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Critique et clinique, Gilles Deleuze, Editions de Minuit, 1993.

Publié le 17/09/2011

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Alors, comment atteindre ce dehors du langage qui se trouve à l’intérieur du langage ? Le délire est la condition nécessaire de la création littéraire. Faire délirer la langue c’est par là même, porter le langage à sa limite, au sein même du langage. Le délire est le processus par lequel le langage peut donner à voir, à entendre. Mais, si le délire veut être créateur, il ne doit pas relever du « clinique «. C’est là que réside toute la difficulté de l’écriture. L’état clinique implique le silence ou bien une profusion de mots qui empêche toute compréhension : « on entend plus rien à travers les mots «[9].

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« le jugement ».

Son affirmation que la critique d’art serait « problème d’amour et de haine, non pas dejugement »[15] semble des plus provocatrices.

Mais la critique des textes littéraires dans Critique et clinique n’esten aucun cas affaire de goût.

Deleuze a une approche sensible des puissances en jeu dans la littérature, qu’ilrationalise et conceptualise.

Le refus d’un jugement figé, transcendantal, affirmé dans le chapitre XV détermine enfait l’ensemble du livre. Notons que le délire littéraire créé comme « une langue étrangère »[16] dans la langue : une nouvelle langue – lestyle de l’auteur – dans la langue.

La création d’une autre langue dans la langue se réalise en trois étapes.Tout d’abord, la langue maternelle est décomposée.

Elle est dépréciée, mise à distance.

Pour Wolfson, elle estpourrie et contient des « larves et des vers »[17].

Ainsi, savoir écrire, c’est d’abord, savoir s’extraire de la languematernelle.

La position de Wolfson est ici radicale : la langue créatrice ne peut être qu’une langue étrangère, ce quile conduit dans une impasse.

Pour les autres auteurs évoqués dans Critique et clinique, cette nouvelle langue peutêtre, et doit être créée à partir de la langue maternelle, comme le sont « les mots-souffles »[18] d’Artaud.

Lasyntaxe doit donc parvenir à créer une langue étrangère, mais à l’intérieur de la langue maternelle.On assiste alors à l’émergence d’une parole originale qui «ravage le langage », [19] la pousse vers sa limite.

Eneffet, qu’y a-t-il à répondre à la formule : « I would prefer not to », proférée inlassablement par Bartleby ? C’est unmoment de pure tension d’une langue qui semble sans cesse sur le point de se rompre.

Le silence menace cettephrase fragile « je préfèrerai ne pas » : vacillation entre affirmation et négation.

On ressent ici le danger d’uneécriture-délire sans cesse à la limite de la folie et l’on perçoit la difficulté de cet exercice.C’est alors que l’émerge d’une langue originale dans la langue a pour effet la transformation de la langue d’origine.Tout le langage tend vers une limite asyntaxique.

C’est ici que la langue devient « auditions et visions », qui sont« de véritables idées que l’écrivain sait entrevoir derrière les mots ».

[20] Au fil des Nuits de Strasbourg, on assisteà un mélange créateur des langues et des cultures : un entre-deux linguistique et culturel entre l’arabe et lefrançais, l’oralité et l’écriture, l’occident et L’orient.

Un nouveau langage littéraire apparaît : « tangage-langage »,comme disait Michel Leiris.

Le style de l’écrivain transforme la langue dont elle se nourrit.

On assiste alors, et cesera le dernier paradoxe que nous évoquerons, à la rencontre fécondante des antagonismes, des concurrences,mais aussi des diversités, des complémentarités.

Les deux langues ne sont pas en guerre, mais combattent.

Leurcombat est rencontre de deux forces affirmatives : « Le combat est cette puissante vitalité non-organique quicomplète la force avec la force, et enrichit ce dont elle s’empare.

»[21] C’est alors seulement qu’ « alsace etAlgérie » peuvent s’accoupler : et donner naissance à une « Alsagérie » appelée de ses vœux par la narratrice.

[22] Pour conclure, la structure du livre de Deleuze s’apparente à ce qu’il dit de la structure de l’Ethique de Spinoza.

Il ya quelque chose de souterrain qui chemine dans le texte.

Chacune des logiques du livre « tend des passerelles pourfranchir le vide qui les sépare ».[23] Le rôle du lecteur de Deleuze est de franchir ce vide.

Critique et cliniquepropose des concepts qui ont enrichi le champ de la critique littéraire et qui démontre la fécondité du dialogue entrephilosophie et littérature. -----------------------[1] Page 12[2] Abécédaire, V comme Voyage[3] Les Nuits de Strasbourg, page 62[4] Chapitre 2, page 32[5] Chapitre 1, page 14[6] Chapitre IV, page 39[7] Chapitre VIII, page 138[8] Chapitre 2, page 32[9] Avant-propos[10] Chapitre 1, page 14[11] Chapitre 1, page 15[12] Chapitre 2, page 32-33[13] Dans Alice au pays des merveilles[14] Dans Sylvie et Bruno, chapitre III, page 35[15] Chapitre XV, page 169[16] Page 9[17] Page 27[18] Page 28[19] Chapitre X, page 94.[20] Chapitre 1, page 16[21] Deleuze, Critique et clinique, Page 167[22] Les Nuits de Strasbourg, Assia Djebar, page185[23] Page 187. »

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