Chatterton de Vigny (résumé)
Publié le 13/11/2018
Extrait du document
Chatterton
Salué lors de sa création comme un événement, Chatterton, drame en trois actes, fut représenté pour la première fois au Théâtre-Français, le 12 février 1835. Portée à la scène. L'histoire de Chatterton, déjà évoquée dans Stello, acquiert un relief et une force de conviction que le public contemporain, sensibilisé à la question du suicide, perçoit immédiatement.
A la source de l’œuvre, comme toujours, une « vérité morale », inséparable ici d’une « question sociale » d’actualité : « J’ai voulu montrer l’homme spiritualiste étouffé par une société matérialiste », déclare Vigny dans un texte qui servira de préface à l’ouvrage imprimé, « Dernière Nuit de travail ». Entre Chatterton, le poète par excellence, et John Bell, le « spéculateur heureux », le «juste selon la loi » pour qui « tout doit rapporter », se dresse l’obstacle majeur de l’incompréhension, dont est responsable une société qui s’impose à travers les termes d’« argent », d’« utilité » et d’« intérêt ». Le poète devrait pouvoir compter sur les autres hommes pour lui permettre d’œuvrer à sa propre tâche; or, non seulement la société l’ignore, ne sachant reconnaître ses grandeurs, mais elle lui interdit de parler, en lui refusant les conditions d’existence décentes : Chatterton souffre de la faim — et Vigny tenait au tableau de ce dénuement (« J’espère être assez positif.
«
gie
»).
Porteur d'une leçon morale consubstantielle à
l'action, Chatterton se lit d'abord comme une accusation
précise : «ce suicide fut un homicide de la société ».
Une action réduite à J'essentiel, des personnages en
qui s'allient clarté et complexité, une prose dramatique
limpide permettent au message de s'exprimer et de
s'épanouir en poésie.
Le résumé du drame que propose
Vigny renvoie à une intrigue particulièrement épurée :
«C 'est l'hisLOire d'un homme qui a écrit une lettre le
matin et qui attend la réponse jusqu'au soir; elle arrive et
le tue ».
Mais, par-delà ce schématisme voulu, s'affirme
l'événement majeur qui rend possibles la condamnation
de la société et la peinture d'une solitude essentielle :
« ce drame repose dans le mystérieux amour de Chatter
ton et de Kitty Bell», dit un texte explicatif de l'auteur :
«Sur les représentations du drame».
La pièce, de fait,
se concentre progressivement sur le tableau de cene pas
sion qui cherche à s'exprimer et à s'expliquer (« expli
quez-moi le trouble où me jette ce jeune homme»).
D'abord «pitié>>, puis «sympathie silencieuse et pro
fonde», l'amour de Kitty Bell pour le jeune homme
devient passion absolue, signe d'un accord natif, fondé
sur la souffrance, entre femme et poète.
Tous deux subis
sent également cette aimantation qui fait que l'un, en
l'absence de l'autre, parle sans cesse de lui et aspire à le
voir.
Tous deux enfin sont rejetés dans une même soli
tude, dont la mort ne les sauvera pas.
La lente révélation
de l'amour au fil des scènes aboutit à la découverte de
1' isolement indépassable de Chatterton, qui, par deux
fois au cours du liT• acte, apparaît seul sur scène.
Si Chatterton s'enferme dans un soliloque qui exprime
son éloignement de la réalité, les autres personnages font
entendre chacun une voix personnelle qui réactive la
sienne par modulation ou contraste.
Au style très imagé
de Chatterton, tour à tour mélancolique ou exalté, s'op
pose le langage de John Bell, le mari de Kitty, langage
fait de lieux communs, témoignant de préoccupa
tions tristement utilitaires.
Chez lui, comme chez
M.
Beckford, le maire de Londres, les mêmes mots
reviennent, trahissant l'égoïsme et le mépris de celui qui
force la poésie à demeurer dans la banalité et le silence.
A la violence verbale de John Bell répond le dialogue
grave et sensible de Kitty Bell et du quaker.
Ce dernier,
par sa présence sur scène, par l'emploi de formules cen
trées sur une métaphore simple et significative (John
Bell est« une espèce de vautour qui écrase sa couvée »),
ne cesse de commenter ou d'expliquer l'a ctio n comme
un chœur antique et contribue largement à donner au
drame une dimension proprement tragique.
Reprise périodiquement par la Comédie-Française, la
pièce fut proposée en 1977 par le Théâtre national de
Strasbourg dans une mise en scène très exigeante de Jean
Jourdheuil.
Cette pièce très écrite ne prend sens et beauté
que représentée; elle doit être conçue -et reçue -
comme un spectacle.
La musique d'une prose ouvragée,
l'émotion contenue ou déchaînée des personnages, le
dépouillement de l'intrigue, qui confine au classicisme,
font de Challerton la plus grande réussite de Vigny dra
maturge, et peut-être aussi du théâtre à l'époque
romantique.
Synopsis.
-Acte premier.
Appartement de John Bell .
Sur le conseil d"un vieux quaker, ami des Bell .
Kitty Bell
accepte que sa fille Rachel conserve la Bible offerte par
Chatterton.
locataire d"une modeste chambre dans la mai
son (sc.
1).
Des ouvriers viennent.
sans succès.
demander à
l'i ndu striel John Bell la grâce d"un des leurs.
qui.
blessé.
a
été congédié.
John Bell entreprend de ju st if ie r.
devant le
quaker.
fortement réprobateur, l'idée d'une vie entièrement
gouvernée par le calcul et le profit (sc.
11).
Rep roc han t à sa
femme une erreur dans ses comptes (s c .
111).
il effraie par sa
violence Rac hel.
à qui le quaker prédit une« vie d'esclave »
(sc.
IV).
Chatterton, qui vient d'écrire une lettre et qui a
résolu «d'être [lui]-même jusqu'à la fin"· s'entretient lon-
2614 guement
avec le quaker.
à même de définir la source de
ses souffrances : «en toi, la rêverie continuelle a tué l'ac
tion » (sc.
v).
John Bell.
préoccupé de la disparition de six
guinées.
questionne toujours sa femme.
mais accepte de
remettre l'affaire au lendemain.
Kitty s'interroge sur les
sentiments encore confus qui !"attirent vers Chatterton
(sc.
VI).
Acte deuxième.
Chatterton.
qui pense avec désespoir
avoir été reconnu par son ancien ami lord Talbot.
évoque
devant le quaker la personne.
pour lui sacrée, de Kitty Bell
(sc.
1).
Il refuse avec « orgueil" une invitation de John Bell.
qui le tient maintenant pour un " personnage de considéra
tion» (sc 11).
Arrivée de lord Talbot et de ses amis : ils
ironisent sur la sauvagerie de Chatterton.
insultent le qua·
ker et offensent grossièrement Kitty Bell (sc.
111).
Une tel le
insolence laisse Chatterton et Kitty Bell désemparés.
Devant le quaker désolé.
Kitty se met à douter de Chatter
ton.
qui.
lui-même.
devenu comme fou.
épro uve le senti·
ment d'être reje té par le monde entier.
y com pris la jeun e
femme : «Il n'y a personne sur la terre à présent qui ne me
soit étra n ge r" (sc.
IV).
Le quaker dévoile le mal de Chatter
ton.
hanté par l'idée du su ic ide .
le «crime des crimes "· à
une Kitty Bell bouleversée.
qui s'enfuit quand le quaker
évoque la passion du jeune homme pour elle (sc.
v).
Acte troisième.
Dans sa chambre.
"sombre.
petite.
pau
vre.
sans feu ».
Chatterton réfléchit à Kitty Bell (« Il es t cer·
tain qu'elle ne m'aime pas») et à son propre destin de
poète incapable d"atteindre la perf ection (« ce poème-là
n"est pas assez bea u» ).
Constatant son échec.
il ne voit
son avenir que dans la mort (sc.
1).
Il expose devant le
quaker la décision qu'il a prise de se tuer; le quaker.
pour
le sauver.
lui révèle !"amour de Kit t y Bell (sc.
11) puis invite la
jeune femme à considérer le départ du poète comme une
nécessité (sc.
111).
Lord Talbot revient.
porteur de mauvaises
nouvelles : Chatterton.
accusé de plagiat.
est en outre
menacé d"emprisonnement pou r dettes.
Tandis que son
mari veut chasser ce locataire devenu indésirable, Kitty
tente de lui ve n ir en aide en priant lord Talbot d'intervenir
auprès de son parent, M.
Beckford.
le maire de Londres
( s c.
IV).
Chatterton est prêt à accepter l'aide du maire, qui
représente à ses yeux !"Angleterre : "c'est sur l'Angleterre
que je compte » (sc.
v).
Devant un lord-maire paternaliste.
fermé à la poésie et qui le sermonne («Vous vous êtes
amusé à faire des vers.
mon petit ami: c'est bon pour une
fois.
mais il ne faut pas continuer»).
Chatterton se résig ne
à de meu re r incompris et consent «à tout» (s c.
VI).
Resté
seul.
il prend conscience de sa situation : ce que
M.
Beckford lui offre.
c'es t • une place de premier valet de
chambre dans sa maison ».
Devant tant de« sarcasmes • et
d"« hum iliation s •.
il appelle la mort comme une délivrance.
avale une forte dose d'opium et déchire ses poèmes « dans
l'attitude grave et exaltée d'un homme qui fa iit un sacrifice
solennel ''(sc.
vu).
Dans un premier et dernier duo d'amour
avec Kitty Bell.
il reconnaît qu'« il n'e st plus temps » (sc.
VIII).
Le poète mort .
Kitty s'éteint dans les bras du quaker.
John
Bell.
interdit.
se souvi ent qu'il projetait.
peu de temps aupa
r a v an t.
d"expulser Chatterton (sc.
IX)..
»
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