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CHUTE (la). Récit d'Albert Camus (analyse détaillée)

Publié le 21/10/2018

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CHUTE (la). Récit d'Albert Camus (1913-1960), publié à Paris chez Gallimard en 1956.

Camus a d'abord imaginé la Chute comme une nouvelle qui devait s'ajouter à celles de l'Exil et le Royaume (1957) ; puis il s'est, selon son expression, laissé emporter par son propos. Ce récit en forme de monologue paraîtra pendant l'été de 1956, quelques mois avant le recueil auquel il était destiné. C'est la dernière œuvre achevée par Camus. Un an plus tard, il recevra le prix Nobel de littérature.

Dans un bar crasseux d'Amsterdam, un consommateur, qui dit s'appeler Jean-Baptiste Clamence. en aborde un autre, comme lui quadragénaire. français, bourgeoisement vêtu et cultivé. Il lui parle de la Hollande, terre de songe et d’histoire, où la vie quotidienne se teinte des couleurs du mythe (chap. I). Son monologue vire à la confession. Il fut naguère un brillant avocat parisien, respecté de tous et d'abord de lui-même. épris de hauteurs et de justice. Un soir, un rire, entendu par hasard, ébranla son assurance (2). Son image s'effrita à ses propres yeux : une petite lâcheté, une aventure sentimentale peu reluisante ; une nuit enfin, une jeune femme sauta dans la Seine ; il faisait noir, l'eau était froide ; il n'a jamais su ce que cette femme était devenue (3). La confession se poursuit dans une île du Zuyderzee. Du jour où il a découvert que tout n'était que comédie, Clamence s'est ingénié à tenir des rôles et à se rendre odieux pour détruire l'image d'honnête homme qu'on s'était forgée de lui. Dégoûté de l'amour, il s'installa dans la débauche, puis dans le mal-confort dont le Christ a donné l'exemple en mourant pour une faute dont il se sentait obscurément coupable (4-5). Clamence reçoit cette fois son compagnon dans sa chambre : il a la fièvre. À l'époque où il était prisonnier, il a un jour volé sa ration d'eau à un camarade agonisant Ayant fermé son cabinet d’avocat il exerce désormais à Amsterdam le métier de juge-pénitent Offrant à ses interlocuteurs de rencontre le miroir de ses crimes, il les persuade de leur misère. Il cache chez lui un tableau volé (les Juges intègres, de Van Eyck) dans l'espoir que son interlocuteur sera un policier et l’arrêtera. Hélas ! celui-ci lui ressemble trop : il est, comme lui, avocat (6).

 

Chacun des chapitres (non numérotés dans le texte) correspond approximativement à une journée. La confession progresse : la « chute » de la jeune femme dans la Seine n'en est qu'une étape, certes décisive puisqu'elle a, succédant à quelques signes avant-coureurs, déclenché la prise de conscience de Clamence ; mais, remontant plus loin dans son passé, celui-ci va découvrir un crime plus noir encore : c'est

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« volontairement qu'il a hâté la mort de son compagnon de captivité, en trahis­ sant un devoir de solidarité.

Comme la société condamne souvent les hommes pour une autre faute q,ue celle qu'ils ont commise (dans !'*Etranger, Meur­ sault était condamné à mort pour n'avoir pas pleuré à la mort de sa mère), le recel du tableau apparaît comme un subterfuge inventé par ela­ menee pour matérialiser une culpabi­ lité plus profondément enracinée ail­ leurs.

Au vrai, il se peut bien que tout ce dont il s'accuse ne soit qu'inven­ tion : suffit-il de se prétendre comédien pour convaincre de la fausseté de son caractère ? On en vient même à douter qu'il parle à quelqu'un : postulé grâce à un monologue qui reproduit parfois des bribes de réponses (procédé utilisé au théâtre, par exemple quand un acteur téléphone), l'interlocuteur pour­ rait aussi bien n'être qu'un double que Clamence a inventé pour tromper sa solitude et qu'il échoue finalement à imaginer sous d'autres traits que les siens.

Ce doute vertigineux sur le monde évoqué (que tout lecteur de roman traditionnel s'attache à croire réel) fonde la modernité de la Chute.

Ne demeure, en définitive, qu'un «texte».

Tèlle n'était pourtant pas (il s'en est expliqué) l'ambition de Camus.

Il a seulement voulu peindre « un héros de notre temps» (titre auquel il avait songé en composant son œuvre), c'est­ à-dire un intellectuel prisonnier d'une parole grisante, qu'il utilise comme un jeu pour pervertir les valeurs et qui lui permet de s'accuser pour mieuX accu­ ser les autres.

La technique du récit s'apparente ici à celle des Mémoires écrits dans un souterrain, de Dos­ toïevski ; que la Chute soit à peu près contemporaine des débuts du Nouveau Roman relève du hasard.

« Polémique Temps modernes ...

Leur seule excuse est dans la terrible époque», notait Camus en 1954.

À l'origine de la Chute, on trouve en effet sa querelle avec la revue de Jean-Paul Sartre, chez qui il dénonce une « aspiration à la servitude ».

Sans doute l'époque n'épargne-t-elle per­ sonne.

En prêtant à Clamence son pro­ pre goût pour le théâtre et le football, Camus a pu faire penser qu'il se livrait à une autocritique.

Comme Clamence, il s'est mis à détester cette étiquette de. »

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