BONNES (les) de Jean Genet (fiche de lecture et critique)
Publié le 15/10/2018
Extrait du document
«
peut n'être que du faux et le meurtre
au
« tillol >>, un avatar d'une représen
ta tion touj ours reconduite du meurtre
de Madame-Claire par Solange.
Huis clos à deux interrompu par
l'apparition centrale de Madame,
les
Bonn es ont pour moteur la fasci na tion
répulsion :
d'une part les bonnes haïs
sent Madame
et ne rêvent que de la
détruire
en faisant enfermer son
amant; d'autre part, elles l'idolâtren t :
Madame est pour les deux bonnes
comme
un totem devant lequel elles se
prosternent ou qu'elles souillent.
Il y a
dans cette pièce, des traces , des rémi
niscences de la cruauté telle que l'a
définie Artaud, les bonnes exerçant le
sadisme comme l'instrument
d'une
nécessité qui les dépasse.
Donc le sadique
n'est.
pas libre: une
dialectique infernale gouverne le rap
port intersubjectif des deux bonnes,
qui, liguées contre Madame, ne par
viennent jamais à se pardonner l'une à
l'autre l'abjection où elles se trouvent.
Lorsque, après la sonnerie
du réveil,
des moments d'attendrissement entre
les sœurs succèdent à la violence
rituelle contre Madame,
on voit réap
paraître entre elles deux l'antagonisme
qui est le décalque de celui qu'elles
entretiennent avec Madame.
Ainsi les personnages principaux
sont -ils enfermés dans des mécanismes
qui se traduisent jusque dans leurs
déplacements à la surface de la scène.
Selon la consigne de Genet lui-même,
«les metteurs en scène doivent s'appli
quer à mettre au
point une déambula
tion qui se sera pas laissée au hasard :
les bonnes et Madame se rendent
d'un
point à un autre de la scène, en dessi
nant une géométrie qui ait un sens».
D'où l'idée que le sadisme des Bon
nes n'est au fond que l'express ion de
la théâtralité elle-même : la pièce
annonce la dramaturgie radicale qui
régit les macrocosmes des
Nègres (1959)
et du
Balcon (1960) .
Ainsi la structure de
la pièce offre l'image
d'un rituel
impuissant à neutraliser le réel,
et qui ,
en fin de compte, se retire en lui
même.
Dans la première partie
du conte, les bonnes jouent à Madame et
sa bonne ; dans la deuxième, Madame
arrive
et perturbe l'organisation
rituelle .
des deux sœurs : c'est l'exté- .
rieur
qui s'engouffre dans la pièce
(encore Genet est-il tenté de déréaliser
cette entrée finalement si théâtrale
puisqu'il précise dans
une note : «je .
suggère que les metteurs en scène
éventuels remplacent les expressions
trop précises ...
par d'autres plus ambi
guës
>>) ; dans la troisième, .
Madame
repart et laisse les bonnes à leur échec,
sublimé
en suicide.
Madame n'est pas
l'Irma du
Balcon : elle est une vraie
Madame qui
«ne sait pas jusqu'à quel
point elle est bête, à quel point elle
joue un rôle» , tandis que les deux
sœu
rs sont de part en part conscientes
qu'elles sont les actrices
et les metteurs en scène de leur situation : « Tu ne
vo udrais pas qu'on ...
qu'on s'organise
dans le noir», confie à Solange Claire,
qui semble réticente à nommer ce qu'il
nous faut bien appeler jeu.
« Solange, tu me garderas en toi ,.
.
:
telle est l'une des dernières phrases des
Bonnes dont l'intrigue évolue vers
davantage d'enfermement
et d'autar
cie.
La victime adorée et haïe -
Madame -ayant disparu, reste aux
bourreaux
en jupons à se répartir la
tâche,
l'un restant bourreau, l'autre se
muant en victime, pour accomplir
l'acte meurtrier et résoudre concurrem
ment la cérémonie théâtrale..
»
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