autres exercices ne clivent pas c'est à dire qu'ils sont aussi bien réussis par les filles que par les garçons : ceux qui consistent à évaluer la compréhension et lacommunication du sens (comprendre un mot grâce au contexte, tirer des informations d'un tableau de données, distinguer les différents sens du mot saisir etc…)Quelle est l'explication donnée par le sociologue ? Malgré la mixité à l'école, les filles et les garçons se constituent un « capital d'expériences, d'intérêts etd'orientations » différent.
Autrement dit cette supériorité des filles n'est pas due à une différence de compétences innées mais plutôt à une différence de socialisation,d'orientations (les préceptes inculqués plus particulièrement aux filles : attention aux autres, respect des règles établies).
« Maths au lycée, égalité des compétences, divergence des orientations »Un paradoxe apparaît au lycée alors que les élèves doivent choisir leur filière.
Filles et garçons atteignent le même niveau en mathématiques et pourtant uneproportion bien plus faible de filles que de garçons s'engage dans la voie scientifique comme s'il y avait une aversion des filles pour ces disciplines.
Or la voiescientifique est le lieu de formation de l'élite scolaire.
Cette situation montre le maintien des modèles traditionnels de sexe.
On peut expliquer cette contradiction partrois points qui caractérisent le modèle traditionnel qu'on leur assigne:_moindre intérêt pour ce qui touche à la science, au rationnel : elles sont moins nombreuses que les hommes à considérer les maths comme leur matière préférée (39% contre 46 %) et sont encore moins à mettre la physique au premier plan (6%)_ moindre intérêt pour la compétition : les garçons ont tendance à surestimer leurs compétences en mathématiques contrairement aux filles.
La majorité des fillesayant des difficultés en maths disent ne pas aimer cette matière alors que les garçons sont plus nombreux à dire aimer les maths malgré leurs problèmes.
Lasocialisation des garçons est différente et les pousse à aimer les maths pour être vraiment considéré comme un homme._moindre investissement strictement professionnel : les anticipations masculines et féminines de la vie professionnelle sont différentes du fait des prévisions des rôlesfamiliaux qu'ils vont devoir assumer conformément à leurs représentations.
Ainsi les garçons considèrent comme essentiel de gagner de l'argent (pour subvenir auxbesoins du foyer) alors que le souhait essentiel des filles est de trouver un emploi qui laisse du temps libre (anticipation de l'éducation des enfants).
« Sexe et origine sociale : deux régimes distincts d'inégalités »Les deux auteurs après avoir observé les inégalités scolaires dues au sexe veulent regarder le lien entre trois variables : origine sociale, sexe et scolarité.
Ils fontquelques constats :_L'origine sociale est la première variable pour comprendre les inégalités scolaires, le sexe la deuxième._Les inégalités sociales chez les filles sont moins prégnantes que chez les garçons._ Plus l'origine sociale est élevée, plus l'écart de sexe au sein de cette catégorie sociale est faible._ Les filles ont l'avantage en ce qui concerne leur socialisation scolaire : dans l'éducation traditionnelle des filles on accorde le primat à la présentation : propreté,image extérieure, soin et rangement.
Ainsi elle s'intègrent plus facilement au système scolaire : intériorisation des normes scolaires respect de leur statut d'élève,cahier bien tenu, rangement du casier etc.._les garçons ont l'avantage en ce qui concerne la compétition scolaire : dans les jeux pratiqués par ceux-ci, ils doivent mettre leur fierté, leur ego, se transformer enhéros (lutte contre les autres).
Ainsi ils sont moins intégrés que les filles au cadre scolaire (anti-scolaire, bruyants) mais cela leur permet de prendre plus de distanceavec les notes, de garder confiance en eux et de se surestimer, ce qui est très utile pour la décision du passage en S par exemple.
« Enseignement professionnel »Les auteurs tentent ensuite de relever les différences entre lycée professionnel et lycée général.
Les élèves ont une conception plus traditionnelle de la vie domestique(l'homme est le pourvoyeur, le producteur, la femme s'occupe prioritairement de sa famille).
Pourtant plus on va vers les BEP les opinions traditionnelles serapprochent de celles des lycées généraux.
Or la réussite scolaire généralisée des femmes permet à ces dernières d'accéder aux sections BEP en plus grand nombreque les hommes.
« L'école en avance sur la famille et l'entreprise »Le but des auteurs est ici de déterminer d'où vient la progression des scolarités féminines d'une part et comment elle est accueillie par la société d'autre part.Certaines variables qu'implique le développement économique aident à la progression de la scolarité et de l'emploi féminin.
L'urbanisation a entraîné la quasi-disparition de la famille productive autosuffisante (production de ses aliments, vêtements).
L'électroménager a réduit les tâches domestiques ce qui a diminué letravail domestique et permis à la femme de rentrer sur le marché du travail.
La mécanisation a transformé les emplois au profit des femmes puisque la force physiquerequise pour ces emplois d'ordinaire masculins a diminué.
La tertiarisation des sociétés a également créé de nouveaux emplois accessibles aux femmes.La progression des emplois et de la scolarité féminine ne se traduit pas nécessairement par une égalité des sexes dans l'entreprise et la famille.
Il existe uneségrégation du marché du travail entre emplois purement masculins (industrie) et des emplois purement féminins (secteur non marchand, tertiaire).
Malgré lesprogrès de la technique dans la sphère privée, le travail domestique perdure et la répartition des tâches entre les sexes n'a pas beaucoup changé (dans 84% des cas lacuisine est faite par la femme, dans 90 % des cas le lavage du linge est effectué par les femmes).
Enfin à qualification égale et dans tous les secteurs le salaire fémininest toujours inférieur au salaire masculin.
Donc l'essor des scolarités féminines ne s'est pas répercuté totalement dans la sphère familiale et professionnelle.
« Ecole famille et profession quel arbitrage ».
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