CANTATRICE CHAUVE (La) Eugène Ionesco. Anti-pièce en un acte
Publié le 29/09/2018
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EUGÈNE IONESCO: La Cantatrice chauve
Quand l'homme n'est plus auteurUne horloge détraquée, qui sonne n'importe quand, et dont les signaux ne veulent plus rien dire (comme on dit, carune horloge ne « dit » rien).
Il y en a une dans le décor de La Cantatrice chauve.
C'est peut-être bien un de sespersonnages principaux, ou même un de ses emblèmes les plus significatifs.
Cette pièce de Ionesco ressemble avanttout à une mécanique qui fonctionne toute seule, sans pilote humain.
Tout y fonctionne de la sorte : et si lespersonnages ont l'air de nous ressembler, c'est une coïncidence, la même que celle qui fait qu'une horloge détraquéequi sonne cinq coups à minuit semble annoncer cinq heures.
Les paroles, les répliques de la pièce sont écrites seloncette recette du dérèglement.
Elles sont montées exprès ainsi par l'auteur comme un horloger monterait un réveil detravers pour ne pas donner la bonne heure, afin de signaler, peut-être, à ceux qui veulent un réveil que son usagen'est pas utile, parce que le temps change continuellement.Ionesco se penche sur le ressort central du théâtre, l'échange des paroles, la mécanique du langage, et le détraquevolontairement, dans le but de...
remettre les pendules à l'heure : sait-on ce qu'on fait quand on parle ? Sa pièce apour but de le demander, en faisant tout fonctionner de travers pour que le public le remette lui-même, s'il le peut,à l'endroit.
Le théâtre est un lieu où les hommes sur scène font semblant d'inventer leurs mots, alors qu'ils sontécrits par un auteur : peut-il ainsi représenter ce que nous sommes ? La parole dans la vie réelle, pour sa part, estun outil dont il faut savoir sans cesse être l'auteur, sans quoi on n'est plus que le personnage d'une pièce insenséeécrite par quelqu'un d'autre.La Cantatrice chauve est la pièce qui fait regarder simultanément ces deux endroits à la fois, en les attaquant l'unpar l'autre.
Une pièce qui fonctionne de travers...
impeccablement chaque soir depuis trente ansAttaquée à la quasi-unanimité à sa sortie, la pièce est devenue une véritable institution parisienne, et même unmonument, qui, comme les autres lieux touristiques, se visite de façon presque obligée, au moins une fois pour unParisien dans sa vie, et de façon quasi religieuse pour les intellectuels étrangers de passage à Paris.
Elle faitdésormais partie de son décor, les Japonais ( ?) s'y rendent par autobus entiers.
Elle a dépassé la onze mille neufcentième représentation, dans le célèbre petit théâtre de la Huchette, de quelques centaines de places, etdésormais figé sur son programme immuable comme un restaurant à plat fixe et unique, puisque la pièce y estcouplée avec La Leçon depuis plus d'une trentaine d'années.Chaque soir, les deux pièces se donnent avec une régularité mécanique qui leur va à merveille.
L'automatisme deces répétitions a de quoi refléter le contenu et le projet de la pièce même.
Il y a quelque chose à la fois decomique, d'absurde et d'hallucinant à ce que tous les soirs à Paris, quoi qu'il se passe (à la seule exception de mai68), depuis trente ans, les Smith et les Martin, à heure fixe, sortent devant la scène comme les personnages d'unehorloge mécanique (celle qui dans la pièce ne sait plus compter le temps) et redébitent leurs absurdités.
Ceressassement absurde lui-même à force de routine, qui a pris possession de tout un théâtre, prolonge celui dont ilest question sur la scène : c'est son sujet.
Résumé
Rien de plus simple que de résumer La Cantatrice chauve, mais surtout, rien de plus inutile.
On y assiste à une soirée « comme les autres » chez les Smith, qui commence par une conversation entre époux, sepoursuit par la réception des Martin, puis de l'arrivée d'un pompier voisin.
De temps en temps, la bonne dit quelquechose, et la pendule sonne, n'importe comment.
La pièce se termine dans la confusion verbale la plus totale, lesacteurs hurlant, exaspérés, des mots et des sons sans suite.
Puis on comprend que tout va recommencer au début.Dire cela, c'est à la fois évoquer toute la pièce et n'en rien dire : car l'essentiel est de signaler que rien de ce quis'échange entre les personnages ne contribue à l'action, ni ne présente ce qu'on appelle d'ordinaire un sens suivi etcohérent.
Les personnages ne se parlent pas directement, ou répondent à côté de ce qui vient de leur être dit.
S'ilsentament une conversation, un débat ou une controverse, c'est en échangeant soit ce qu'on appelle des parolestoutes faites, soit en laissant se croiser des répliques qui n'ont pas entre elles de lien logique évident : au contraire,rien de ce qui est dit ne semble relever d'un échange raisonnable.Et cependant, peut-on dire que l'on assiste à des échanges de paroles entre les fous d'un asile ? Non, car,précisément par l'aspect manqué de ces échanges, la pièce évoque chez les spectateurs le sentiment de quelquechose de familier et de reconnaissable par rapport à la vie quotidienne des gens dits « sains d'esprit ».
Elle rappellece qui se passe quand des personnes, même sensées, parlent sans se comprendre, emploient un mot ou une idéepour une autre, ou manifestent évidemment qu'ils parlent, comme on dit, « pour ne rien dire ».C'est ainsi qu'une pièce où les gens agissent continuellement comme des aliénés réussit à paraître représenter denombreux moments où dans la vie raisonnable, des gens croient se montrer sains d'esprit et d'actes et ressemblentà des fous.
Le véritable héros de la pièce : le langageMais dans cette ressemblance, et du fait qu'elle est possible, on a vite fait de dire que la pièce est un portrait de ce.
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