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Complaintes (les). Recueil poétique de Jules Laforgue (analyse détaillée)

Publié le 23/10/2018

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Complaintes (les). Recueil poétique de Jules Laforgue (1860-1887), publié à compte d'auteur à Paris chez Léon Vanier en 1885. Six des Complaintes avaient paru dans l'hebdomadaire Lutèce dirigé par Léon Épinette [Léo Trézenik], l'imprimeur de Vanier, l'éditeur attitré des « décadents » et de Verlaine.
 
Le projet des Complaintes, conçu alors que Laforgue était lecteur de français auprès de l'impératrice d'Allemagne, marquait une rupture dans une œuvre d'abord hautement métaphysique dès les premiers poèmes des années 1879-1881 (qui devaient être réunis sous le titre le Sanglot de la terre), parmi lesquels les \"Préludes autobiographiques\", placés en tête du présent recueil. Laforgue s'était en effet refusé à supprimer ce témoignage d'une poétique désormais dépassée, écrivant à son ami Gustave Kahn en 1885 : « Elle est faite avec des vers d'antan, elle est bruyante et compatissable - elle est autobiographique. J'ai sacrifié un gros volume de vers philo d'autrefois parce qu'ils étaient mauvais manifestement, mais enfin ce fut une étape, et je tiens à dire [...] qu'avant d'être dilettante et pierrot j'ai séjourné dans le Cosmique. » De la poésie cosmique et métaphysique des premiers vers aux
Complaintes, donc, une mutation qui n'est pas pour autant un reniement, comme l'atteste la persistance dans les Complaintes des motifs « philo » - mais démystifiés, déniés par le genre même de la « complainte » qui, en tant que « chanson », est en somme la version populaire, « naïve », de la poésie élégia-que.
 
Un des thèmes majeurs en sont les \"Cosmogonies\" et la gravitation universelle par laquelle l'homme, ignorant de sa destinée, est mû, en même temps que la Terre et les astres. La \"Complainte du temps et de sa commère l'espace\" offre un bon aperçu du travail d'écriture accompli par Laforgue depuis \"le Sanglot universel\" ou \"Désolations\" (Premiers Poèmes). Le « Cosmique » des noces du temps et de l'espace, la méditation toute pascalienne sur l'« infini sans fin » de l'espace sidéral y sont dédramatisés par des exclamations incongrues et des commentaires ironiques. La métaphysique pascalienne (la \"Complainte d'une convalescence en mai\" cite la Vie de Pascal de Gilberte Périer) y est infléchie vers un pessimisme très scho-penhauerlen obsédé par le « néant » : « Extrais-nous donc alors de ce néant trop tout ! », lance le poète à Dieu, en qui il a cessé de croire (dans \"Justice\", un poème inédit de 1880 : «Je songe aux jours bénis où je croyais encore, / Où j'allais, confiant dans ce Dieu qu'on adore »). Le « goût du néant » -Laforgue reconnaît sa dette à Baudelaire, qu'il a même plagié dans ses premiers poèmes (\"Recueillement du soir\", \"Spleen\") - s'associe à la mode schopenhauerienne de l'Orient, vers lequel il s'agit de se tourner pour se purifier, échapper à la \"Pensée\", « lèpre originelle, Ivresse insensée », et accéder à la sagesse ascétique (comme dans la \"Complainte des Mounis de Montmartre\") de l'hindouisme et du bouddhisme. Mais c'est d'abord à travers la


laforgue

« Philosophie de l'inconscient de Hart­ mann, traduite par Nolen en 1877, que Laforgue lit Schopenhauer.

L'idée d ' une "fatalité ,.

du vouloir-vivre - "Au petit bonheur de la fatalité ,., selon l'exergue -fait de l'homme le jouet de l'Inconscient cosmique, qui " brouill[e] les cartes, les dictionnaires, les sexes ».

La "Co mplainte propitia ­ toire à l'Inconscient", au début du recueil, parodie le « Notre-Père " pour mieux sacraliser le principe hartman ­ nien de l'univers : «Que votre inconsctente Volonté 1 Soit faite dans l'Éternité 1 ,.

L'attitude de Laforgue à l'égard de cette métaphy sique cosmique est ambivalente .

La persistance des thèmes doloristes des premi ers poèmes marque son attachement à un matérialisme du «néant ,., do nt seule la «pureté " de l 'Art sauve l'homme ; mais il les pré­ sente dans un contexte fortement dévalorisant créé par l'emploi constant de substantifs (les corps sont des « cloa­ ques ,., l'amour un «holocauste vivi­ pare »), ou d'adjectifs péjoratifs( « vieil­ lot,., «falot»), de néologismes aux suffixes suggestifs ( « crépusculâtre ,.

).

Les mot s-valises et les calembours extrêmemen t inventifs(« étemulllité ,., « sexctproques ,., « voluptantes ,., « vio­ luptés ,., " spleen uosités ,., etc.) sem­ blent remplir le même rôle démystifi­ cateur.

En outre, Laforgue ne manque pas de mettre en scène cette métaphy­ sique comme pour s'en démarquer iro­ niquement .

La théâtralisation des Complaintes grâce au dialogue (la "Compla inte des journées " est quant à elle sous- titrée : "Monologue , s.v.p."), permet de d édramat iser de mani ère c athartiqu e l'angoisse cosmique, comme le sug gère la très caricaturale "Complainte de s voix sous le figuier bouddhique" , qui confronte les " communiantes » aux "voluptantes ,., aux " paranymphes » et aux « jeunes gens ».

La "Complainte des formalités nuptial es" met en scène une sorte de dialogue métaphysique entre « lut » et « elle ,.

transposé pour le Boulevard.

En l'ab sence même de didascalles, le po è me crée une polyphonie par un jeu de que stions et de réponse s et l'emploi de la deuxième personne.

Le théâtre - du côté de la comédie de Boulevard bien plus que de la trag édie -co ntribu e à transformer la métaphys ique en cha ­ grins domestiques .

Au -delà du jeu dramatiqu e des voix qui se répondent, c'est bien à une poly ­ phonie des styles et des genr es que les Co mplaintes aboutissent, qui unissent l e sér ieu x de la phil osophie scho­ penhauerienne et le lyrisme précie ux d es « déca de nts ,.

au Bouleva rd et à la c han so n populaire : « Mon Cœur est un lexique où cent littératures 1 Se lar­ de nt sans répit de divines rature s.

,.

La critique a reco nnu l'ex traordi­ naire modernité d' un e versification qui varie constamment les mètre s, avec un goût pour les vers très brefs (3/4/5 syl­ la bes ), et les schémas de strophe s, de l a longue séquence à rime s plat es aux d istiq ues.

Assurément, la "Complainte­ ép itaphe " sur laquell e se clô t le recu eil co ntri bue, davantage encore que le vers lib re- do nt Laforgue est d'aille urs vraisemb lablement le premier théori­ den, avant Gustave Kahn-, à la « C rise de vers » constatée par Mallarm é : « La Femme, 1 Mon âme ; 1 Ah ! quels 1 Appels ! [ ...

] 1 Un fou 1 S'avance 1 Et danse.

1 Silence ...

1 Lui, où ? 1 Cou­ cou.". »

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