DÉLIE, objet de plus haute vertu de Maurice Scève (analyse détaillée)
Publié le 22/10/2018
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DÉLIE, objet de plus haute vertu.
Recueil poétique de Maurice Scève (1500 ?-1560 ?), publié à Lyon chez Sulpice Sabon en 1544.
La carrière littéraire de Scève avait commencé en 1535 avec une traduction de l'espagnol, la Deplourable Fin de Flamecte ; l'année suivante, le poète avait participé au tournoi des Blasons. Sa Délie, vraisemblablement entreprise dès 1527, était d'une tout autre envergure. La densité obscure du recueil eut ses défenseurs, mais elle suscita aussitôt de vives critiques. L'œuvre était-elle inclassable ? L'attitude ambivalente des poètes de la Pléiade semble l'indiquer : s'ils reconnaissaient en Délie une exigence formelle bien supérieure à celle de l'école marotique, l'élévation métaphysique d'une telle poésie n'en heurtait pas moins leur idéal de clarté.
Deux sources principales irriguent le recueil : le pétrarquisme et le néoplatonisme. Comme le Canzoniere de Pétrarque, la Délie est entièrement dédiée à une femme, objet d'une dévotion absolue, pôle unique autour duquel s'ordonnent toute la pensée et l'existence du poète. Mais le Lyonnais et le Toscan n'ont pas le même idéal formel : à la multiplicité pétrarquienne, qui fait alterner sonnets, chansons, madrigaux et ballades, Scève opposel'unicité insistante de 449 dizains en décasyllabes. De même, son néoplatonisme est assorti de quelque distance : sans doute le poète reconnaît-il dans la contemplation des beautés physiques le moyen d'accéder aux beautés de l'âme ; sans doute fait-il de la vue, premier de tous les sens, l'aiguillon d'un mouvement spirituel qui s'achève en jouissance des idées ; mais il n'en garde pas moins, jusqu'à la fin du recueil, l'espoir d'une rétribution physique de son amour.
Le recueil se compose d’un huitain liminaire, suivi de la devise « Souffrir non souffrir », de 5 dizains initiaux, et de 49 séries de 9 dizains, toutes précédées d’un emblème comportant une devise ; après une ultime série de 3 dizains, il s'achève sur la formule « Souffrir non souffrir ».
Dès les premiers dizains, le thème du ravissement amoureux met en présence l’« œil trop ardent » du poète et le « doux œil » de la femme aimée : celle-ci devient objet d’adoration, « Idole qui embellit le monde ». Mais l’échange des regards, s’il ouvre la possibilité d’une vie plus haute, vouée à la « Vertu », est porteur d’angoisse et de tourment. Oscillant entre l’« ennuy » et le « plaisir », entre la vie et la mort, le poète ne s’appartient plus («Je me suis fait ennemy de moymesme ») ; dans cet état d’aliénation amoureuse, il semble que chaque sentiment ou action se retourne cruellement en son contraire (« Plus je la hays, et moins elle me fasche »).
« Après la mort ma guerre encor me poursuit », dit la devise du dernier emblème. Mais la destruction se transforme en conquête, et le dernier dizain révèle l'incorruptibilité du sentiment amoureux : « Flamme si saincte en son cler durera, / [...] Tant que ce Monde en soy demeurera, / Et qu’on aura Amour en reverence. »
L'organisation d'ensemble du recueil est très concertée. Il est possible que Scève, en regroupant ses dizains par 9, se soit souvenu de l'importance que Dante attachait à ce chiffre dans la Vita nuova, Mais le symbolisme cabalistique et la mystique des nombres n'ouvrent guère d'accès à la cohérence de
l'œuvre : il faut bien reconnaître qu'en ce domaine les conclusions se sont révélées aussi courtes, et décevantes pour l'analyse littéraire, que les supputations ont pu être ingénieuses.
«
l'unicité insistante de 449 dizains en
décasyllabes.
De même, son néoplato
nisme est assorti de quelque distance :
sans doute le poète reconnaît-il dans la
contemplation des beautés physiques
le
moyen d'accéder aux beautés de
l'âme; sans doute fait-il de la vue, pre
mier de tous
les sens, l'aiguillon d'un
mouvement spirituel qui s'achève en
jouissance des idées; mais il n'en garde
pas moins, jusqu'à la fin du recueil,
l'espoir
d'une rétribution physique de
son amour.
Le recueil se compose d'un huitain liminaire, suivi de la devise « Souffrir non souffrir», de
5 dizains initiaux, et de 49 séries de 9 dizains, toutes précédées d'un emblème comportant une
devise ; après une ultime série de 3 dizains, il s'achève sur la formule « Souffrir non souffrir».
Dès les premiers dizains, le thème du ravisse ment amoureux met en présence l'« œil trop ardent» du poète et le « doux œil » de la femme aimée : celle-ci devient objet d'adoration, «Idole qui embellit le monde».
Mais l'échange des regards, s'il ouvre la possibilité d'une vie plus haute, vouée à la «Vertu », est porteur
d'angoisse et de tourment.
Oscillant entre l'« ennuy »et le« plaisir», entre la vie et la mort, le poète ne s'appartient plus («Je me suis fait
ennemy de moymesme »); dans cet état d'alié nation amoureuse, il semble que chaque senti
ment ou action se retourne cruellement en son contraire (« Plus je la hays, et moins elle me fasche »).
« Après la mort ma guerre encor me pour suit», dit la devise du dernier emblème.
Mais la destruction se transfonme en conquête, et le der
nier dizain révèle l'incorruptibilité du sentiment
amoureux : « Flamme si saincte en son cler durera, 1 [ ...
] Tant que ce Monde en soy demeu rera,/ Et qu'on aura Amour en reverence.»
L'organisation d'ensemble du recueil
est très concertée.
Il est possible que
Scève, en regroupant ses dizains par 9,
se soit souvenu de l'importance que
Dante attachait à ce chiffre dans la
Vita
nuova.
Mais le symbolisme cabalistique
et la mystique des nombres n'ouvrent
guère d'accès à la cohérence de
l'œuvre: il faut bien reconnaître qu'en
ce domaine les conclusions se sont
révélées aussi courtes, et décevantes
pour l'analyse littéraire, que les suppu
tations
ont pu être ingénieuses.
L'alternance des emblèmes et des
séries de dizains mérite sans doute plus
d'attention que la disposition mathé
matique
du recueil.
Les emblèmes
empruntent leur contenu à la mytho
logie (Actéon,
Phénix, Orphée, Nar
cisse), au cosmos (lune, soleil, étoiles)
ou à des actions prosaïques (labours,
tissage
et chasse).
Chaque emblème,
suivi
d'un dizain-glose dont le dernier
vers répète la devise,
donne une cohé
sion thématique à la neuvaine.
Cette
alternance, néanmoins, serait de faible
portée si elle n'établissait
qu'un rap
port statique d'illustration entre em
blèmes et dizains.
Le plus souvent, elle
permet
un dialogue, une activation
réciproque du texte et de l'image.
L'uti
lisation
du mythe de Narcisse est
remarquable à cet égard.
L'emblème -
Narcisse penché sur son
reflet- fournit
un cruel contrepoint à la neuvaine qui
suit : le poète peut bien proclamer
qu'« aymant autruy » il se « desayme »
(LX), la déception amoureuse ne cesse
de le renvoyer à lui-même
et de le
condamner à sa propre image ;
en
retour, le dizain désespéré qui suit
l'emblème
(LX) enlève au mythe la
béatitude traditionnelle de l'auto
admiration :
il l'infléchit dans le sens
d'une spécularité douloureuse et
angoissée.
Un échange constant s'éta
blit ainsi entre le texte
et la trame
visuelle de la
Délie.
Loin d'être une
simple annonce unificatrice, l'em
blème apparaît souvent comme la
condensation saisissante de thèmes et
de motifs épars dans les dizains qui
précèdent :
il est alors suscité par le
mouvement du texte.
C'est le cas de
l'emblème d'Actéon poursuivi par ses
chiens (
> ), point d'aboutissement de.
»
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