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AU CHÂTEAU D'ARGOL de Julien Gracq

Publié le 16/02/2019

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AU CHÂTEAU D'ARGOL, roman de Julien Gracq (écrit en 1938, publié en 1945). Réécrivant les romans noirs et les récits fantastiques d'Ann Radcliffe et d'Edgar Poe, donnant une version démoniaque du livret de Parsifal, le romancier lance l'imagination du lecteur vers les chemins les plus troubles de la passion et de la mort en utilisant l'arsenal romanesque le plus voyant, en dévelop-pant de longues descriptions au style apprêté, au rythme volontairement musical, en se référant, implicitement, aux mythes préchrétiens qui unissent l'individu au cosmos.

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« Julien Gracq (Au château d'Argol): Des hauteurs du château d'Argol, Albert contemple la plaine de Storrvan. L'orage se déchaînait sur Storrvan.

De lourds nuages gris aux bords déchiquetés accourraient de l'ouest avecvitesse, frôlant presque la tour qu'ils enveloppaient par moments des écharpes vertigineuses d'une brumeblanchâtre.

5 Mais le vent surtout, le vent remplissait l'espace du déchaînement de son poids épouvantable.

La nuitétait presque entièrement tombée.

Les passées (1) de l'ouragan, comme dans une chevelure fragile, ouvraient derapides et fugitives tranchées dans la masse des arbres gris qu'elles écartaient comme des herbes, et l'on voyaitalors l'espace d'une seconde un sol nu, des rocs noirs, les fissures étroites des ravins.

L'ouragan tordait follementcette crinière grise ! Il en venait un bruissement immense ; les troncs, tout à l'heure cachés sous un moutonnement de verdure, étaientdénudés par les secousses du vent ; on voyait leurs membres fragiles et gris tendus par l'effort comme un lacis decordages.

Et ils succombaient, ils succombaient — un craquement sec préludait à la chute, et puis millecraquements s'entendaient d'un coup, une cascade de sons retentissants que couvrait le hurlement de la tempête,et les géants s'engloutissaient. Alors l'averse déchaîna les fraîcheurs glaciales de son déluge comme la volée brutale d'une poignée de cailloux, et laforêt répondit de tout le rebondissement métallique de ses feuilles.

Les rocs nus brillèrent comme de dangereusescuirasses, la gloire (2) liquide et jaunâtre d'un brouillard humide couronna un instant la tête de chaque arbre de laforêt — un instant une bande jaune et lumineuse, merveilleusement translucide, brilla sur l'horizon où chaque arbredécoupa en une seconde ses moindres branches, fit luire les pierres brillantes d'eau du parapet, la blonde chevelured'Albert trempée de pluie, le brouillard liquide et froid qui roulait sur la cime des arbres d'un rayon doré, glacial etpresque inhumain —, puis s'éteignit, et la nuit tomba comme un coup de hâche. Vous ferez de ce texte un commentaire composé.

Vous pourrez étudier par exemple comment un phénomène naturelprend ici, grâce aux procédés poétiques auxquels recourt le romancier, une dimension fantastique.

Mais cesindications ne sont pas contraignantes et vous avez toute latitude pour organiser le commentaire à votre gré.

Vousvous abstiendrez toutefois de présenter une explication linéaire, et de séparer artificiellement le fond de la forme. (1) Passée : s'emploie pour désigner le chemin habituellement suivi par un animal. (2) Gloire : dans la peinture religieuse, halo lumineux entourant le visage ou la personne du Christ.

Aux confins du roman et de la poésie, l'œuvre de J.

Gracq accorde une attention toute particulière au décor.

Ladescription des phénomènes naturels y devient souvent fantastique, symbolique, mythique et mystique.

Nous nousen rendons compte à la seule lecture de la scène d'orage qui ferme le premier chapitre de son roman publié en 1938 chez José Corti : Au château d'Argol. Albert, l'un des trois personnages principaux du roman, vient de visiter ce château de Bretagne.

Il est sorti sur lesterrasses de la tour pour jouir du spectacle de l'orage. Entre deux notations de temps, l'orage se déchaîne sur la forêt et la dévaste avant de céder la place à une lumièremerveilleuse qui transfigure le paysage.

Vue à travers le regard du personnage-témoin, la scène prend sonautonomie.

Personnifications et images lui donnent un caractère épique.

Mais qui sont les acteurs de ce dramesacré ? Car ce texte fantastique est une énigme. La scène se passe à Storrvan.

Un personnage, Albert, est accoudé au parapet d'une tour.

Immobile, il assiste auspectacle de l'orage déchaîné sur le lieu.

Sobre et dépouillée, la première phrase annonce et résume l'ensemble eten donne le ton.

Le spectacle donne à voir et à entendre.

Deux notations de temps situent la scène entre chien etloup.

Pseudo-descriptive la première marque le début de l'action : « La nuit était presque entièrement tombée » (1.6-7).

La seconde met brutalement fin au spectacle : « la nuit tomba » (1.

32).

Le passage de l'action presqueachevée à l'action terminée (au passé simple) traduit la progression de l'événement.

Dans un laps de temps trèscourt l'orage nous a projetés en dehors du temps réel.

Celui-ci reprend ses droits à la fin. L'éclipsé du soleil au crépuscule explique le jeu des formes et des couleurs.

Le gris domine la première partie dutexte, plutôt descriptive (1.

1 à 20).

Nuages (l.

1), arbres (1.

9), terre (l.

1) et troncs (l.

13) ont cette pâleur delimbes qui cerne les formes.

Les teintes oscillent du « blanchâtre » (l.

4) au « noir » (l.

10).

La puissance du ventqui balaye les nuages permet d'entrevoir « par moments » (1.

3) le relief : « les passées de l'ouragan...

ouvraient derapides et fugitives tranchées (tons la masse des arbres...

et l'on voyait alors l'espace d'une seconde un sol nu...

»(l.

7 à 10).

« Les troncs, tout à l'heure cachés sous un moutonnement de verdure, étaient dénudés par lessecousses du vent ; on voyait...

» Conjonction de coordination et locutions adverbiales de temps expriment unrapport de cause à effet.

Bientôt les impressions auditives l'emportent sur les sensations visuelles : « Il en venait unbruissement immense » (l.

13) ; « un craquement sec préludait à la chute, et puis mille craquements s'entendaientd'un coup, une cascade de sons retentissaient que couvrait le hurlement de la tempête ».

Dans la seconde partie(1.

21 à 33) l'ordre s'inverse : on entend d'abord le bruit de l'averse lapider la forêt qui répond « de tout le. »

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