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BRUGES-LA-MORTE. Roman de Georges Rodenbach (fiche de lecture et critique)

Publié le 15/10/2018

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BRUGES-LA-MORTE. Roman de Georges Rodenbach (Belgique, 1855-1898), publié à Paris en feuilleton dans le Figaro du 4 au 14 février 1892, et en volume chez Marpont et Flammarion la même année.

 

Dans le Règne du silence (1891), Rodenbach évoquait déjà les secrètes relations de Bruges et de son âme : « Ô ville, toi ma sœur à qui je suis pareil [...] Moi dont la vie aussi n'est qu'un grand canal mort. » Un an plus tard il revient sur le sujet, faisant de la Ville le « personnage essentiel » d'un roman qui lui emprunte son titre : Bru-

ges, ville-décor mais surtout, par-delà les descriptions, ville-état d'âme « orientant une action ».

 

Après avoir perdu sa jeune épouse, Hugues Viane est venu se fixer à Bruges dont l’atmosphère de ville morte et mélancolique correspondait à son humeur chagrine. Depuis cinq années, il vit seul avec Barbe, une vieille servante dévote, vouant un culte quasi mystique aux souvenirs de la défunte - en particulier à sa blonde chevelure qu’il a mise sous verre.

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« •cont es cruels).

Mais Rode nbach, en superposant les deux thèmes, conduit Hugues Viane là même où le hér os ner­ valien s'était arrêt é, c'est-à-di re à la « conclusi on " d'un " drame " que la comédienn e Aurélie lui refusait : alo rs que le promeneur du Valois « reprenait pied sur le réel " pour échapper à la folie, l' am oureux de Bruges «pe rd la tête" (ch ap.

15) et s'abandonne au meurtre.

Bru ges-la-Morte est donc bien le récit d'un fai t di vers criminel, ainsi qu 'une tradition critique se plaît à le souligner.

Mais, outre qu'un tel juge­ ment pourra it s'appliquer à no mbre de textes, depuis le *Rouge et le No ir jus­ qu 'à *Madam e Bovary, il ne re nd pas compte de l' ex traordinaire agence­ m ent de cette « étud e passionnelle » (Avertissement ).

Car le bref roman de Rodenbach pro­ cède par tout un jeu de répét itions et d'écho s qu i, peu à peu, enferment le héros dans un laby r inthe qu'il a lu i­ mêm e const ruit à force de traq uer res­ se mblan ces et analogies .

" À l'épo use m orte devait correspondre u ne ville m ort e ,.

(chap.

2) : ai n si Bruges est-elle devenu e le pre mie r double de la d éfu nte, ép ouse de pierre et d'ea u qui prolonge par son atmosphère mysti qu e («la Ville a surto ut un visage de croyante,., souligne le narrateu r au cha p.

11) Je deuil em preint de religio­ sité du veuf (significativement, la chro­ nologie du récit est rythmée par les f ê te s religieuses).

Puis la rencontre av ec jan e est venue trouble r cette harmonie m étaphy sique : avec elle le phys ique pas se au premier plan, introduisant le p éc hé dans l'existence de Viane (et à jane est associé un champ sémantiq ue h autement symbolique: elle joue dans Rob ert le Diable, sa voix est qualifiée de "d iabolique», etc.

).

Dès lors, la Ville, abandonn ée et délais sée comme une épo use trompée, n'aura de cesse de se venger : après les on-dit réprobateu rs pui s moqueurs (chap.

5) et les mises en garde du béguinage (chap.

8), ce sont les tours « qui prennent en dérision so n misérab le amour" (chap .

10), puis l es cloches qui " le violent et le violen­ t en t pour [le] lui ôter» (cha p.

11).

Veuf d e sa femme et de sa ville, Hugue s connaît alors la s.ouffrance.

Mais celle­ ci procède moins d' un sentiment de cu lpabilité (évacuée au nom de l'analo­ gie : " il croirait reposséder l'autre [sa femme] en posséda nt celle-d [Jane ]» ) que d' un effondrement de son prop re mod e de pens ée : ce qui s'écroule, c'est le mythe de l 'identiqu e sur leque l toute sa vie était construite .

Dès lors, l'éc art e ntre la morte angélisée et la vivante progressivement satanisée ne cessera de croî tre, minant Viane de l'intérieur en transforma nt sa certitude «d' une ressemblance qui allait jusqu'à l'iden ­ tité» (chap.

2) en «u ne figure de sexe et de mensonge ,.

(chap.

11).

Parcours où le réel s'impose tragiquement au rebours d'un touchant men so nge entreten u comme une vérité : d'où la place du fantastique dans le texte, décalé dans son objet (ce qui susci te l'hési tation de Viane, ce n'est pas la réalité du phénomène qu'il vit mais celle de son amour pour ja ne) et dans le temps (il croît jusqu'à la crise finale au lieu de se résorb er au fil des chapi­ tres).

Oui, comme le disait Mallarmé à Ro denbach en sa prose particuliè r e, Bruges-la-Morte est bien une « histoire humaine si savante ,.

!. »

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