CHÂTIMENTS. Recueil poétique de Victor Hugo (1802-1885), publié en deux éditions simultanées à Bruxelles par Hetzel avec le concours de l'éditeur belge Henri Samuel en 1853 ; l'une, expurgée, avec l'indication « Bruxelles, Henri Samuel », l'autre, complète, sans nom d'éditeur et avec la mention « Genève et New York ». À partir de l'édition de 1870, première édition à circuler librement, le titre avec article (les Châtiments) prévaudra.
Depuis l'échec théâtral des Burgraves en 1843, Victor Hugo, sans cesser d'écrire, n'a rien publié : ni en poésie (les Rayons et les Ombres sont de 1840, ni en prose (le Rhin date de 1842) ; une seule exception : le pamphletNapoléon-le-Petit (5 août 1852), coup d'Etat littéraire, réponse au coup d'État politique de Louis Napoléon Bonaparte (2 décembre 1851) qui a valu au député Hugo, de plus en plus marqué à gauche, l'exil en Belgique, puis à Jersey. Tournant capital dans sa vie, l'exil métamorphose Hugo en figure antithétique du tyran. « Là-bas dans l'île », le mage plonge dans l'Histoire alors que la coupure de 1848 a signifié le divorce de la société et de la plupart des écrivains, désormais repliés sur leur création. Hugo y gagnera une stature inégalée dans l'Histoire française : celle de l'écrivain héros, populaire et mythique.
Le 2 Décembre lui apparaît comme une énigme. Un tel forfait ne peut s'expliquer que par l'absence momentanée de Dieu dans une Histoire qu'il orientait vers le progrès. Au proscrit donc de s'inscrire à contre-courant pour dire la vérité, au prophète de parler pour un Dieu caché. Le langage se fait alors Verbe pour ressusciter le monde et, lumière rayonnante, lui donner ses lois morales, politiques et poétiques.
La Préface place le recueil sous le signe de la fulgurance : « Si l’on met un bâillon à la bouche qui parle, la parole se change en lumière, et l’on ne bâillonne pas la lumière. » Le devoir poétique, l’acte de parole comporte 6 200 vers surtout composés à partir d’octobre 1852, structurés selon un principe que Hugo adoptera pour ses recueils futurs. Entre “Nox”, nuit du coup d’État, et “Lux”, avenir radieux de la République après la chute de l’Empire, sept livres, dont les six premiers reprennent les formules officielles par lesquelles l’usurpateur prétend légitimer son forfait, déclinant par antiphrase les crimes du régime et, mimant le parcours de Josué autour de Jéricho (“Sonnez, sonnez toujours clairons de la pensée\", livre VII, I), font surgir la parole vengeresse et justicière : « La société est sauvée » (I), « L’ordre est rétabli » (II), « La famille est restaurée » (III), « La religion est glorifiée » (IV), « L’autorité est sacrée » (V), « La stabilité est assurée » (VI). Quant au septième, il résume en son titre toute
l'espérance du poète : « Les sauveurs se sauveront » (VII).
L'unité d'inspiration va de pair avec la diversité des tons : violence indignée, accents pathétiques, ironie assassine, gouaille, passion, sarcasmes, sublimes envolées... La parole poétique, jugement, sentence et exécution, doit en effet se démultiplier en autant d'actes, en un florilège des genres. Si les recueils précédents privilégiaient la couleur, obtenant ainsi leur unité tonale, les Châtiments déploient élégie, épopée, invective, chanson (le mot sert cinq fois de titre), satire, diatribe, discours, fable (\"Fable ou Histoire\", III, 3), vision prophétique.