Capitale de la douleur. Recueil poétique de Paul Éluard (résumé de l'oeuvre & analyse détaillée)
Publié le 24/10/2018
Extrait du document
«
motif de la douleur, de la souffrance,
du malheur et d'une destinée funeste
qu'il faut sans doute rapporter au
tae
dium vitae [dégoût de la vie] que vou
lait exprimer le voyage de
1924, mais
aussi, assurément,
au décadentisme
laforguien qui marque l'entrée
en poé
sie
de l'auteur : Premiers Poèmes (1913-
1918),
le Devoir et l'Inquiétude (1916-
1917)
et le Rire d'un autre (1917).
À cet
égard,
Capitale de la douleur est, avec Le
temps déborde de 1947, écrit après la
mort de Nusch, le recueil dont la tona
lité est la plus sombre et, peut-être, la
moins conforme à l'image communé
ment reçue de la poésie d'Éluard.
Ce
''désespoir qui n'a pas d'ailes»
("Nudité de la vérité"), étonnamment
proche du "Verbe être" dans le Revolver
à cheveux blancs (1932) de Breton,
introduit une négativité rare chez
Éluard,
et dont la corrélation est étroite
avec les tensions stylistiques.
L'in
fluence de Verlaine
se fait même sentir
dans ces poèmes qui évoquent par
fois
la figure du « poète maudit >> dont le «malheur.» est narcissiquement
chanté par une prosodie envoûtante :
Larmes des yeux, les malheurs des malheureux, Malheurs sans intérêt et larmes sans couleurs.
[ ...
] Il fait un triste temps, il fait une nuit noire À ne pas mettre un aveugle dehors.
("Sans rancune")
Éluard, qui avait sans doute lu les
Œuvres de Rimbaud publiées en 1898
par Paterne Berrichon, proclame avoir
«quitté le monde», «un monde
dont [il est] absent >> ("Giorgio de Chi
rico").
Les « absences >> des «Nouveaux
Poèmes
>> témoignent aussi d'un
malaise fondamental : celui de la
«douleur>> d'être au monde.
«Mourir de ne pas mourir>>, bien
évidemment, reprend cette thématique
doloriste, mais
pour la rattacher à la
lyrique amoureuse médiévale
et renais
sante et, au-delà, à la mystique.
Le titre est
en effet
inspiré du célèbre « Que
muero porque no muero >> de Thérèse
d'Avila, devenu
topos du «mal
d'amour» dans la poésie européenne
du xvie et de la première moitié
du xvne siècle.
Gala, à qui sont dédiés
les« Nouveaux Poèmes>>, est au centre
de ce recueil ; Éluard,
ayant entre
temps rencontré Nusch, évoquera
en 1929 dans la Révolution surréaliste
l'aliénation de sa liberté par une
femme« inquiète» et« jalouse».
C'est
aux souffrances
et aux affres de l'éros
que le recueil est
donc consacré, pro
che en cela des Mystérieuses Noces de
Pierre-Jean Jouve, publiées
en 1925.
Le
motif de la «chasse», des «liens>>, des
«jours de captivité», omniprésent, se
trouve ainsi remotivé, tissant un réseau
serré d'images au
fil d'un recueil qui
s'inscrit dans la grande tradition
de la
Vita nuova de Dante, puis du pétrar
quisme.
De là, peut-être, la présence à
la fois obsessionnelle
et anonyme
d'« une femme >> qui, telle la « pas
sante» de Baudelaire qu'évoque irrésis
tiblement "Ronde", demeure la «belle
inconnue>>.
Souvent évoquée à la troi
sième personne par un « elle ,, indéter
miné dans «Répétitions», la femme
aimée devient progressivement
une
interlocutrice.
«Tes yeux sont revenus
d'un pays arbitraire ...
>> Les «Nouveaux
Poèmes>>, qui hésitent encore entre la
communication directe et l'évocation
indirecte, s'achèvent pourtant sur une
série d'invocations jusqu'à l'admirable
et justement célèbre : « La courbe de
tes yeux fait le
tour de mon cœur ...
>>
Et le recueil de se clore sur : «Tu es
pure, tu es encore plus pure que moi
même >>, qui consacre la transitivité de
cette poésie
entièrement vouée à sa
destinatrice, à la fois proche et
inacces
sible.
Mais il convient, néanmoins, de
ne pas surévaluer la distance entre le
poète et la
dame; car Éluard ne man
que pas de représenter l'union
accomplie, qui deviendra la thémati-.
»
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