De l'esprit des lois de Montesquieu (résumé & analyse)
Publié le 24/11/2018
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De l'esprit des lois
Toute une tradition très ancienne d'herméneutique juridique se penchait sur le sens authentique, sur l'« esprit des lois ». On trouve cette expression chez Strube de Piermont, dans sa Dissertation sur la raison de guerre et le droit de bienséance (1734) qui eut un certain succès et fut imprimée plusieurs fois. Montesquieu ne connaissait pas Strube, mais il est piquant de rappeler que celui-ci, philosophe du droit allemand émigré en Russie, pour défendre son pays d’adoption qui avait été taxé de despotisme par Montesquieu, éreintera
vigoureusement, par ses Lettres russiennes (1760), l'Esprit des lois.
Le chef-d’œuvre de Montesquieu se veut un traité, d’où son aspect rigoureusement systématique. Mais ce n’est qu’un aspect tout extérieur. L'ordre formel et apparent est toujours sacrifié à un ordre plus profond et presque caché, à une sorte de nouvelle « chaîne secrète ». Divisé en livres et en chapitres, il présente, d’entrée de jeu, une typologie des univers politiques où les « natures » des Etats (monarchie, république, despotisme) sont mises en un rapport essentiel et dynamique avec leurs « principes » ou « ressorts » (honneur, vertu, peur). Par là, la classification traditionnelle, purement politique et formelle, est dépassée dans une conception plus vaste et plus concrète, à la fois sociologique et éthique. On pourrait facilement y élucider des préoccupations qui seront au cœur des systèmes de Hegel et de Max Weber. Par la suite, Montesquieu se tourne vers le problème de la liberté, qui finit par devenir fondamental et presque obsédant. Dans cette optique, il analyse la constitution anglaise et le problème de la séparation des pouvoirs. Puis le politologue se mue en géographe, étudiant dans les détails l’influence du climat et du terrain sur les mœurs et les lois. Suivent des analyses fort attentives des causes sociales (commerce, monnaie, démographie, religion, etc.). Un hors-d’œuvre est constitué par une étude historique des législations romaine et féodale.
Synopsis. — Dans la première partie (livres I à VIII), l'auteur, après avoir donné la définition de la loi, examine les causes politiques déterminant les lois. On trouve ici la distinction fondamentale des trois formes de gouvernement. Dans la deuxième partie (livres IX à XIII), Montesquieu étudie les facteurs politiques ainsi que les droits de l'individu. L'étude de la liberté politique permet à l’auteur de dégager la définition des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire). Le chapitre sur la constitution en Angleterre met en lumière le fonctionnement des trois pouvoirs dans leurs rapports réciproques. Dans la troisième partie (livres XIV à XIX), l'auteur élucide le rôle des causes physiques (climat, terrain, géographie) et morales (les mœurs d'une nation) dans la formation des lois. Dans la quatrième partie (livres XX à XXIII), Montesquieu analyse les causes économiques et géographiques (commerce, monnaie, nombre des habitants). Dans la cinquième partie (livres XXIV à XXVI), l'auteur met en lumière les causes d'ordre spirituel, et surtout la religion, dans leur rapport avec les lois. La sixième et dernière partie (livres XXVII à XXXI) a une allure historique : l'auteur se penche sur les lois romaines relatives aux successions, sur l'origine des lois civiles en France et sur les lois féodales chez les Francs.
Peu unitaire du point de vue du contenu, l’ouvrage de Montesquieu présente un style assez peu fondu. Les critiques n’ont pas manqué qui ont étudié le phénomène d’un écrivain d’inspiration classique s’exprimant de façon si fragmentée et, en un sens, si moderne. On a allégué des causes d’ordre politique (provoquant des changements de point de vue, des coupures, des adaptations, etc.), d’ordre psychologique (Montesquieu avoue être fort timide et il se produirait une sorte de bégaiement dans son écriture), d’ordre pathologique (sa vue empirait, il ne pouvait plus se relire, ce qui l’obligeait à se servir de secrétaires : pour mieux contrôler sa pensée il était donc obligé de s’exprimer dans de courtes périodes). Ce qui est sûr, c’est que ce style à la fois synthétique et syncopé ajoute encore à la fascination de l’ouvrage. Présenté par l’auteur lui-même comme un ouvrage « de pure jurisprudence », l'Esprit des lois ne saurait être lu comme une doctrine pure du droit selon Kelsen. Il n’empêche que celui qui lit l’Esprit des lois comme un ouvrage de politique ou de philosophie, destiné à changer le monde, ne peut qu’en sortir profondément déçu (comme Rousseau) ou irrité et goguenard (comme Voltaire). D’abord, quel système politique en tirer? La discorde a régné chez ceux qui se croyaient autorisés à déduire un enseignement univoque du grand livre. Robespierre se considérait bon élève de celui qui avait tant exalté la vertu républicaine. Mais aussi Catherine de Russie, elle qui, à l’annonce de l’exécution de Louis XVI, se mettra au lit, frappée de douleur et de peur. Le plus vrai système de Montesquieu réside peut-être dans une visée métapolitique.
«
déduire
un en seig nem en t univoque du grand livre.
Robespierre se considérait bon élève de celui qui avait
tant exalté la vertu républicaine.
Mais aussi Catherine de
Russie, elle qui, à l'annonce de l'exécution de
Louis XVI, se mettra au lit, frappée de douleur et de
peur.
Le plus vrai système de Montesquieu réside peut
être dans une visée métapolitique.
Comme d'a utre s
g rand s théoriciens politiques (nous pensons surtout à
Machiavel), l\1ontesquieu est un moraliste pessimiste.
Dans les rapp c·rts par mi les hommes tout devient pouvoir
et abu s.
Politique sig nifie pouvoir, pouvoir veut dire
empiétement, usurpation et excès.
Cette réflexion sur
l'irrésistible tentation du pouvoir et sur la stratégie qu'il
faut adopter pour la contrecarrer est étonnamment
moderne : parfois on croirait lire Foucault ou Barthes.
Contre la libido dominandi, seul un partage pondéré des
pouvoirs est un remède sür et réaliste.
Voilà le noyau
m étapo lit iq ue et éternel de la doctrine de la division des
pouvoirs, qu'il aurait voulu appliquer à la réalité politi
que de son temps en fortifiant les pouvoirs intermédiaires
confiés à la noblesse et aux parlements.
Sur cette voie, il
préconisait méme le retour, après les excès de l'absolu
tisme de Loui; XIV, à une sorte de monarchie féodale,
convaincu, comme il l'é ta it, que la liberté était ancienne,
le despotisme récent.
Dans cette perspective, il considé
rait Ric he lieu comme l'un des plus méchants citoyens
qu'ait eus la France ...
Il faisait donc appel au passé pour
sauvegarder l'avenir.
Il allait évidemment à contre
courant, il jou�it le rôle de Cassandre.
D'où sa solitude,
sa nostalgie, qui fait penser à celle de Saint -S im on, ses
rapports avec les hommes, empreints d'une hautaine ten
dresse.
Il n'appartient à aucun parti, il ne collabore pas
à la glorieuse entreprise de Diderot, à cette Encyclopé
die, à la qu elle il se borne à donner l'article sur le GoûT,
paru posthume en 1757 : article quelque peu anodin, sans
doute, du point de vue politique, mais qui contient les
éléments d'une esthétique.
Nous avon:; parlé de « visée métapolitique >>.
Cela
signifie que :.a préoccupation rationaliste domine et
oriente l'enqu�te.
Toute stratégie d'action est reléguée
au second plan.
D'où le désappointement ou 1' indigna
tion des réformateurs.
Au lieu de réagir à une réalité
sociale ou politique dont son esprit mesurait aisément
l'injustice et même l'horreur, Montesquieu semble vo u
loir tout expliquer.
Mais, expliquer le mal, n'est-ce pas
mettre en branle une démarche de justi fic ati on et de
résignation? Devant un atroce fléau comme celui de
1 ' e scla vage colonial, les « ex pli cat ions » de Montes
quieu, pourtant mêlées aux réprobations les plus nettes,
finissent par permettre, à certains trafiquants de mau
vaise foi, d'afficher une certaine bonne conscience.
D'autre part, t.
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