DÉSERT DE L'AMOUR (le). Roman de François Mauriac (analyse détaillée)
Publié le 24/10/2018
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DÉSERT DE L'AMOUR (le). Roman de François Mauriac (1885-1970), publié dans la Revue de Paris en 1924, et en volume chez Grasset en 1925. Grand prix du roman de l'Académie française 1926.
Trois ans après le Baiser au lépreux, deux ans après Genitrix, le Désert de l'amour consacre le succès de Mauriac : il lui vaudra en effet, outre le grand prix du roman de l'Académie française, les félicitations de la critique la plus
exigeante (Jacques Rivière par exemple), et - enfin ! - d'être considéré par ses proches comme un véritable écrivain. Le Désert de l'amour confirme la cohérence de l'univers mauriacien, tout en l'engageant sur de nouvelles pistes qu'exploreront plus avant Thérèse Desqueyroux et le Nœud de vipères.
Soir de désoeuvrement dans un bar parisien. Raymond Courrèges, trente-cinq ans, voit apparaître au bras de Larouselle, un notable bordelais, une femme qui l'a jadis « humilié » : Maria Cross, à présent âgée de quarante-quatre ans (chap. I ).
Les souvenirs affluent, ceux d’une adolescence tourmentée au sein d’une famille où régnait l’incompréhension ; le père, le docteur Courrèges - dont le lecteur pénètre aussi progressivement le passé -, considéré comme un « saint », était secrètement miné par sa passion pour Maria Cross, une femme déjà entretenue par Larouselle, qui ne voyait dans le médecin qu’un respectable « directeur de conscience » (2-3). À son insu, son fils Raymond a fait la connaissance de Maria ; une liaison s’est esquissée, un rendez-vous fut fixé (4-7). Épouvantée par la « puissance corruptrice» qu’elle pensait être sienne, Maria essaya d’annuler la rencontre ; cette dernière eut pourtant lieu, mais resta innocente. La passion de la jeune femme s’exacerba alors, alimentée par le silence de Raymond — averti qu’on doit laisser une femme « cuire dans son jus » -, mais se brisa brusquement lorsque le jeune homme, trop sûr de lui, tenta de la foncer (8-9). Le soir même, pourtant le docteur était appelé au chevet de Maria qui, après une mauvaise chute (volontaire?), était en proie au délire (10). Retour au présent et au décor parisien : Raymond et Maria, devenue Mme Larouselle, se retrouvent face à face Resurgissent la fascination et la maladresse de l’« adolescent honteux » d’autrefois ; de son côté, elle, n’est qu’agacement et indifférence. Indifférence qui persistera alors même que Raymond devra l’aider à raccompagner Larouselle, qui s’est blessé dans son ivrognerie, et appeler son père, de passage à Paris. Père et fils s’en reviennent par le même taxi, songeant à « cette Maria» qui les a pourtant presque éconduits. Le docteur conseillera à Raymond, dont il pressent le désarroi sans en connaître tous les fondements, de se marier au plus vite et de trouver l’apaisement « au plus épais d’une famille » (11-12).
«
Mauriac, préfaçant l'éditio n de ses
Œuvres complètes en 1950 , range le
Désert de l'amour au sein d es ou vrages
inspiré .s par
" cette espèce de rancœur
que la vie de fami lle avait accumulée
en
[lui] '"· De fait , parents en tre eux,
par e nts et enfants, frère et sœur ne par
viennent ici même pas à s'éco uter,
encore moins à s'en tend r
e.
Le docteur
est
l'« emmuré vivant ,.
le plus pathéti
qu e, ma is tous les personnages se trou
vent re nvoyés à leu r solitude.
Le
tableau n'a cependant pas la noirceur,
le cyn isme de certai ns ouvrages
ulté
rieur s, car il est évide nt qu e ces êtres
souffrent intenséme
nt de leu r situa
tion ; la mèr e de Raymond, cette " pau vre femme ,., est ainsi touchante dans
son étroitesse d'es prit,
sa maladresse
même.
S'impose également, quoiq ue
fragile et informu l
é, le lien de ten
dresse qui unit le père et le fils; par
d eux fois,
celui -ci « épargne » celui-là,
en taisant son intimité avec Maria
C ross.
Si incommunicabilité, si « désert " affectif il y a, ils ne sau raient alors être
attribu
és exclusivement à l a « cage " famili ale.
Que penser , sinon, de ce
tri ste noceur, Larouselle, personnage
p lus complexe qu'il n'y paraît sans
doute
? Que penser surtout de cette
autre figure solitair e, Maria Cr oss,
enfe rm ée dans un isolement " dont la
plu s tendre famille
ne l'eût pas déli
vrée»
(chap.
9)? A vec elle au ssi père et
fils Cou rrèges établisse nt des r ela tions
frapp ées
du sceau de l'incompréhen
sion.
«Cette Maria Cross" mérite d'ail
leurs to u te l'attention ; conçue, de
l'ave u même de l'aute
ur, comme une
ébauche de Thérèse Desqueyroux, elle
est
en e .ffet la première héroïne mauria
denne à s'éprouve r frappée de « mal é
diction,., à être la proie d 'un obscur et
cahot ique combat intérieur :
« En moi,
il n'est pas d'inte rva lle entre le plaisir
e t le
dégoiit », co nstate-t-ell e am è re
ment (chap.
10).
Le personnage éveille
ici ou là des échos pascaliens dont on
ne sera pas surpris.
La composi tion du roman do nne un
relief saisissant au male nte ndu fonda
mental entre les êtres.
Par-de là la pré
servati on du " secret ,.
( le docte ur
igno re les re lation s entre Maria et son
fils; celui-ci ne sau ra jamais que Maria,
jadis, a reche rché la mort ; Maria serait,
quant à elle, stupéfaite de connaî tre le's
sentimen ts réels du docte ur à son
égard) ,
il convient de saluer l 'ha bile
mo
nta ge des points de vue et des stra
tes temporelles.
Amorcé comme une
narration impersonnelle , re layé par
une plongée dans les souv enirs de
Ray
mond seul, le r édt échappe, d ès le cha
pitre 3, à cette contrai nte pour évoquer
des sentimen ts ou des situations qui ne
p euvent être connus que du doct eur ou
même de Maria Cross
(ch ap.
8 et 9).
Cette variation des poin
ts de vue per
met en particulier de ne pas fixer une
fois pour toutes la «vérit é» de la jeune
f emme ; elle rester a
un mystère pour le
l ecte ur lui-même.
Animés
d'un e "passion forcenée "• les personnages prin cipaux ne
[re]connaîtro nt p ou rtant pas «Ce lui
qui à l eu r insu appelle, attire, du plus
profond de leur être , cette marée
bril lante » (chap.
12).
Au lecteur, peut
êt re, d'en ressentir l'im palpable pré
sence.
Les mé taph ores astronomiques
( planè
tes, comètes, astres), si abondan
tes dans ce « dése rt », ne sont-elles pas
l à
po ur lui ouvrir la route ?.
»
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