Égarements du cœur et de L'ESPRIT (les) ou Mémoires de M. de Meilcour de Crébillon
Publié le 22/10/2018
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Égarements du cœur et de L'ESPRIT (les) ou Mémoires de M. de Meilcour. Roman de Claude Prosper Jolyot de Crébillon, dit Cré-billon fils (1707-1777), publié à Paris chez Prault (t. 1) et à La Haye chez Gosse et Neaulme (t. 2 et 3) en 17361738.
Crébillon, fils indigne en l’occurrence, « regardait la tragédie française comme la farce la plus complète qu'ait pu inventer l'esprit humain »
(L.-S. Mercier, Tableau de Paris, 1781). Il s'adonna donc au roman, conçu comme genre expérimental dont il explore les ressources. Entre l'Écumoire (1734), conte de fées érotico-comique, et le Sopha (1740), les trois premières parties des Egarements, chef-d'œuvre -en apparence inachevé - du roman d'initiation, confirment son impressionnante virtuosité formelle.
Première partie. Meilcour, âgé de dix-sept ans. héros naïf, mais narrateur ironique, voudrait aimer, sans savoir comment paralysé qu'il est par le respect des femmes et la timidité. Une amie de sa mère, Mme de Lursay. fausse prude de quarante ans, se propose de l'initier, mais son ingénuité, bien plus que la rencontre d'une fascinante jeune fille, l'empêche piteusement de saisir l'« occasion » qu'on lui offre dans toutes les règles de l’art C'est alors que le comte de Ver-sac, parangon des libertins, lui révèle le passé de Mme de Lursay et son manège.
Deuxième partie. Ne la craignant plus, mais ne la désirant que davantage. Meilcour s'apprête à un coup de libertin : profiter de sa tendresse pour aussitôt lui montrer son mépris. Nouvel échec, faute de connaître les «gradations»! L'arrivée de Mme de Théville avec la jeune inconnue qui n'est autre que sa fille, Hortense, de Versac, de Mme de Senanges (« tableau de corruption qu'on ne peut regarder sans horreur »), décide de son sort : il aura « le malheur de devoir [son] éducation », non à la tendre et encore belle Mme de Lursay, mais à cette « coquette délabrée », « une de ces femmes philosophes. pour qui le public n'a jamais rien été ». « une femme sans mœurs, sans beauté, sans jeunesse».
«
l'indiffé rence le soul age d'abord, puis l' irrit e ju s qu'à l'i ndig na tion méprisante.
Il décide de rest er pour lui dire son fait et jouir de sa confusion.
Mais la conve rsation ne toume évide mm ent pas à son avant age.
et la tendre confession de Mme de L urs ay le rend enfin au ssi coupa ble q u'il pouvait l'être et aura it d O l'être dep uis longtemps.
Sa « victoire » ne combl e pas le vid e de son ame.
tendu e vers Hortens e : et pourtant.
lorsqu'il quitt e Mme de Lursay au lever du jour.
il lui pro met de rev enir dè.s le lende main.
Dans sa Préface ironique et polémi
que, Crébillon s'en prend, comme tous
les romanci ers des Lumières, aux
romans remplis
d'« événements extra
ordinaires et tragiques, qui enlèvent
l 'imagination et déchirent le
cœur[ ...
].
Plus de morts imprévues, et infiniment
moins de souterrains
,.
(voilà pour le
Cleveland de Prévost !), mais place au
"tab leau de la vie humaine», utile et
amusant, où
« l'h omme verrait enfin
l'homme tel qu'il
est», dan~ ses vices
et ses ridicules ordinaires.
D'où ce
résumé des
Égarem ents : " On verra
dans ces Mémoires un homme tel
qu'ils
sont pre sque tous dans une
extrême jeunesse, simple d'abord et
sans a
rt, et ne connaissant pas encore
Je monde où il est obligé de vivre.
La
première et la deuxième partie roulent
s ur cette ignorance et sur ses premières
amours.
C'est, dans les suiva
ntes , un
homme plein de fausses idées, et pétri
de ridicules, et qui y est moins
entraîné
encore par lui-même, que par des per
sonnes intéressées à lui corr omp re le
cœur.
On le verra enfin dans les derniè
r
es, ren du à lui-même, devoir toutes
ses vertus à
une femme estimable.
»
Projet avorté ou Jeurre d'avant-texte?
On voit que Crébillon ne semble avoir
éc rit que
Je premier volet de cette auto
biographie, qui devrait conduire le
héros-narrateur de l'ignorance à
l'er
reur , et de J'err eur à la vérité.
Mais les
deux autres phases sont
en réalité bien
là .
La seconde à travers les actes et Je
grand discours de Versac (deuxième partie),
terrible initiation au monde,
bien plus impitoyable
que celle de
Vautrin, parce qu'elle ne promet qu'un
désabusement glacé, une terrifiante
destruction de toutes les valeurs
et de
tous les élans (rien n'en donne mieux
l 'image, fantastique mais vraie, que
l'enfer terminal
du Vathek de
Beckford) .
La dernière à travers le point
de vue du narrat eu r, qui juge à la fols,
comme des expé riences dépassées et
trompeuses, sa
naï veté juvénile et sa
pratique libertine imitée de Versac.
Force est de con
sta ter que seules
l 'ingén
uit é (relative !) et la corruption
( abso lu
e) donnent matière à l'écritur e
r omanesque.
La morale ne peut
qu'informer les jugements rétrospectifs
du narrateur,
dont on ne sait même
pas
à quelle « femme estimable ,.
(Hor
tense ?) il doit d'être " rendu à lui même "· Et qu'est-ce que ce «lui
même " prétendument originel et
authe ntique , que l 'on voit constam
ment en porte -à-faux, partagé entre
l 'objet d'amour Insaisissable
(Hor tense), l'objet de désir réel et décevant
(Mme de
Lurs ay), et l'objet répugnant .
prescrit par le code libertin (Mme
de Senanges)? L'ambiguïté s'accroît
quand
on constate que le narrateur
décrit longuement ce
qu 'il commente
comme une occasion manquée (la liai
son avec Mme de Lursay), et rejette
« dans la suite " inconnue du roman sa
r elation avec Mme de Senanges, à qui
il
eut, dit-il, « le malheur de devoir [son]
éducatio n ».
Malheur Inévitable, puis
que l'initiation au monde passe par
Versac, et donc par Mme de Senanges,
mais
qui suppose que la dernière
phrase des
Égarements dit le contraire
de ce qu'elle semble dire :
" Grâce aux
bienséances que Mme de Lu rsay
obser
vait sévèrement, elle me renvoya enfin,
et
je la quittai en lui promettant,
malgré mes remords, de la voir le
len
demain de bonne heure, très déter
miné de plus à lui t eni r paro l e.
,.
Tout.
»
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