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De l'Allemagne. Essai de Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, dite Mme de Staël (analyse détaillée)

Publié le 24/10/2018

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De l'Allemagne. Essai de Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, dite Mme de Staël (1766-1817), pilonné sur ordre de Napoléon en 1810, publié en français à Londres chez Murray en 1813 ; réédition à Paris chez Nicolle en 1814.

 

C'est peut-être à l'Empereur que Mme de Staël doit son livre le plus célèbre, sinon le plus lu. Recevant le 15 octobre 1803 un ordre d'exil à quarante lieues de Paris, elle part le 24 pour l'Allemagne, et conçoit à Metz, dans la compagnie de Charles de Villers, le meilleur connaisseur français des choses allemandes, l'idée de Lettres sur l'Allemagne, titre initial de l'ouvrage. En janvier 1804, elle parle d'écrire « un voyage littéraire et philosophique » ; en février, elle envisage une anthologie de poésie et de prose, que précéderait une analyse des « nouveaux systèmes de philosophie et d'esthétique », « pour donner une idée du caractère des Allemands et de l'esprit qui distingue leur littérature ». Elle reprend son projet après Corinne (1807), qui l'avait entraînée en Italie et dans l'univers de la fiction. D'où un nouveau voyage en terres allemandes, de décembre 1807 à juin 1808. Le livre, terminé en 1810, est donc le fruit d'une enquête sur le terrain, de nombreuses lectures, et surtout de multiples conversations, facilitées par la présence constante d'August Wilhelm Schlegel, précepteur de ses enfants, et éminent critique littéraire, théoricien avec son frère Friedrich du romantisme allemand. Mme de Staël est loin de partager toutes leurs positions philosophiques et esthétiques, violemment hostiles au goût français et aux Lumières. Pourtant, le ministre de la Police en tira prétexte pour justifier la destruction du livre : « Votre dernier ouvrage n'est point français. »

 

Après une Préface et des Observations générales, la première partie traite « De l’Allemagne

et des mœurs des Allemands », en vingt chapitres, dont le dernier, « la Fête d’Interiaken », est consacré à la Suisse alémanique. Mme de Staël aborde l’Allemagne dans sa diversité (Allemagne du Nord et du Sud, Autriche, Saxe, Prusse, Vienne, Weimar, Berlin), mais aussi dans ses caractéristiques générales (les femmes, la langue, l’esprit de conversation, l’esprit de chevalerie, les universités).

 

La deuxième partie présente en trente-deux chapitres « la Littérature et les Arts ». Mme de Staël se demande d’abord pourquoi les Français ne rendent pas justice à la littérature allemande, ensuite comment les Anglais la jugent. Après un survol historique, elle consacre cinq chapitres à Wieland, Klopstock, Lessing et Winckelmann, Goethe, Schiller, et sept chapitres à des questions générales : « Du style et de la versification », « De la poésie », « De la poésie classique et de la poésie romantique », « Des poèmes allemands », « De la poésie allemande », « Du goût », « De l’art dramatique ». Elle passe ensuite à l’analyse de pièces de théâtre (Wieland, Klopstock, Lessing, Schiller, Goethe) : « De la comédie », « De la déclamation », avant d’étudier le roman, les historiens, Herder, la critique et les frères Schlegel, enfin les beaux-arts.

 

La troisième partie étudie « la Philosophie et la Morale», en vingt et un chapitres. La quatrième partie s'intitule « la Religion et l’Enthousiasme ».

 

Pas plus que dans De la littérature (1800), Mme de Staël n'entend donc s'enfermer dans une approche purement esthétique, qui correspondrait à notre définition actuelle de la littérature. De l'Allemagne élargit et renouvelle certainement ses conceptions littéraires au contact de la modernité germanique, en plein bouillonnement créateur. Mais la méthode reste la même : définir l'esprit d'un peuple par sa culture, rapportée aux conditions qui l'expliquent et la particularisent (la race, le milieu, l'Histoire, les institutions sociales, la langue, la religion, etc.). Pas question de couper la pensée de la société et de la philosophie, pas question de renoncer à la méthode comparative, y compris dans un livre

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« consacré à une seule culture, pas ques­ tion de fuir l es enjeux politiques, tou­ jours brûlants dans tout ce qu 'écrit Mme de Staël.

Nul reniement, donc , par rappo rt à De la littérature, mais une ouverture décisive et pionnière sur le pays en passe de prendre la tête de la cu lture européenne.

Au demeurant , l'avancée allemande confirme explici­ tement les célèbres analyses antérieures sur les peuples du Nord et la cohérence des aires culturelles, qui n'appellent ni repli sectaire ni imitation servile.

" Car n ous n 'en sommes pas, j'imagine, à vouloir élever autour de la France litt é­ raire la grande muraille de la Chine, p o ur empêcher les idées du dehors d 'y pénétrer.

[ ...

] La stérilité dont notr e lit ­ térature est menacée ferait croire que l'es prit français l ui-n1êrne a beso in mainten ant d'être renouvelé par une sève plus vigoureuse; [ ...

] il nous importe surtout de retr ouve r la sou rce des grandes beautés ,.

(Observations générales).

Tel n'était évidemment pas l e programme de l'Empereur , direc te­ ment visé par cet appe l à la régén éra­ tion dans la liberté de l'esprit : «L 'art est pétrifié quand il ne change plus » (Il, 15).

S'agit-il d'une conversion au romantisme ? On se gardera de tran­ cher ici une qu estion trop vaste pour être expédiée en qu elques mots.

Mieux vaut rappel er ce que Mme de Staël entend par là : « On prend quelquefois le mot classique comme synonyme de perfecti o n.

Je m'en sers lei dans un e autre acceptio n, en considérant la poé­ sie classique comme celle des Anciens, et la poésie romantique comme celle qu i tient de quelque manière aux tradi­ tions chevalere squ es.

Ce tte division se rapporte égaiem en t aux deux ères du mond e : celle qui a précédé l'ét abli sse­ men t du christiani sme, et ce Ue qui l 'a suivi.

[ ...

] La nati on française [ ...

] pen­ che vers la poésie classi que imitée des Grecs et des Romains.

La nation anglai se, la plus illustre des na tio ns germaniques , aime la poésie rom anti­ que ,.

(Il, 11).

La poésie roma nti que est mod ern e, po pulaire et nationa l e, per­ fecti ble ; « elle expr ime notr e religion ; elle rappelle notre histoire ,., c'est « l'ère chrét ienne des beaux-arts ,., rêveu se et inquiète.

Au cun livre n 'a autan t marqué la réception en Fran ce d'une grande cultu re étrang ère.

L'Allemagne, pour un siècle, se reflétera dans le miroir tendu par Mme de Staël.

On lui a sou­ vent reproch é d'avoir déformé son modèl e.

Pauvre crit ique! Ce qu'elle vise va bien plus lo in : l'un i té, mobile et div er se, des différences ; la cohé­ ren ce, vi sibl e et fuyante , d'une civilisa­ tion eu ropéenne menacée par Napo­ léon.. »

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