An 2440 (L') de Louis-Sébastien Mercier (fiche de lecture)
Publié le 15/10/2018
Extrait du document
«
Le texte de 1770 contient 44 chapitres.
dont le titre annonce généralement le contenu, précé dés.
d'une « Épître dédicatoire à l'année 2440 » et d'un Avant-propos.
Réveillé d'un songe déli cieux, le narrateur rapporte la violente diatribe, contre Paris et les Français, d'un vieil Anglais ren contré la veille : « Il y a longtemps que vous ne péchez ·plus par ignorance; ainsi vous ne vous corrigerez jamais.
Adieu.
» Le pessimiste Anglais parti, le narrateur rêve qu'il s'éveille 672 ans plus tard («Cet ouvrage fut commencé en 1768 », explique une note du chap.
2), transformé en biblique vieillard de 700 ans.
Mais il peut consta ter, en visitant le Nouveau Paris, que ses compa triotes se sont entièrement corrigés ; et, en lisant les gazettes, que l'univers entier a rallié le camp de la raison.
C'est dans un Versailles en ruine qu'une couleuvre, «s'élançant du tronçon d'une colonne autour de laquelle elle était repliée », le pique au col et le ramène « dans le chaos affreux » dont il se croyait dégagé.
Il ne faudrait pas chercher dans
l'An 2440, pas plus que dans d'autres utopies de l'âge classique (le Cleveland,
1731-1738, de Prévost est un cas à
part), une trame narrative mouvemen
tée.
C'est
tout juste si la fiction du rêve
se voit réactualisée au chapitre 28, où
le grincement d'une porte manque de
réveiller
le dormeur ; il reste heureuse
ment assoupi, mais, perdànt de vue son
guide
et la ville, il se retrouve inopiné
ment dans la bibliothèque du Roi : on
sait que la visite d'une bibliothèque
imaginaire requiert
Rica le Persan (voir
*Lettres persanes) comme Candide le
Westphalien (voir
*Candide).
Le voya
geur des utopies de l'Ancien Régime est
un œil qui voit et une oreille qui
écoute,
un arpenteur de l'idéal.
Est-ce à
dire que l'émerveillement utopique
expulse la véhémence polémique qui
s'était fait jour, au chapitre
1, par la
bouche amère
du vieil Anglais ? Nulle
ment, car, sans même parler des notes
qui commentent la plupart des chapi
tres (sauf trois) et les ramènent au pré
sent, les guides
du rêveur en pays futur
ne cessent de dénoncer violemment les
abus
et folies de ·l'ancienne société :
«dans votre siècle», «de votre
temps
», «nous n'avons plus ...
», «on
ne voit plus ...
», «votre violence bar
bare», etc.
La société de l'avenir a beau
mépriser l'Histoire, tissu de
« futilités
misérables», «honte de l'humanité »
(chap.
12), et donc l'expulser de
l'enseignement, les hommes régénérés
n'énoncent leur présent
qu'en opposi
tion indignée et toujours vibrante au
passé.
C'est que l'utopie, recension
extasiée
d'un monde remis sur pied, se
doit aussi, selon Mercier, de remplir
une place désertée: «Nous n'avons pas
encore eu
un Juvénal.
[ ...
] Qui osera se
saisir de cet emploi sublime et géné
reux?>> (chap.
9, note 3).
Le texte ne
peut s'écrire que dans ce va-et-vient
incessant entre autrefois et mainte
nant, entre le rêve et la réalité, entre la
description et la dénonciation, entre la
satisfaction
et l'indignation.
Et c'est
bien entendu cette inhabituelle véhé
mence
du ton qui signe la filiation
ouvertement rousseauiste
du livre et en
explique la force.
En face de ces discours
à la fois
patiemment explicatifs (utopie oblige)
et passionnés (qu'est-ce que la raison
sans le sentiment?, nous dit-on
en
note), le narrateur a la charge, égale
ment classique, de décrire, mais sur
tout d'interroger, et de s'étonner :
« Quoi, tout le monde est auteur ! ô
ciel, que dites-vous là l
» (chap.
11);
«Heureux mortels, vous n'avez donc
plus de théologiens [ ...
].
Mais, enfin, la
théologie est
une science sublime,
et [ ...
]
» (chap.
15).
Mais il intervient
aussi, sans jouer au naïf, hors fiction
et
à visage découvert, dans les notes, par
fois nombreuses
(11 dans les chap.
16
et
42; 14 dans les chap.
31 et 36) ou
étendues.
Une fois même, mais c'est la
seule (une note s'en explique),
un texte
extérieur à la fiction s'insère dans le
corps
du chapitre 27 : "l'Éclipse de
lune", imitée des Nuits de Young
(1742)..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Fiche de lecture : SIÈCLE DE LOUIS XIV (Le) de Voltaire
- Bavard (le). Récit de Louis-René des Forêts (fiche de lecture et critique)
- VIE DE SAINT LOUIS (La) de Jean de Joinville : Fiche de lecture
- Tableau DE Paris, de Louis Sébastien Mercier
- Fiche de lecture : ROMAN INACHEVÉ (Le) de Louis Aragon