Égarements du coeur et de L'ESPRIT (les) de Crébillon fils (analyse détaillée)
Publié le 22/10/2018
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se passe donc comme si un mixte instable et indécis d'insatisfaction dans le désir, de nostalgie de l'amour idéal, et d'admiration pour Versac (c'est-à-dire pour la société), avait mission de le jeter des bras désirables et somme toute décents de Mme de Lursay dans ceux, corrompus et délabrés, de Mme de Senanges ! Comme si ce récit prétendument placé sous le signe d'une vertu retrouvée supposait qu'il n'est pas d'initiation au monde sans l'expérience du pire.
L'agencement du récit et des phrases, le mensonge toujours déplacé des mots (seul Versac, impitoyable éducateur, ne ment pas quand il dresse son disciple à la dure loi du réel), l'enchevêtrement des désirs et des normes chez le héros-narrateur, le soigneux effacement de l'auteur, l'oscillation constante du ton entre l'ironie, la gravité, l'émotion et la répulsion, tout contribue à entretenir cette fameuse ambiguïté, dont conviennent tous les lecteurs modernes de Crébillon. Reste une constatation irrécusable : le libertinage des Égarements, donné comme le code social de l'aristocratie, c'est-à-dire, au double sens, restreint et théologique, du mot, comme loi du monde, ressemble à un enfer. Un enfer maquillé en boudoir, où tous les mots font mal, sauf en un fugitif vertige des sens.
«
l'indifférence le soula ge d'abord, puis l'irrit e ju s qu'à l'i ndig natio n méprisante.
Il décide de rest er pour lui dire son fait et joui r de sa confusion.
Ma is l a c o nv ers ation ne toume évide mm ent pas à son avant age .
et la tendre confes sion de Mme de Lurs ay le rend enfin au ssi co up abl e q u'il
pouvait l'ê tre et aura it d O l'être dep uis longtemps.
Sa « victoire » ne combl e p as le vid e de son ame.
tendu e vers Hortense : et pourtant.
lorsqu'il
q uitt e M me de Lursay au lever du jour.
il lui pro met de revenir dè.s le lende main.
Dans sa Préface ironique et polémi
que, Crébillon s'en prend, comme tous
les romanci e
rs des Lumières, au x
romans remplis
d'« événements ex tra
ordinaires et tragiques, qui enlèvent
l ' ima gination et déchirent le cœ ur[ ...
].
Plus d e morts im prévues, et infiniment
moins de sou terra
ins ,.
(voilà pour le
Cleveland de Prévost !), mais place au
"tableau de la vie humaine», utile et
amusant, où
« l'h omme verrait enfin
l'homm e tel qu'il est», dan~ ses vices
e t ses ridicules ordinaires.
D'où ce
rés umé des
Égarem ents : " On verra
dans ces Mémoir es un h omme tel
qu' ils so nt presque tous dans une
extrême jeunesse, simple d'abord et
sans a
rt, et ne connaissa nt pas en core
Je monde où il est ob ligé de vivre.
La
première et la deuxième partie roulent
s ur cette ignoran ce et sur ses premières
amo urs.
C'est, dans les sui va
ntes , un
homme plein de fausses idées, et pétri
de ridicules, et qui y est
mo ins entraîné
encore par lui-même , que par d es per
sonnes intéressées à lui co rr o mpr e le
cœur.
On le verra enfin dans les derni è
res, rendu à lui-même, devoir toutes
ses vertus à
une femme estimable.
»
Pro jet avorté ou Jeu rre d'avant-texte?
On vo it que Crébillon ne semb le avoir
éc rit que
Je premier volet de cette auto
biographie, qui devrait con du ire le
h éros-narrateur de l'ignora nce à
l'er
reur , et de J'err eur à la vérité.
Mais les
d eux autres phases sont
en réalité bien
l à .
La seconde à travers l es actes et Je
grand discours de Versac (deux ièm e pa
rtie), terrible initiation au monde,
b ie n plus impitoyable
que celle de
V autrin, parce qu'elle ne promet q u'un
désabusement glacé, une terrifiante
destruction de toutes les va leur s
et de
tous les élans (rien n'en donne mieux
l 'im age, fantastique mais vraie, que
l 'enfer terminal
du Vathek de
Bec kford).
La dernière à travers le point
de vue du narrat eur, qui juge à la fol s,
comme des exp ériences dépassée s et
trompeuses , sa naïve té juvénile
et sa
pratiqu e lib ertine imitée de Versa
c.
Force est de con stater que seules
l 'ingén
uit é (rela tive !) et la co rruption
( abso lu
e) donn ent matière à l'écritur e
r omanesqu e.
La morale ne p e ut
qu'informer les ju gem ents rétrospectifs
du narr ateur ,
dont on ne sait mêm e
p
as à quelle « femm e es timable ,.
(Hor
te n se ?) il doit d'être " rendu à lui même "· Et qu'es t-ce que ce «lui
m ême " prétendument originel et
authe ntique , que l'o n voit constam
m e
nt en port e-à-faux, partag é entre
l 'obj et d'amour Insaisissab le
(Hor tense), l'objet de désir réel et décevant
(Mme de
Lurs ay), et l'ob jet répugnant .
prescrit par le code libertin (Mme
de
Senanges) ? L'ambiguïté s'a cc roît
qu and
on constate que le narrateur
d écr it longuement ce
qu 'il comm en te
comme une occasion m anq uée (la liai
son avec Mme de Lursay), et rejette
« dans la suite " inconnue du roma n sa
r elatio n av ec Mme de
Senanges, à qui il
eu t, d it-il, « le malheur de devoir [son]
éducatio n ».
Malheur Inévitable, puis
que l'initiation au mo nd e pa sse par
Ve rsac, et donc par Mme de Senanges,
mais
qui suppose que la dernière
phrase des
Égarements dit le co ntraire
de ce
qu'e lle semble dire : " Grâce aux
bienséances que Mme de Lu rsay
obser
vait sévèrem ent, elle me renvoya enfin,
et
je la quittai en lui promettant,
m algré mes remords, de la voi r le
len
demain de bonne heu re, très déte r
miné de plus à lui t eni r pa ro l e.
,.
Tout.
»
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