Éthique, l' [Baruch Spinoza] - fiche de lecture.
Publié le 08/05/2013
Extrait du document
«
seule et même chose ».
C’est que l’âme ne veut ou ne se produit comme telle qu’en tant qu’idée (percept) de l’entendement (concept), lui-même expression du « premier et unique fondement de la vertu » qu’est l’effort propre à toute chose de
persister dans son être : « Je dis qu’une chose est libre, quand c’est par la seule nécessité de sa nature qu’elle existe et est déterminée à agir ».
Comprendre, c’est aussi bien vouloir comprendre la volonté de Dieu que vouloir ce que Dieu comprend :
nous sommes d’autant plus agents dans le monde que nous sommes patients en Dieu, et inversement.
Dès lors, c’est de notre bon vouloir que dépendent les choses jugées par nous bonnes ou mauvaises, et non l’inverse.
Telles sont les conditions de
la liberté humaine comme autonomie rationnelle.
Aussi l’homme ne demeure-t-il perfectible qu’à raison de l’effort intellectuel ou autocritique consenti en vue de sa transparence intellectuelle à l’ordre divin immanent du monde : « la perfection des
choses doit être estimée seulement d’après leur nature et leur puissance », et non d’après la représentation adventice d’une fin providentielle ou paradigmatique.
Qu’il suffise donc de donner au conatus élémentaire qui gît en tout être sous forme de
persistance une représentation adéquate, c’est-à-dire consciente d’elle-même dans le désir (cupiditas), et l’on départira la joie de la tristesse selon que, respectivement, elles accroissent ou diminuent notre puissance d’agir.
L’amour et la haine,
l’espoir et la crainte ne se distinguent de ces deux affectus primitifs que par l’imagination dont ils procèdent.
Ainsi, par exemple, « l’amour est la joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure », c’est-à-dire une affection corporelle déterminée par
l’image d’un objet extérieur et donc imaginaire.
En ce sens, l’amour n’est qu’une joie imaginaire, ou une imagination de la joie.
Reste toutefois que la connaissance rationnelle peut nous affranchir de cette alternative, dont procède celle de l’amour et
la joie en tant qu’on les éprouve aussi bien successivement que simultanément.
C’est pourquoi la connaissance du bien et du mal ne nous donne qu’un pouvoir relatif sur nos imaginations comme sur nous-mêmes, de la même manière que l’image
mentale du soleil que nous percevons nous assujettit à une alternative qui trahit notre passivité.
En effet, tant que nous ne connaissons pas le soleil comme objet de l’astronomie, nous conjecturons inévitablement son éloignement ou sa proximité.
5 LE DÉSIR DE RAISON
Il n’en ira donc pas autrement s’agissant de la vie sociale, où vivre selon la raison — par nature commune à tous les hommes —, c’est fonder la société sur le désir réfléchi (ou rationnel), l’utilité réciproque et l’accord mutuel des uns et des autres.
Mais comme il ne se peut pas faire qu’il n’y ait des bons (conscients) et des méchants (inconscients), des règles de conduite s’imposent.
En outre, « l’homme qui se conduit selon la raison est plus libre dans la cité, où il vit sous la loi commune, que
dans la solitude, où il n’obéit qu’à lui-même ».
C’est que, comme il est de la nature ou de l’essence de l’homme de persister, autrement dit, de jouir infiniment de « l’exister ou de l’ esse », il ne peut trouver dans la cité que matière à exercer sa
puissance (intellectuelle) en l’éprouvant au contact de ses concitoyens, comme autant d’occasions d’asseoir son équanimité ou son égalité d’âme, et ce, à proportion de l’égalité d’être de toute chose — soit de Dieu, ou de la nature.
En effet, comme
« il n’est aucune affection du corps dont nous ne soyons capables de former un concept clair et distinct », c’est-à-dire qui ne puisse être rattaché à la série infinie des causes, alors nous sommes en mesure d’intellectualiser ou de sublimer nos
affections corporelles ou notre passivité.
L’action morale ne se réglera donc pas sur des préceptes, en définitive toujours contingents, mais sur le sentiment moral, toujours rationnel par définition.
La raison étant notre souverain bien, sera dite par là
joie ; pour autant qu’elle est la joie pour ainsi dire accompagnée de l’idée de sa propre essence, c’est-à-dire la joie jouissant d’elle-même, joie de pouvoir l’être infiniment, soit : l’amour de soi et par soi (en Dieu).
Il suit de là que nul ne peut, sans
déraisonner, haïr Dieu, non plus les hommes que la nature.
6 LE DÉSIR DU DÉSIR
C’est dire que la connaissance objective ou abstraite n’est pas encore cette connaissance dite intuitive ou du troisième genre, laquelle ne s’applique expressément qu’aux choses singulières, à leur ipséité comme mode d’être.
Dans son essence, mode
éternel de l’intellection infinie, l’âme peut être envisagée depuis et en vue de cette éternité qui ne serait pas une simple détermination négative du temps (sans commencement ni fin), mais serait de tous les instants sans en être aucun.
De même, le
corps serait irréductible à une enveloppe charnelle non plus qu’à la seule consécution des affections que l’âme imagine à tort (dans la connaissance du premier genre) ou à raison (dans la science du second genre).
Il serait comme doué d’une forme
ou d’une corporéité individuelle à laquelle correspond une idée indivise en Dieu, car elle est un mode éternel de l’étendue infinie.
C’est que le concept de division n’est pas chez Spinoza subséquent à celui de l’indivision : ils sont pour ainsi dire
contemporains l’un de l’autre car compris dans l’économie générale de l’être (ou Facies totius universi ).
Le mode se révèle être à la fin l’expression finie d’une puissance infinie grâce à laquelle « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes
éternels ».
Il nous est loisible dès lors de méditer et de contempler, à proportion de notre persistance, l’ordre des réalités éternelles, puisque « notre âme est un mode éternel du penser, qui est déterminé par un autre mode du penser, et celui-ci, à
son tour, par un autre, et ainsi de suite à l’infini » : cette réverbération révèle l’affinité infinie des modes finis.
L’intelligence des choses par le tiers genre de connaissance — « suprême effort de l’âme et sa suprême vertu » — conduit alors à l’amour
dit intellectuel de Dieu, pur exercice d’intellection pour ainsi dire naturante. C’est ainsi que l’homme, comme mode naturé ou déterminé, se déduit comme réflexion à la seconde puissance.
Non pas cependant comme les propriétés d’une figure
géométrique se laissent déduire de sa définition ; pourquoi ? Parce que, si « un effet est le plus parfait de tous, s’il est produit immédiatement par Dieu », alors l’affinité intellectuelle (du mode) et l’intelligibilité infinie (de la substance) ne s’entendent
plus en termes de définition (puis de déduction) mais de manière congénitale, co-naturelle ou co-native ; voilà pourquoi nous pouvons accéder à la béatitude, ou contentement de soi dans l’ aquiescentia in se ipso. De ce que la sagesse ou le salut soit
« ardu qui est atteint si rarement », et ne soit pas « à portée de main et accessible sans grand effort », Spinoza ne s’est point ému : il se sera contenté de « fixer le vertige » de l’éternité, en produisant l’une des plus grandes œuvres qui ait jamais été
écrite : soit, une de ces belles choses dont il conclut lui-même qu’elles sont « difficiles autant que rares ».
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