Antiquités de Rome (les) de Joachim du Bellay (fiche de lecture)
Publié le 15/10/2018
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«
monde et démiurgie poétique ren voient l 'une à l'autre, inscrivant la
Ville Étern elle dans un e dialectique du
sublime et du prosaïque, de l'Histoire et de la quotidienneté.
Entreprise magique
d'« invocation »,
les Antiquités de Rome ambitionnent de remonter le cours du temps, de recons
tituer la grandeu r passée à la seule
lumière des ruines présentes :
tout réa
lisme topographique s'abolit dans une
poétique incantatoire des ruines, qui à
la fois proclame le néant et re.ssuscite
ce qui n'est plus.
À l'instar d'un nécro
mant (5), le poète traque la vie de rrière
la
« morte peinture '"· Par bonheur, les
indices fragmentaires possèdent encore
une puissance su ffisante pour rappeler
la totalité
dont ils pro viennent: la plé nitude antique communique à ses ves
tiges, par-delà les siècles « injurieux,.,
une force qui éclipse les réalisations les
plus majestueuses du temps présent.
L'idée
de plénitude informe l'appré
hens ion du passé et attise la fascina
tion nostalgique du poète.
Rome en
effet ne se réduit pas, comme Athènes
ou Babylone, à une ville-phare parve
nu e à un très haut degré de civilisa
tion : en son extraordinaire développe
ment , elle devint une figure de
l 'universel ( « Rome fut tout le
mond e,., 26) et finit par s'identifier à
l 'ordre cosmique
(«Le plan de Rome
est la carte du monde », ibid.).
Une question lancinante et para
doxale traverse dès lors le recueil :
comment la plénitude put-elle sombrer
dans la corruption et la destruction ?
Du Bellay, à vrai dire, élabore moins
une réponse qu'il ne se laisse envoûter
par le mystère de la question :
il accu
mule des facteurs explicatifs hétérogè
nes, alléguant tantôt une causalité his
torique (les guerres civiles, les
invasions barbares),
tantôt la perma
nence d'un schème éthique dans l'Hi s
toire (l'orgueil et la toute-puissance
s'effondrent inéluctablement sous
le
poids de leur propre démesure), tantôt encore une fatalité désespérante inspi
rée de l'Ecclésiaste («Tout n'est rien
que vanité.,, toute vie terre stre est
s ujette à
la « mondaine inconstance»).
Histoire, mythologie et religion se
mêlent,
se superpose nt et se relaient :
seul
un discours fuyant et multiforme
peut rendre compte d'une pert e énig
matique qui engage le sort de l'huma
nité entière.
Recueil plus ambigu qu'il paraît,
les
Antiquités de Rome échappent à la rhé
torique convenue de la célébration et
de la déploration.
Les réduire, comme
on le fait trop souv ent, à l'orchestra
tion de quelque .s topoi philosophiques
et moraux en vogue à la Rena issance -
J e motif de la
"viciss itude », l'incerti
tude des gloires terrestres -affaiblit
considérab l
ement la densité poétique du texte.
Ca r l'unité du recu eil réside
moi ns dans
son orga nisation théma ti
que que dans sa perspective « magi
que», domin ée par le motif de
l'envoûtement et d e la fascination : les
"Je vy,.
anaphoriques du Songe, qui
exhibent de l a manière la plus nette le
p rincipe des 32
sonnets précédents,
font
du poète un spectateur ensorcelé
et peut-être dépassé par ses propres
cons truction s visionnaires.
Un mouve ment d'enrichissement récip roque
s'accomplit : si le poète rappelle
et res
suscite le passé, ce dernier vivifie c hez
lui l'or gane de la vision et transcende
ses capacités ordinaires.
Sous couvert
de rhétorique sublime,
les Antiquités de
Rome explorent en définitive l'activ ité
poétique
au plus près de son essence :
centre mythique de l'univers, la Ville
Éte rnelle devient
le point d'application
privilégié d
'une interrogation sur
l'én igmatique faculté de production
des images..
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