CHAR: Fureur et Mystère

« texte ne peut néanmoins être considéré comme purement circonstanciel : il se rattache parfaitement par ses thématiques tout autant que par sonsouffle particulier aux autres pièces de Fureur et Mystère composées dans une plus grande sérénité de vie, si ce n'est dans une plus grande sérénité d'esprit. Ce qui traverse Fureur et mystère, comme toute l'oeuvre de Char, c'est la dynamique, le mouvement.

Un mouvement non pas souple et gracieux mais violent et inspiré, quasi incantatoire.

Char est par excellence le poètede l'énergie et de l'exigence.

Dans «Argument», pièce mise en exergue de Seuls demeurent, l'écrivain nous invite d'emblée au dépassement dans la tension : «L'homme fuit l'asphyxie [...] Déborder l'économie de la création, agrandir le sang des gestes, devoir de toute lumière.» L'économie est une notion haïe par le poète, car c'est une notion raisonnable, restrictive.

Tandis que la fulgurance,qui permet d'unir les contraires, est seule salvatrice : «Si nous habitons un éclair, il est au coeur de l'éternel.» Ce n'est pas des surréalistes que Char se montre ici l'émule.

Les «jeux sur les mots» pratiqués par le groupe d'AndréBreton lui semblent en effet stériles.

Un des modèles qu'il revendique est le philosophe présocratique Héraclited'Éphèse, qui évoquait déjà, au vie siècle avant Jésus-Christ, «l'harmonie de forces opposées comme de l'arc ou dela lyre».

Il ne s'agit pas simplement de créer un effet de surprise, d'engendrer le frisson de l'insolite en mariant desmots qui ne cohabitent généralement pas dans la langue.

Ce qu'il faut, c'est, selon les propres termes de Char,atteindre, par une «commotion graduée» à une «connaissance productive du réel». 3.

L'HOMME CONGÉDIÉ PAR LA CRÉATION Ce réel, le poète y est constamment attentif.

Char apparaît comme un écrivain en accord fondamental avec la nature : «Un oiseau chante sur un fil Cette vie simple, à fleur de terre. Notre enfer s'en réjouit» («Un oiseau») «J'ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l'assaut de la pierre de l'éternité.» («Afin qu'il n'y soit rien changé») Cet accord va de pair avec une nostalgie de l'enfance, qui exclut tout mièvre attendrissement.

Dans le même esprit,Char éprouve une réelle prédilection pour les temps primitifs — il est fasciné par la préhistoire, lieu des premierssurgissements, terre d'une humanité encore authentique. «Combien durera ce manque de l'homme mourant au centre de la création parce que la création l'a congédié ?» («À la santé du serpent») Ainsi, cette poésie vise en jetant un «coup de sonde dans l'inconnu» à créer un traumatisme bénéfique quipermettrait à l'homme de se «requalifier» à l'intérieur du monde.

: «Redonnez-leur ce qui n'est plus présent en eux Ils reverront le grain de la moisson s'enfermer dans l'épi et s'agiter sur l'herbe («Redonnez-leur...») Pour tenter d'atteindre cette visée, «le poète doit tenir la balance égale entre le monde physique de la veille et l'aisance redoutable du sommeil [...]» («Partage formel») Cette dialectique de la réalité et de la surréalité donne naissance aux explosions verbales qui sont si caractéristiques de l' oeuvre de Char, violemment aphoristique.. »