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Culte du moi (le) de Maurice Barrés (analyse détaillée)

Publié le 24/10/2018

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Culte du moi (le). Trilogie romanesque de Maurice Barrés (18621923). Elle comprend : Sous l'œil des Barbares, publié à Paris chez Lemerre en 1888 ; Un homme libre, publié à Paris chez François Perrin en 1889 ; et le Jardin de Bérénice, publié chez le même éditeur en 1891.
 
Ces premiers ouvrages de Barrés le firent connaître d'emblée (il n'avait alors à son actif que l'éphémère revue les Taches d'encre et le petit scandale des Huit Jours chez M. Renan, 1888). « Romans-analyses », largement autobiographiques, d'une facture nouvelle que le débutant avait conscience d'apporter, ils rendent compte, comme pas à pas, de la formation d'un égo-tiste, avec un décalage presque régulier d'un an sur les étapes franchies par Barrés lui-même et leur mise en forme. Retard essentiel, en ce qu'il explique l'aspect insaisissable de celui qui avait à se forger un statut d'écrivain : c'est le
héros d'Un homme libre qui écrit Sous l'œil des Barbares, ce sera un individu bien différent qui aura le soin d'expliquer sa démarche dans l’Examen des trois romans idéologiques placé en tête de la deuxième édition d’Un homme libre (1892).
 
Sous l'oeil des Barbares. Après un préambule, cette « courte monographie réaliste » suit la formation d'un jeune homme depuis sa naissance jusqu'à son arrivée à Paris comme étudiant (livre I). puis du rejet de la sensibilité enfantine (livre II, 5) à la constitution d'une religion du moi (« Extase », 6 ; « Affaissement ». 7). L'examen des aventures de la sensibilité, qui tient la plus grande place, se double à chaque chapitre de « concordances » établissant brièvement les faits réels (contexte ou « milieu », rencontres, etc.) qu'aurait décrits un roman naturaliste. S'il veut se libérer des Barbares - tous les autres - pour recomposer son identité propre, le héros - anonyme - paraît plutôt livré aux caprices de ses mouvements de sensibilité. Lui échappant, le moi prend donc la forme, au final, d'un appel (« Oraison ») ambigu vers un axiome unificateur sans quoi le « culte » serait celui d'un vide.
 
Un homme libre. Un prétendu « journal » organise alors le moi autour d'un « mot d'ordre » : « Soyons ardents et sceptiques. » À Jersey avec son ami Simon (livre I), le protagoniste décide de se retirer pour se reconstituer et se discipliner. Les deux jeunes gens font donc retraite (livre II, 3-5) afin de s'étudier en mimant les Exercices spirituels de Loyola : si le culte est sans fondement une culture en forme de gymnastique spirituelle pourrait tenir lieu de contenu identitaire. Ayant trouvé une partie de lui-même en écoutant la leçon du paysage lorrain (6). le jeune homme veut désormais sortir de la seule analyse pour se confronter au monde et y réaliser sa « tendance » (« l’Église triomphante », livre III, 7) : voyages, confrontation de soi à Venise (8-10) qui paraît le paysage du moi. puis retour à la vie dont la cité des doges, en le fascinant l'avait abstrait (livre IV. « Excursion dans la vie »). De retour à Paris, il tire ses conclusions (12) : renoncement à la solitude, acceptation de l'action sans lui accorder véritablement d'importance, l'essentiel provenant de l’analyse et de l’interprétation.

« sera « un homme libre » se consacrant seu­ lement à « des émotions rapides » qu'il aura choisies.

Le Jardin de Bérénice.

Baptisé « Philippe», le personnage se « sécularise » : venu pour une campagne électorale à Arles, il y retrouve par hasard Bérénice, dite Petite Secousse, qu'il avait connue à Paris, enfant jetée dans la prostitution, jeune veuve désonmais.

Entre Philippe (candidat boulangiste) et Charles Martin, son adversaire positiviste, Bérénice apparaît comme l'allégorie de sa ville (Aigues-Mortes), enseignant dans sa candeur à l'égotiste une union comme mystique avec la réalité.

Sur fond de campagne politique, c'est alors la conquête d'une nouvelle étape iden­ titaire qui se joue, Philippe écoutant l'involontaire « pédagogie d'âme» d'une Bérénice qui finit par mourir : à l'opposé du rationalisme desséchant de la République, il gagne une «admirable vision du divin dans le monde» grâce au «jardin » de la jeune fille, auquel il donne le nom « plus moderne d'inconscient ».

Dans ses évolutions et sa complexité, l'événement intellectuel et littéraire du Culte du moi recouvre toute une série d'enjeux entremêlés : à la fois une réflexion « idéologique » sur la conduite de vie dans la grande crise intellectuelle de la fin du siècle où la trilogie est une réponse et un symp­ tôme ; une nouveauté littéraire, la conquête d'un statut d'auteur et de « guide >> de la jeunesse ; les propres méandres de Barrès enfin.

Ce début devient alors un centre, porteur de la totalité de l'œuvre à venir, qui ne ces­ sera de reformuler les mêmes thèmes pour les déplacer.

L'opposition d'Un homme libre entre l'enracinement et la multiplication de soi dans l'errance (Venise préfigurant Amori et Dolori sacrum comme la Lorraine, toute la lignée des *Déracinés à la *Colline inspi­ rée) constitue ainsi le principe moteur de la réflexion barrésienne.

A travers le culte du moi, il s'agit donc moins d'entretenir un ego que de trouver la possibilité de construire une subjecti­ vité dans l'effondrement crépusculaire de toute assise qui caractérisait, dans les années 1880-1900, les débuts de notre modernité.

L'itinéraire est indé­ niablement celui de Barrès dans ses trois moments : dégagement d'une identité dans le refus des assujettisse­ ments externes (c'est selon lui le seul sens du mot « Barbares >> ), contrainte à une discipline pour ne pas s'égarer sous le coup d'une sensibilité envahissante, enracinement enfin dans un rapport , mystique au >, qui tantôt ouvre à la substance historique (la Lor­ raine, où la « leçon des morts » parle d'un héritage qui nous fonde), tantôt déploie « certains frissons >> fondamen­ taux.

On voit comment Bérénice; incarnation de la part féminine de l'auteur, mais aussi symbole d'un peu­ ple que les deux candidats se dispu­ tent, ouvre sous sa grâce décorative la voie au nationalisme barrésien dans sa mystique d'un « inconscient >> plutôt imprécis, et qui allie une fantasmati­ que de la fusion à l'idée d'une sub­ stance identitaire ...

«L'événement »1 salué par Bourget dès le premier volume, et qui a pesé de façon considérable sur toute une géné­ ration, semble ainsi avoir considérable­ ment vieilli.

S'il n'y a plus rien à atten­ dre de ce qui fut la bible d'une génération, reste cependant une écri­ ture tirant parti de ses difficultés.

Les « concordances », la composition décousue des premiers livres manifes­ tent une critique du roman tradition­ nel, sur laquelle renchérit une très bar­ résienne ambiguïté de l'instance d'énonciation, qui fait apparaître un moi fuyant, ironique (la référence à Loyola est ainsi sérieuse et comique), dont la véritable construction s'effec­ tue sans doute dans la seule écriture.

Loin de l'idéologue, c'est l'enchante­ ment d'un phrasé qui résiste donc, apte à rendre compte des plus imper­ ceptibles tremblements d'un rapport au réel.. »

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