DELPHINE DE VIGAN Les Loyautés
Publié le 12/09/2019
Extrait du document
Une réponse fausse : une tape sur le haut du crâne.
Deux réponses fausses : une claque.
Trois réponses fausses : il me pousse du tabouret et je tombe par terre.
Quatre réponses fausses : je reste allongée au sol et il me donne un coup de pied.
[...]
J'ai quatorze ans, je gis au sol quand ma mère rentre, j'ai peut-être perdu connaissance, quelques secondes ou quelques minutes. Quand je me remets debout le sang coule entre mes jambes [ ...]»(p. 32-33).
Cette scène est très éprouvante, car elle est construite sur le principe de la gradation : les épisodes de violence se répètent, mais en augmentant constamment, et le lecteur ne peut qu'éprouver de l'empathie devant les souffrances d'Hélène enfant. Ce passage est donc un tournant pour le lecteur qui ressent de la pitié pour le persan-nage, en même temps que de l'admiration pour sa capacité de résilience. En effet, le chapitre se termine par son départ hors de sa famille, et la promesse de son accomplissement personnel : « J'ai dix-sept ans, j'ai mon bac et je m'en vais. [ ...] J'ai dix-sept ans, je vais étudier, je vais devenir professeur, je n'oublierai rien » (p. 34).
hydrophile, invisible, qui le protège », p. 17, au sujet de Théo ; la précision du vocabulaire relève ici du narrateur omniscient - lequel connaît tout sur tous les personnages - qui transpose de manière ' soutenue le sentiment ressenti par Théo après avoir ingéré de l'alcool), que du personnage-narrateur - Hélène, après sa discussion décevante avec l'infirmière scolaire au sujet du' même Théo : « Mes cours étaient terminés et je sentais la vague enfler, reflux d'égout, eaux saumâtres, puantes. La marée noire du souvenir commençait à remonter vers la surface », p. 31 ; ou encore -Cécile parlant d'elle-même :
«Je suis la pièce défectueuse camouflée au cœur d'un mécanisme bourgeois qui fonctionnait depuis la nuit des temps. Je suis le grain de sable - qui grippe la machine, la goutte d'eau malencontreusement tombée dans le réservoir d'essence [...]. Je suis cet oiseau noir qui voulait devenir blanc et qui a trahi les siens. Je me croyais plus maline. Je me croyais capable d'imiter le chant des tourterelles. Mais moi aussi j'ai perdu l'usage de mes ailes, et là où je suis, il est inutile de se débattre » (p. 152-153).
On voit bien, dans ces métaphores (figure . de style rapprochant un comparé et un comparant
en face de lui, Mathis l'observe et rit » (p. 14). On a l'impression d'une réciprocité et d'une égalité entre eux : « Mathis lui prend la bouteille des mains pour la porter à ses lèvres. C'est chacun son tour» (p. 15). Le texte va ensuite utiliser la troisième personne du pluriel pour les réunir : « Ils sont dans leur planque, leur refuge. Ici, c'est leur territoire. [ ... ] C'est leur pacte, et leur secret » (p. 15-16). Le lecteur a. donc l'impression d'une amitié fusionneUe, sentiment d'ailleurs exprimé ensuite par Cécile.
« L'année dernière, ' quand il est entré en sixième, Mathis a rencontré Théo, et à partir de là plus rien d'autre n'a compté. Il s'est attaché à lui de manière immédiate, exclusive, et le défend bec et ongles dès que j'émets la moindre réserve ou interrogation à son sujet » (p.38).
Cette relation exclusive entre deux jeunes gens du même âge est typique de la période adolescente, et peut rappeler d'autres romans traitant de ce même thème (y compris le roman de Delphine de Vigan, No et moi). Pourtant, un décalage va progressivement apparaître, et le fait que chacun des adolescents ait droit à sa focalisation, à ses chapitres, va permettre au lecteur de mesurer le fossé qui se creuse entre eux.
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