DAMNÉS DE LA TERRE (les), de Frantz Fanon

DAMNÉS DE LA TERRE (les), essai de Frantz Fanon (1961) publié avec une préface de Jean-Paul Sartre. C'est une analyse extrêmement lucide du phénomène colonial en même temps qu'une vision prophétique des sociétés africaines au seuil de leur indépendance. Fanon analyse le cas d'un individu modelé par le milieu traditionnel et sans cesse confronté à des valeurs étrangères véhiculées par des moyens technologiques puissants. Il en résulte une attitude ambiguë, génératrice d'anxiété et traduisant une aliénation progressive qui se manifeste à la fois dans les rapports avec le progrès technique et avec la langue du colonisateur. En dépit du processus réducteur qui aboutit soit à la disparition, soit à la dégradation de la tradition, ne subsistant plus, sous le contrôle de l'administration coloniale, qu'à l'état de « farce », le colonisé tente de résister à l'imposition de techniques étrangères en se cramponnant au monde traditionnel, refusant en bloc tout progrès technique. Quant à la langue du colonisateur, dont la connaissance est la condition préalable de toute promotion sociale, elle contribue à accentuer la distance entre le colonisé et ses propres traditions. Par l'intermédiaire de l'institution scolaire, qui en est le meilleur support, le livre véhicule en effet dans la langue du colonisateur un ensemble de valeurs que les écoliers sont amenés à intérioriser et qui contrastent avec celles qu'ils rencontrent dans leur milieu familial. Déçu par le jeu européen, puisque le prolétariat des nations riches participe à l'exploitation des pays sous-développés, Fanon insiste sur la nécessité de trouver aux problèmes spécifiques du tiers monde des solutions entièrement nouvelles. Mais comment réaliser l'industrialisation des pays sous-développés sans sacrifier l'homme aux exigences de la production ? Fanon, sans proposer de réponse, laisse l'imagination travailler sur le profil de cet « homme nouveau » qu'il appelle de tous ses vœux.