DÉFENSE ET ILLUSTRATION DE LA LANGUE FRANÇAISE de Joachim du Bellay
Publié le 21/10/2018
Extrait du document
«
découvre avec passion, aux côtés de
Ronsard et de jean-Antoine
de Baïf, les
grands textes de l'Antiquité; toute
l'ambition des futurs poètes de la
Pléiade est de donner à la langue fran
çaise
une dignité égale, voire supé
rieure, au grec et au latin.
En 1548, l'humaniste Thomas Sébil
let avait déjà publié
un Art poétique
français qui, pour la première fois,
considérait la poésie comme
un art à
part entière, et
non plus comme une
«seconde rhétorique>>, Du Bellay puise
dans cet ouvrage
bon nombre de ses
principes fondamentaux, mais
il refuse
l'imitation des Modernes (l'école
marotique notamment) prônée par
Sébillet.
Sa source d'inspiration la plus
constante est
en fait le Dialogo delle lin
gue, publié en 1542 par Sperone Spe
roni ; ironie du sort, les arguments que
Speroni utilise pour montrer la supé
riorité de l'italien sur le latin
vont ser
vir, chez Du Bellay, à la glorification de
la langue française.
La première partie entend réfuter l'idée d'une « barbarie » de la langue française, qui la rendrait
constitutivement inférieure au grec et au latin.
Le français a pu être laissé à l'abandon par les siècles précédents, son aptitude à exprimer tous les sujets n'en demeure pas moins entière.
Pour vivi fier notre langue, il faut prendre exemple sur les Romains, qui ont imité « les meilleurs audeurs
Greez, se transformant en eux.
les devorant, et apres les avoir bien digerez, les convertissant en sang et nourriture ».
Il est insuffisant de traduire les auteurs antiques, et il est souvent ridicule de
prétendre écrire dans leur langue : ce qu'il faut,
c'est s'incorporer leur substance, pour mieux rivaliser avec eux dans des œuvres originales.
La deuxième partie expose les moyens poéti
ques qui permettront le rayonnement et l'enri
chissement du français.
Le poète se doit, au pre mier chef, d'abandonner les genres poétiques
médiévaux (rondeau, ballade, virelai) et de res susciter les grands genres antiques (épigramme, élégie, ode, épopée); en outre, il ne reculera pas devant l'innovation lexicale, l'emprunt à des voca
bulaires spécialisés.
ni devant l'imitation syntaxi
que de la phrase grecque ou latine.
Enfin, s'il veut ne
pas rester
un simple rimeur, il devra s'astrein
dre au labeur solitaire, seule condition d'une
gloire « incorruptible ».
Dès la publication du manifeste, et
jusqu'à nos jours, les critiques n'ont
pas manqué : on a accusé Du Bellay de
plagiat,
on lui a reproché sa mauvaise
foi, ses argumentations mal maîtrisées
et l'incohérence de
ses métaphores.
Si
certaines de ces critiques sont partielle
ment fondées, elles n'en méconnais
sent pas moins la dimension originale
du texte.
La Défense, en effet, est une harangue
passionnée plus qu'une démonstration
logique.
Le discours peut bien, çà et là,
se donner l'allure d'une dialectique ser
rée (
« Ce que je pretens prouver si de
rement, que nul n'y vouldra contre
dire ...
», I, 5), il n'en cède pas moins à
l'emportement des injonctions, apo
strophes et interrogations.
Dans sa
double visée littéraire
et patriotique, il
s'adresse à deux types d'interlocuteurs,
le poète et les Français.
Chaque
recommandation au poète
se fait
d'autant plus vive qu'elle s'accompa
gne
d'un repoussoir, et le discours
s'organise ainsi
en une rhétorique
binaire : le poète doit pratiquer
une
imitation active des auteurs grecs et
latins, qui s'oppose à l'imitation servile
et nostalgique (1, 11); il dédaigne, dans
son désir d'immortalité, les gloires faci
les qui entourent le poète courtisan (Il,
3) ; enfin, la
« fureur divine » qui
l'anime, l'élève au-dessus de tous les
« rymeurs >>, capables seulement de res
sasser de mièvres lieux
communs (Il,
11).
Deux portraits sont ainsi dessinés
parallèlement : celui
du poète qui a
pour
but l'enrichissement et la glorifi
cation de sa langue, et celui des versi
ficateurs et plagiaires, insoucieux de
la
langue nationale et donc ennemis
d'eux-mêmes.
En une vibrante admo
nestation finale, Du Bellay demande
aux Français
d'en finir avec leur senti-.
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