BAUDELAIRE Le Spleen de Paris
Publié le 02/01/2020
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par leur artificialité, le « Galant Tireur » offrant « galamment la main » (p. 176) et « s’inclinant » (p. 177) vers l’épouse qu’il méprise, le «plaisant» faisant des politesses excessives à l’âne alors qu’il est « ganté, vemi, [...] dans des habits tout neufs » (p. 42). Et leur apparence fastueuse s’accompagne de discours sans appel, le « plaisant » n’attendant évidemment pas de réponse de l’âne et se retournant immédiatement «vers je ne sais quels camarades avec un air de fatuité » (ibid.), l’ami faussement charitable offrant à l’incrédulité du poète des « yeux [qui] brillaient d’une incontestable candeur » (p. 127) opposés à l’expression timide des « yeux suppliants » (p. 125) du pauvre, et le « Galant Tireur » insistant avec une lourdeur que marquent les italiques sur l’analogie qu’il établit plaisamment entre l’épouse et la poupée « nettement décapitée » (p. 177).
Dans ces trois poèmes, par des anecdotes brèves et sans conséquence apparente (si l’on excepte la rêverie du poète au sujet du devenir du pauvre dans « La Fausse Monnaie »), Baudelaire met en évidence un microcosme formé de trompeurs et de dupes, dans lequel la victime n’a d’autre choix que de disparaître dans le rire des moqueurs.
Un monde méprisable. Dans un deuxième temps de la séance, le professeur pourra faire observer comment la description de ce monde social lui applique le mépris dont il fait preuve. Il commencera par faire observer les situations dans lesquelles les personnages se trouvent. Ainsi, dans « Le Galant Tireur » (p. 176-177), le poète décrit l’une des activités habituelles des Parisiens oisifs, la promenade dans le bois, et ajoute à cette mention celle du stand de tir dans lequel l’activité consiste à « tuer le Temps » (p. 176). Difficile de ne pas y lire une version moderne du divertissement pascalien - à ce titre, la classe pourra consulter l’extrait des Pensées de Pascal proposé dans le Dossier («Divertissement », p. 269-270), un texte qui met en évidence la vanité des actions accomplies par des hommes dont « tout le malheur » vient « de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » (p. 269). Dans « Un plaisant » (p. 42-43), la saynète se déroule lors du nouvel an : loin de l’« explosion » positive promise dans la première phrase, la longue phrase averbale qui la suit présente la fête comme un événement marqué par le désordre d’associations incongrues, où
C’est pourquoi l’étude du Spleen de Paris aura pour objectif d’explorer les variations thématiques et scripturales auxquelles le poète s’est adonné. L’hétérogénéité apparente des textes y sera interrogée dans la perspective préconisée par les programmes d’une « quête du sens ». Pour ce faire, on pourra se baser sur les objectifs littéraires innovants énoncés par Baudelaire dans « À Arsène Houssaye », puisqu’il s’agit pour l’auteur du Peintre de la vie moderne « d’appliquer à la description de la vie moderne ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite [...] le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience » (Dossier, p. 239). Ainsi, les différentes séances proposées permettront-elles, par une série de comparaisons successives, de découvrir l’attention portée à la vie moderne des années 1860 par un poète dandy et lycanthrope’, conscient de la nature transitoire du réel : la forme du poème en prose est ici au service de la description, celle d’une réalité fluctuante qui tend à imposer sa sinistre et cynique matérialité aux esprits avides de « nuages qui passent » (« L’Étranger », p. 38). Et c’est cette étude du bouleversement du regard comme de l’écriture qui caractérisera le projet de lecture du recueil dans son ensemble.
1. S’appuyant sur une référence à Pétrus Borel, les préfaciers du recueil rappellent : « Le lycanthrope peut se définir comme un cynique à l’état sauvage : il est au cynique ce que le loup est au chien » (Dossier, p. 276).
«
les éditions actuelles privilégient le titre Le Spleen de Paris.
Pour clarifier le statut du recueil, la partie « Genèse et
contexte» (Dossier, p.
241-252) retrace l'histoire non seu
lement du titre, mais aussi
du« magma de projets» à partir
duquel les éditions successives ont façonné notre perception
actuelle
d'un recueil contenant cinquante titres rappelons
toutefois que
«Baudelaire avait [ ...
] le projet d'en écrire
le
double» (Dossier, p.
241) .
.Étudier Le Spleen de Paris en classe de première, c'est donc s;::
analyser une chimère éditoriale fondée sur des projets inaboutis, ~
relevant « de la volonté des éditeurs plus que de celle de · ,.......
l'auteur» (Note sur l'édition, p.
30).
Aurélia Cervoni et Andrea ~
Schellino établissent une genèse précise de l'œuvre, ce qui ~·
les conduit notamment à décaler la lettre-dédicace « À Arsène ~
Houssaye » dans le paratexte (Dossier, p.
238-239) au lieu
de la faire figurer, comme dans d'autres éditions, en tête
des poèmes.
Une fois posée l'artificialité du rassemblement
des poèmes et de leur ordre, ce
recueil· se révèle être un
support d'étude très pertinent dans le cadre de
la lecture
d'une œuvre intégrale en classe de première, et particuliè
rement au sein de l'objet d'étude portant sur l'« écriture
poétique et [la] quête du sens
» en poésie du Moyen Âge
à nos jours.
En effet, les élèves préparant le baccalauréat
doivent être sensibilisés à
« la relation qui lie, en poésie, le
travail de l'écriture
à une manière singulière d'interroger le
monde et de construire le sens, dans un usage de
la langue
réinventé».
Dans Le Spleen de Paris, ils pourront découvrir
l'expérimentation
d'une prose singulièrè, inscrite 'dans la
matérialité même du poème, mais également une vision du
monde renouvelée.
Baudelaire
s'y empare en effet du réel,
du prosaïque, voire de la laideur
ou d'une représentation
traditionnelle de l'immoralité, autrement dit
d'un matériau
a priori non poétique, qu'il a d'ailleurs déjà mis en œuvre
dans
Les Fleurs du Mal, recueil dans lequel il projetait de
transfonner
la « boue » du réel en « or » 1 poétique.
Et ce
matériau se prête à une série de variations, entre récits
(«La
Corde» p.
134-139), dialogues (« L'Etranger », p.
37-38)
ou encore descriptions (« La Chambre double» p.
44-47).
l.
«Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or», vers devenu célèbre
et qui clôture le projet d'épilogue des Fleurs du Mal de 1861 (Baudelaire, Les Fleurs du Mal, éd.
J.
Dupont, OF-Flammarion, 2016, p.
250).
83.
»
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