ESSAIS, de Montaigne

ESSAIS, de Montaigne (1580, 1588, 1595). Ce n'est pas sa seule publication, mais c'est le seul livre que Montaigne ait écrit. La plupart des écrivains, dit-on, passeraient leur vie à refaire, sans le savoir, un livre qui serait toujours le même. Mais c'est d'une manière beaucoup plus littérale qu'il y a lieu de dire, au sujet de Montaigne, qu'il n'a écrit qu'un livre : tout ce qu'il a écrit est, en effet, venu se déposer sur le registre unique des Essais.

Montaigne, c'est un cliché, fait profession d'« ondoiement » et de diversité. Il s'adonne avec plaisir à la digression, à la palinodie, il n'y a pas de métamorphose qui ne le tente. Ce négligé n'est pas totalement étranger au style de composition d'une époque qui faisait plus confiance à l'accumulation qu'à l'analyse argumentative. Il n'en résulte pas moins une véritable difficulté à assigner un sujet à ce livre qui parle à peu près de tout. Quel est le centre des Essais ? Selon les uns, ce serait la nature humaine ; selon d'autres, moi, Michel de Montaigne. La première de ces réponses reste malgré tout un peu vague (et peu importe, ici, qu'elle s'appuie sur des déclarations expresses de l'auteur : il n'y a pas de moulin auquel il n'ait apporté d'eau), d'autant plus vague que la seule définition qu'il propose de cette nature consiste à affirmer qu'il n'y a rien dont l'homme ne soit capable. La seconde réponse, au contraire, serait trop étroite : sans doute Montaigne est-il, comme il le dit, la matière de son livre, mais il n'en est pas l'unique ou ne l'est pas de manière égale en chaque endroit de ce livre. Les Essais ne sont pas une autobiographie. Ils n'avaient pas même l'ambition, quand l'auteur en a commencé la rédaction, d'être ce que Michel Beaujour