ANALYSE TEXTUELLE : LIAISONS DANGEREUSES Introduction Les Liaisons Dangereuses est un roman - qui nous illustre une mentalité - qui nous permet de mettre en place une méthode - qui nous permet de parler de la littérature de cette époque Point de départ LE FOND ET LA FORME, C'EST LA MÊME CHOSE Il n'y a pas d'idée préalable qui est paraphrasée/ embellie. Le fond et la forme constituent ensemble une ?uvre littéraire. Le contenu naît avec la forme : Laclos a commencé en écrivant des lettres et puis cette structure épistolaire est devenue une partie de l'intrigue. Liaisons Dangereuses est un roman qui exploite la lettre, l'épistolarité, les ressources épistolaires jusqu'à des extrêmes. cfr. le titre : Liaisons Dangereuses > danger de la séduction FOND > séduction qui se fait par lettres = danger de l'écriture FORME > TOUT CONSTRUIT L'importance de Les Liaisons Dangereuses : à un moment donné on demandait à André Gide ce qu'il emporterait à une île déserte. Il emporterait entre autres 2 livres : La Chartreuse de Parme et Les Liaisons Dangereuses. En revenant sut notre point de départ, dans ce cours la genèse textuelle sera très importante, cad le travail d'écriture qui a produit cette histoire. Le roman par lettres Pendant le XVIII, presque chaque roman contenait au moins une lettre. Trois variantes : 1. romans avec des lettres 2. roman dans une seule lettre MARGUERITE YOURCENAR, Mémoires d'Adrien > une lettre de 300 pages à son successeur Marcus Aurelius 3. roman par lettres = entièrement composés de lettres C'est la dernière variante que nous allons examiner. Typologie 1) MONODIE - un seul épistolier - exemples : CRÉBILLON, Les lettres de la marquise GUILLERAGUES, Lettres portugaises (1669) > Dans Lettres Portugaises une religieuse, Marianne, est séduite par un officier français. // contexte socio-historique : en Portugal, il y avait beaucoup de couvents très ouverts importance : dans seulement 5 lettres on passe par divers sentiments amoureux, de l'amour brûlant jusqu'à la haine quant au style, il est vraiment merveilleux pendant longtemps on croyait qu'il s'agissait de véritables lettres (en Portugal il existe toujours un courant qui croit que c'est un chef d'?uvre portugais) - la monodie pure est rare, on entend souvent la voix de l'autre 'une voix en filigrane' (une voix qui n'est pas tout à fait clair / filigrane = watermerk) 2) DUO-ÉPISTOLAIRE - 2 correspondants - exemple : BLZAC, Les mémoires de 2 jeunes mariés - assez rare 3) LA POLYPHONIE - plusieurs épistoliers - exemples : CHODERLOS DE LACLOS, Les Liaisons Dangereuses Mme DE STAEL, Delphine > roman 'symphonique' encore plus complexe qu'un roman polyphonique cette complexité est due entre autres au fait qu'il s'agit d'une dialogue entre une voix transparente et une voix opaque Quelques éléments de narratologie La narratologie est l'étude de la narration. On peut discerner 2 types : 1) LA NARRATOLOGIE DU CONTENU = étude de l'organisation du contenu cfr. A. GREIMAS, Sémiotique narrative > 'schéma actantiel' o part de l'idée que les personnages définissent l'action o il faut donc trouver un schéma de base auquel on peut ramener tout récit o 3 axes : du désir (sujet- objet) de l'opposition (adjuvants - opposants) de la transmission/ motivation (destinateur - destinataire) 2) LA NARRATOLOGIE DE LA FORME cfr. GÉRARD GENETTE : a écrit une étude de la voix narrative comme la base de tout récit Tout récit est un discours oral ou écrit qui présente une histoire et l'acte qui produit cette histoire, c'est la narration. A. TERMINOLOGIE Les notions de discours, récit, histoire et narration se définissent les uns par rapport aux autres. Le récit = discours oral ou écrit Le discours = présente une histoire La narration = l'acte qui produit l'histoire Autrement dit, la narration c'est l'acte de raconter, c'est un acte narratif. ? auteur : celui qui écrit (pas important pour la narratologie) = le narrateur : celui qui raconte, la figure que prend l'auteur pour raconter L'histoire, ce sont les événements racontés. Le récit est le résultat de l'acte narratif. B. AXIOME Le présupposé de base de la narratologie : UNE HISTOIRE EST RACONTÉE PAR UN NARRATEUR ET LE RÉSULTAT, C'EST LE RÉCIT. Histoire > Narration > Récit accident de voiture quelqu'un qui le raconte article dans un journal Comment se passe-t-il dans la littérature fictionnelle ? Là, l'histoire et le récit naissent simultanément : la narration produit à la fois une histoire et un récit (// problème du fond et de la forme) Histoire Narration Récit La narratologie essaie de penser la différence entre l'acte narratif et les actions dont il est question (ou les actes narrés). > Tout événement raconté se situe à un autre niveau que l'acte narratif qui le produit. L'acte narratif se situe au niveau extra-diégétique. Les actes racontés se situent au niveau intra-diégétique. La diégèse = l'univers spatio-temporel où arrive l'histoire > extra - diégétique : en dehors de la diégèse cfr. le narrateur > intra -diégétique : dans la diégèse cfr. les actions Autre dimension : la narration : celui à qui la narration est destinée Le narrateur et le narrataire constituent ensemble un niveau de communication extradiégétique : le narrateur parle au narrataire (? le véritable lecteur) C. APPLICATIONS Le dernier jour de l'automne 1832, vers cinq heures du matin, un mystérieux vieillard longeait les murs des somptueux hôtels du boulevard Saint- Germain ( BALZAC, Le père Goriot) > qqn qui longe les murs : intradiégétique > le narrateur ne longe pas ces murs : extradiégétique Je suis né le dernier jour de l'automne 1832, vers cinq heures du matin > JE : personnage dont on parle : intradiégétique > celui qui prononce ces mots : extradiégétiqe > différence temporelle entre les deux niveaux !! Je vous aime > pas de différence temporelle MAIS il faut, malgré la concordance temporelle entre l'acte narratif et l'acte raconté, penser une différence entre l'intradiégèse et l'extradiégèse dans cette phrase D. Les voix Il y a plusieurs voix dans un récit. Ces voix peuvent être juxtaposées/ subordonnées => ° hiérarchie Il y a un acte narratif ~ une voix narrative Il y a un acte raconté/narré ~ une voix diégétique d'un personnage o intradiégétique quand il s'agit d'une acte de parole, d'écriture au présent o métadiégétique quand elle parle d'autres actes Les voix dans Les Liaisons Dangereuses Première lettre : Cécil de de Volanges écrit à Sophie de Carnay : > acte de parole au niveau intradiégétique > le contenu de sa lettre : métadiégétique Deuxième lettre : Valmont écrit à Merteuil : > acte de parole intradiégétique > le contenu de sa lettre : métadiégétique . . . Que se passe-t-il au niveau extradiégétique ? On n'a que des lettres : on n'a alors pas un narrateur qui raconte ce que disent les personnages. Il n'y a pas de voix au niveau extradiégétique. On peut supposer son existence (nécessaire pour la narratologie) mais on n'a pas de preuves dans le texte. Qu'est-ce qui est devenu de la voix narrative ? La voix narrative est partie en 2 directions : 1) verticale : la voix narrative a été absorbée par la diégèse Le récit est entièrement raconté par les personnages. Il s'agit dès lors d'une narration éclatée : tous les personnages deviennent des narrateurs et ils sont donc un personnage et un narrateur à la fois. DIÉGÉTISATION 2) horizontale : la voix narrative passa au préface, au péritexte Le rôle du narrateur se limite soi-disant à avoir mis de l'ordre dans les lettres. Cet ordre est très important : toute lettre est exactement à la bonne place ! Le narrateur n'a alors plus la voix narrative mais la fonction de régie, un pouvoir de disposition. PÉRITEXTUALISATION Le niveau extradiégétique est donc vide : la narration vocale est absorbée par la diégèse mais la narration silencieuse a encore de l'influence : elle dispose des lettres. Dans un roman épistolaire polyphonique le niveau extradiégétique doit donc être abordé d'une toute autre façon. Dans ces cas, le narrateur quitte la diégèse et se déplace vers le péritexte. Quelques réflexions sur le Roman par lettres 1) Dans le roman par lettres polyphonique, le récit a tendance à effacer le processus de sa propre narration. Cette réflexion est vraie si la narration correspond à une seule instance. Mais la seule voix unique de la narration n'existe plus, elle est diégétisée. !! La narration est délocalisée mas pas éffacée. 2) La diégèse n'est plus racontée par un narrateur extradiégétique et unique ; elle est construite par la collectivité des épistoliers intradiégétiques. Le narrateur ne narre plus, il régit > relativement vrai 3) L'Histoire n'est contenue dans sa totalité dans aucune des lettres. Celles-ci contiennent chacune des éléments de la diégèse en même temps qu'elles sont contenues par elle 4) Le double statut de la lettre un objet contenu dans la diégèse un texte contenant une partie de la diégèse Les lettres ne sont pas seulement la véhicule de la narration mais aussi son objet vu qu'elles ont aussi un rôle dans l'histoire. Exemple : les traces de larmes des choses écrites avec une main tremblante > font partie de l'intrigue > Valmont et Merteuil savent 'lire' ces choses Les péritextes de Les Liaisons Dangereuses Gérard Genette a appelé ce type de textes les seuils du texte ('de drempels van de tekst') - le titre - la/les préface(s) - les notes en bas de page - l'épigraphe Le titre Les Liaisons Dangereuses - annonce l'objet du texte, à savoir des liaisons amoureuses = FOND - annonce le danger de l'écriture (les liaisons se font et se détruisent par lettres) = FORME L'épigraphe J'ai vu les m?urs de mon temps, et j'ai publié ces lettres > tiré de la préface de Julie ou la Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau > cet épigraphe annonce un but moral (qui sera néanmoins contesté dans la préface). Quel est le lien entre 'Julie' et 'LD' ? LD est une réplique au sentimentalisme de 'Julie' : Mme de Tourvel ressemble à Julie (d'ailleurs, elle lit Rousseau), une femme qui ne dissocie pas l'être et le paraître. Ce sentimentalisme, cette croyance dans la vertu sera corrompu par Valmont, un libertin qui dissocie bien l'être et le paraître. Cécile aussi sera corrompue : ceux (celles) qui vivent selon le modèle de Julie seront abusés .. pour survivre dans le monde, il faut apprendre le mensonge. Les préfaces A. DEUX PARTIES On a une préface de l'éditeur ( 'Avertissement de l'éditeur') et une du rédacteur. L'éditeur va prétendre qu'il ne s'agit que d'un roman. Le rédacteur va faire semblant qu'il s'agit de lettres véritables. > effet : déstabilisation du lecteur : qui faut-il croire ? > but : 'le roman vrai' : dans un roman il y a quelque chose de vrai, le lecteur doit vérifier ce qu'il en est // fiction n'est pas mensonge (Rousseau) Questions fondamentales: Où est Laclos ? Il ne parle pas directement, il ne se donne pas de voix directe. Ceci fait qu'il n'a pas de message transparent dans ce livre. > la fiction doit fournir son message : il a donné sa voix à la fiction MAIS celle-ci est démultipliée par la contradiction (entre le rédacteur et l'éditeur pour commencer) Qui assume ce texte ? À cette époque seulement le roi et la foi avaient le droit à la parole. C'est peut-être là...