BERNARDIN DE SAINT-PIERRE: PAUL ET VIRGINIE (Analyse)
Publié le 17/11/2010
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Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre est né au Havre le 19 janvier 1737. Enfant sensible, il puise dans ses lectures, notamment dans celle de Robinson Crusoé, de quoi nourrir une imagination fertile, peuplée d'aventures exotiques; à douze ans, il s'embarque avec l'un de ses oncles pour un voyage à la Martinique. De retour en France il reprend ses études, chez les jésuites, à Rouen et à Caen. En 1757, il entre à l'école des Ponts et Chaussées, mais l'établissement ferme bientôt sur décret royal et Bernardin de Saint-Pierre se fait admettre comme officier-ingénieur à Versailles. Enrôlé dans l'armée du Rhin en 1760, il en est renvoyé au bout de quelques mois à cause de son mauvais caractère. Pendant plusieurs années, il voyage alors en Europe, en quête d'une situation qui lui convienne. Après avoir séjourné successivement à Malte, en Hollande, en Autriche, en Pologne et en Russie — où il rêve de fonder une république idéale —, il est finalement envoyé, en 1768, à l'île de France (future île Maurice) comme capitaine-ingénieur du roi.
«Après tout qu'avaient besoin ces jeunes gens d'être riches et savants à notre manière? Leurs besoins et leur ignorance ajoutaient encore à leur félicité. Il n'y avait point de jour qu'ils ne se communiquassent quelques secours ou quelques lumières ; oui, des lumières ; et quand il s'y serait mêlé quelques erreurs, l'homme pur n'en a point de dangereuses à craindre. Ainsi croissaient ces deux enfants de la nature. Aucun souci n'avait ridé leur front, aucune intempérance n'avait corrompu leur sang, aucune passion malheureuse n'avait dépravé leur coeur : l'amour, l'innocence, la piété, développaient chaque jour la beauté de leur âme en grâces ineffables, dans leurs traits, leurs attitudes et leurs mouvements. Au matin de la vie, ils en avaient toute la fraîcheur: tels dans le jardin d'Éden parurent nos premiers parents...«
«
Inconsolable, il meurt peu de temps après.
On enterre les deux jeunes gens côte à côte et bientôt leurs mères lesrejoignent dans la tombe.
L'idylle s'achève en drame.
2.
«NOTRE BONHEUR CONSISTE À VIVRE SUIVANT LA VERTU»
Dernier volume des Études de la nature, Paul et Virginie a avant tout pour ambition d'illustrer les théories exposées par Bernardin de Saint-Pierre dans les précédents volumes :
«Je me suis proposé de grands desseins dans ce petit ouvrage.
[...] J'ai désiré réunir à la beauté de la natureentre les tropiques la beauté morale d'une petite société.
Je me suis proposé aussi d'y mettre en évidenceplusieurs grandes vérités, entre autres celle-ci, que notre bonheur consiste à vivre suivant la nature et lavertu.»
Le XXe siècle a souvent dénoncé la mièvrerie de Paul et Virginie, évoqué la sensiblerie de son auteur et accusé sa dimension didactique et édifiante.
Mais, réduire Paul et Virginie à une charmante et naïve peinture du bonheur dans l'innocence serait méconnaître ce que ce roman portait d'intentions philosophiques et à quel point les contemporainsde Bernardin de Saint-Pierre y virent se refléter certaines des aspirations de leur époque, à la charnière entre lesLumières et le romantisme.
L'influence de Rousseau sur Bernardin de Saint-Pierre est plus que jamais visible dans Paul et Virginie.
Le roman rappelle, dans sa manière de célébrer l'amour vertueux, La Nouvelle Héloïse, publié par Rousseau en 1761, et dans lequel le philosophe exalte, dans le cadre d'une micro-société idéale, le triomphe de la vertu, chez deux amants Julieet Saint-Preux.
Le mouvement de Paul et Virginie épouse dans sa structure l'opposition entre la nature et la société, telle que la concevaient Rousseau et Bernardin, l'une incarnant le bien, l'autre le mal.
Le roman dépeint cette société primitivedont Rousseau avait créé le mythe.
La première partie est une description de la vie des deux familles sur l'île : peud'action mais une succession de tableaux variés et charmants.
Le bonheur de Paul et Virginie et de leurs familles esten profonde harmonie avec la nature.
Jouissant de ses bienfaits, ils se contentent des joies simples qu'elle peut leurapporter et n'ont été pervertis par aucune des tentations qu'offre aux hommes la société :
«Après tout qu'avaient besoin ces jeunes gens d'être riches et savants à notre manière? Leurs besoins et leurignorance ajoutaient encore à leur félicité.
Il n'y avait point de jour qu'ils ne se communiquassent quelquessecours ou quelques lumières ; oui, des lumières ; et quand il s'y serait mêlé quelques erreurs, l'homme pur n'ena point de dangereuses à craindre.
Ainsi croissaient ces deux enfants de la nature.
Aucun souci n'avait ridéleur front, aucune intempérance n'avait corrompu leur sang, aucune passion malheureuse n'avait dépravé leurcoeur : l'amour, l'innocence, la piété, développaient chaque jour la beauté de leur âme en grâces ineffables,dans leurs traits, leurs attitudes et leurs mouvements.
Au matin de la vie, ils en avaient toute la fraîcheur: telsdans le jardin d'Éden parurent nos premiers parents...»
Bernardin de Saint-Pierre réactive avec Paul et Virginie le mythe originel du paradis perdu, de cet âge d'or où l'homme était protégé de lui-même par son innocence.
Mais dès la première partie, le spectre de la corruptionsociale plane sur ce petit monde de pureté et de vertu, sans arrêt évoqué par l'auteur comme un contrepointnégatif:
«Vous autres Européens, dont l'esprit se remplit dès l'enfance de tant de préjugés contraires au bonheur, vousne pouvez concevoir que la nature puisse donner tant de lumières et de plaisir.
Votre âme circonscrite dansune petite sphère de connaissances humaines, atteint bientôt le terme de ses jouissances artificielles : mais lanature et le coeur sont inépuisables.»
Dans un premier temps, les héros de Bernardin de Saint-Pierre savent se préserver de ces néfastes influences.
C'estainsi que Mme de la Tour, l'aristocrate, et Marguerite, la simple paysanne, deviennent, sous les cieux de l'île deFrance, les meilleures amies du monde, quand, dans la France du xviir siècle, les préjugés sociaux les auraientradicalement séparées.
Mais c'est pourtant en cédant à ces mêmes préjugés que Mme de la Tour provoqueral'irrémédiable malheur qui s'abat sur les deux familles.
Le départ de Virginie pour la France, où elle doit acquérir une«bonne éducation» et hériter de l'argent de sa tante, est l'événement qui vient briser la douce harmonie danslaquelle vivaient les deux familles : les conséquences de ce départ vers le monde civilisé seront désastreuses ettragiques puisqu'il se soldera non seulement par une désillusion (Virginie revient déshéritée) mais par la mort brutalede l'héroïne, qui périt comme une victime innocente:
«Voyez comme un pas vers la fortune nous a précipités tous d'abîme en abîme [...].
Les invitations d'uneparente riche et âgée, les conseils d'un sage gouverneur, les applaudissements d'une colonie, les exhortationset l'autorité d'un prêtre, ont décidé du malheur de Virginie.
Ainsi nous courons à notre perte, trompés par laprudence de ceux qui nous gouvernent.
Il eût mieux valu sans doute ne pas les croire, ni se fier à la voix etaux espérances d'un monde trompeur.»
En écho à Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre nous a délivré dans Paul et Virginie un message empreint tout à la fois d'optimisme sur la nature humaine et de pessimisme sur l'aptitude de l'homme à vivre en société..
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