Fantasio d'Alfred de Musset (analyse détaillée)
Publié le 24/10/2018
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Fantasio. Comédie en deux actes et en prose d'Alfred de Musset (18101857), publiée à Paris dans la Revue des Deux Mondes le lei janvier 1834, et en volume dans la deuxième livraison d'Un spectacle dans un fauteuil à la
Librairie de la Revue des Deux Mondes la même année, et créée à Paris à la Comédie-Française en 1866 ; réédition dans Comédies et Proverbes à Paris chez Charpentier en 1840.
Il est probable que la pièce s'inspire d'un événement politique de 1832 : le mariage résigné de la princesse Louise, fille de Louis-Philippe, avec le roi des Belges Léopold Ier, peu aimé des Français et ridiculisé par des journaux comme la Caricature.
À Munich, où vient d'arriver le prince de Man-toue qui doit épouser sa fille, le roi de Bavière s'inquiète du caractère de son futur gendre et de la mélancolie de la princesse, pendant que devisent joyeusement trois jeunes gens de la ville, bientôt rejoints par leur ami Fantasio : celui-ci. pourchassé par ses créanciers, dégoûté de tout est en proie à une lassitude qui va l'inciter, par défi, à s'introduire au palais sous l’habit de Saint-Jean, le bouffon du roi mort la veille. En route pour Munich, le prince de Mantoue - dans le but de savoir ce que l’on dit de lui - échange ses vêtements avec son aide de camp, Marinoni (Acte I).
Attristée par la mort du bouffon qu’elle aimait la princesse Elsbeth se résout à épouser un être stupide, semble-t-il, et réprimande d'abord Fantasio pour son accoutrement trop connu d'elle : mais elle le laisse parler. Elle rencontre brièvement son soi-disant prétendant tandis que le roi souligne la sottise de l'aide de camp. Le Prince déguisé importune Elsbeth par une grotesque déclaration d’amour et Fantasio aperçoit la jeune fille pleurant sur son voile de mariée. Humilié, le Prince songe un instant à renoncer à sa fausse identité. Devant son père indécis. Elsbeth se résout au mariage afin d'éviter la guerre, ce que Fantasio va vite lui reprocher en lui déclarant qu'il a vu ses larmes. Peu après, la gouvernante apprend à Elsbeth que son prétendant officiel n'est pas le vrai Prince, que sa perruque a été soulevée par un hameçon dans la cour et que l'auteur de la farce, le bouffon, est en prison. Le Prince offensé hésite encore à se faire connaître. Fantasio, emprisonné, se félicite d’avoir sauvé la princesse. Pendant son sommeil, Elisbeth et sa gouvernante, persuadées qu’il est le Prince, viennent le contempler avec émotion ; il révèle alors son identité.
«
ment furieux d'un outrage qui visait sa personne,
vient de déclarer la guenre.
Elsbeth accepte de
payer les dettes de Fantasia et tente de le retenir dans son rôle de bouffon ; devant son refus, elle lui donne la clé de son jardin en lui demandant
de revenir parfois sous son affublement grotes
que (Acte 11).
Fantasia incarne, son nom l'indique
bien, la fantaisie, avec sa légèreté, son
impertinence, son art des pirouettes,
ses grâces ; mais très vite la fantaisie
frôle la folie : car le personnage
princi
pal prend l'apparence d'un bouffon,
d'un fou du roi, qui sera en l'occur
rence fou de la princesse (bouffon de la
princesse mais qui ne veut pas devenir
fou d'elle, précisément; car il est bien
des frôlements dans cette comédie).
Musset lisait
et aimait Shakespeare, et
Fantasia pourrait bien avoir surgi des
lectures de la Nuit des rois ou de Comme
il vous plaira.
Comme les bouffons éli
sabéthains, le jeune homme utilise une
apparence grotesque pour transgresser
les interdits sociaux : ainsi Elsbeth
est
elle souvent contrainte de l'interrom
pre quand son impertinence se rit trop
de la hiérarchie; lorsque le jeune
homme déclare qu'il fait
« plus de cas
d'une violette que d'une fille de roi >>
(1, 1), elle se rebiffe : « Il y a certaines
choses que les bouffons eux-mêmes
n'ont pas le droit de railler; fais-y
attention.
>> Fantasia, dans ce rôle qui
permet une grande liberté, n'est même
pas tenu à
une certaine délicatesse ; à
la princesse qui
s'exclame:« Tu es laid,
du
moins; c'est certain>>; il peut rétor
quer : « Pas plus certain que votre
beauté.
>> C'est que Fantasia, avant
même d'avoir endossé son habit de
fou, a balayé toutes les valeurs, atteint
le doute absolu qui l'a conduit au seuil
du néant : « S'il y avait un enfer,
comme
je me brûlerais la cervelle pour
aller voir
tout ça ! >>, a-t-il déclaré,
effleuré par l'aile du satanisme (comme
Lorenzaccio d'ailleurs,
et l'on peut remarquer
que les deux œuvres
parais
sent la même année).
Il ne s'agit plus
déjà pour lui de
se laisser prendre à la
fascination de la beauté.
Car le discours de la folie a
une fonc
tion plus noble : s'il est masque, c'est
précisément pour lever le masque.
En
un sens, il est discours de vérité, et c'est
une des réussites de l'auteur que de
donner à
ce discours à teneur philoso
phique une tonalité poétique.
Le mas
que de cette parole c'est d'abord l'inso
lite, l'énigme; quand Fantasia propose
à Elsbeth de lui offrir en cadeau de
noces
un serin empaillé qui chante
comme
un rossignol,.
il lui donne une
devinette, qui est aussi
un symbole ori
ginal, à déchiffrer : «Un serin de cour
[ ...
] comme le sont les jeunes filles qui
débitent leurs gracieusetés sur
com
mande >> (II, 5).
Et s'il nie la réalité en
prétendant rouge une tulipe bleue,
c'est pour mieux dénoncer
l'intoléra
ble: «Cette tulipe que voilà s'attendait
à être rouge, mais
on l'a mariée, elle est
tout étonnée d'être bleue >> (II, 1).
Le
discours du fou dissimule bien celui du
sage.
Mais Fantasia n'est pas un don
neur de leçons ; il dévoile ce qui est
injuste, incongru : le
s,acrifice d'une
jeune fille à la raison d'Etat par exem
ple, rien de plus.
Il parle avec légèreté
et quand il verra la vanité de ses
paro
les, il agira avec une désinvolture
déconcertante,
en accomplissant une
farce redoutable : le vol, l'envol d'une
perruque princière.
Cependant, l'amour pourrait bien
venir donner son poids à
tant de fan
taisie et la belle pourrait bien aimer la
bête (qui, dépouillée de sa peau, dans
la prison, ressemble précisément à
un
prince charmant).
La belle aimait le
fou malgré le mépris de son père (
« Le
bouffon !, un plaisant de cour bossu et
presque
aveugle!>>, 1, 1).
Le sentiment
était vrai et
c'est lui qui suscite la colère
lors de la première rencontre :
« Qui
êtes-vous pour venir parodier sous.
»
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