Don Quichotte [Cervantès] - fiche de lecture.
Publié le 01/05/2013
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«
- le retour au village et la mort (73-74).
La reprise du schéma en cinq parties cache une plus grande complexité, due à la présence de deux épisodes qui dominent la séquence (désormais à chaque fois scindée en deux) de l’errance : d’une part, la grotte de Montesinos, de l’autre le triomphe
de Barcelone, qui prennent la place antérieurement réservée au monde de la pastorale.
Cette dernière est toujours présente en tant que tentation, mais, désormais, la réflexion portera avant tout sur la littérature comme production ( cf.
la visite de
l’imprimerie) d’une illusion ( cf.
le théâtre et son rôle, avec Maître Pierre ou durant le séjour chez le duc et la duchesse).
5 UNE ŒUVRE POLYSÉMIQUE
Le succès de Don Quichotte, quoique immédiat, considérable et à l’échelle de l’Europe, se révèle à la limite du malentendu, puisqu’il repose sur une lecture univoque du livre : la parodie burlesque des romans de chevalerie dont raffole alors l’Europe.
Il va de soi que Don Quichotte est un livre comique, voire bouffon, qui achève le mouvement de dérision et de détachement des valeurs médiévales (chevalerie et prouesse) déjà amorcé par la littérature italienne de la Renaissance (voir le Roland
furieux de l’Arioste).
S’explique alors fort bien le reflux de cet engouement au XVIII e siècle, un siècle qui ne peut goûter ce qui ressemble par trop à une « bouffonnerie », jugée au final assez grossière.
C’est aux romantiques que l’on doit ce mouvement de retour au Quichotte : ils soulignent en effet de manière préférentielle le conflit entre l’idéal et le réel, l’impossibilité de vivre selon ses aspirations et exigences et selon sa soif d’absolu dans un
monde jugé si médiocre.
Don Quichotte passe ainsi pour un grand incompris : à l’image de l’albatros baudelairien, il est le symbole de la conscience malheureuse et la personnalisation même de la solitude à laquelle est condamnée toute âme éprise
d’idéal.
Le rêveur égaré dans la littérature chevaleresque rejoint le bovarysme de ceux qui préfèrent les livres à l’expérience — décevante — de la vie quotidienne.
Sans être fausse, cette lecture — comme toute lecture systématique de cette œuvre
polysémique —est passablement réductrice.
Au XXe siècle, le structuralisme aide à restituer le roman dans son contexte épistémologique ( cf.
Michel Foucault, les Mots et les choses, chapitre III).
Le recours aux similitudes et aux analogies était un des modes de fonctionnement de la pensée au
XVIe siècle; or, « Don Quichotte n’est pas l’homme de l’extravagance, mais plutôt le pèlerin méticuleux qui fait étape devant toutes les marques de la similitude.
Don Quichotte dessine le négatif du monde de la Renaissance ; l’écriture a cessé d’être la
prose du monde ; les ressemblances et les signes ont cessé de nouer leur vieille entente ; les similitudes déçoivent, tournent à la vision et aux délires ; les choses demeurent obstinément dans leur identité ironique : elles ne sont plus que ce qu’elles
sont […].
L’écriture et les choses ne se ressemblent plus […].
Les mots viennent de se refermer sur leur nature de signes ».
Dès lors, Don Quichotte, ignorant cette mutation, va passer pour fou : « c’est celui qui s’est aliéné dans l’analogie.
Il prend les
choses pour ce qu’elles ne sont pas, et les gens les uns pour les autres ; il croit démasquer, il impose un masque […].
Il n’est le Différent que dans la mesure où il ne connaît pas la Différence ; il ne voit partout que ressemblances et signes de la
ressemblance.
»
Une telle réflexion permet de situer l’enjeu de l’œuvre de Cervantès : la nostalgie du monde de transparence idéale du Moyen Âge et de sa cohérence est interrogation sur la possibilité qu’a l’esprit de comprendre le monde.
En même temps, on assiste
à une remise en cause du statut de la littérature : cette dernière, comme la conscience individuelle, suscite un monde, le recrée et l’interprète.
Que peut la littérature ? Le lecteur de Cervantès doit savoir mettre en parallèle l’aventure de l’imaginaire
et l’aventure de l’écriture pour mieux découvrir l’extraordinaire laboratoire d’expérimentation du roman qu’est devenu le Quichotte aux yeux d’un lecteur du XXe siècle.
Ce lecteur qui a suivi l’aventure du réalisme et la renaissance de la nouvelle au
XIXe siècle, puis la mutation proustienne, où l’œuvre devient son propre sujet (le work in progress de Joyce).
À la manière du récit picaresque, le parcours de Don Quichotte est une quête, qu’il faut lire comme métaphore de la découverte de soi.
Dans
les deux cas, il y a une constitution progressive du moi dans l’affrontement avec le monde.
Dans le roman picaresque, cependant, il n’y a qu’une seule conscience en jeu ; ici, la conscience centrale est double, c’est celle du couple maître-valet.
Le
roman trouve sa forme dans la réunion-séparation de deux consciences qui interfèrent constamment l’une avec l’autre, au point de devenir indissociables, de complémentaires qu’elles étaient à l’origine.
S’il y a histoire d’une conscience,
paradoxalement, elle ne passe pas par l’emploi de la première personne, mais par la dialectique d’une confrontation permanente entre Don Quichotte et Sancho Pança..
»
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