AMOURS (les) de Pierre de Ronsard (fiche de lecture)
Publié le 15/10/2018
Extrait du document
«
des recueils et la densité formelle des
sonnets suscitent l'admiration, la
thé
matique pétrarquiste, la multiplication
des références mythologiques
et l'idéa
lisme néoplatonicien composent une
trame apparemment répétitive et
conventionnelle, qui souvent
décou
rage les meilleures volontés.
Aussi
les Amours appartiennent-ils à
notre musée littéraire plus qu'à notre
mémoire vivante : réduits
à une
impressionnante virtuosité
qu'on
n'admire que de loin, ils ne mobilisent
guère les questions de notre
moder
nité.
Chacun des recueils ménage
pourtant, au lecteur attentif, des
possi
bilités d'accès qui permettent d'en revi
vifier la perception et la compréhen
sion.
Couvrant trente années d'activité
poétique, les
noms de Cassandre,
Marie et Hélène rythment une
recher
che essentielle, où se jouent le rapport
de soi
à soi et la relation de l'homme
au monde.
Si l'amour pétrarquien
recouvrait une problématique morale,
l'amour ronsardien s'interroge sur la
plasticité de l'individu, sur son
apti
tude à égaler le cosmos en un processus
permanent de transformation : « Et
m'esjouis d'estre mélancolique, 1 Pour
recevoir tant de formes en moy »
(Marie, "Chanson").
Instrument de
cette recherche et de cette
interroga
tion, le sonnet doit être lu, en chacune
de
ses réalisations successives, comme
uh «essai »1 une éphémère fixation de
la vitalité expansive du poète.
Prodi
gieusement inventive, la combinatoire
ronsardienne redistribue et donc
redé
finit d'une pièce à l'autre les éléments ·
qu'elle emprunte à la tradition.
C'est dans cette perspective qu'il faut
aborder la thématique pétrarquiste, et
plus généralement l'ensemble des
topai
amoureux qui émaillent les recueils, si
l'on veut y voir autre chose qu'une
concession aux modes du temps.
Cupi
don l'enfant aveugle, son «arc au poi- gnant
trait», la
chevelure-prison de la
femme aimée, toutes
ces images ont pu
devenir, dans le pétrarquisme italien
ou français, les figures
figées d'une rhé
torique en mal d'invention.
Il en va
tout autrement chez Ronsard, dont
l'énergie protéenne ne saurait se satis
faire d'aucun système statique: chaque
sonnet, madrigal
ou chanson entraîne
les signes ou emblèmes
convention
nels dans une nouvelle aventure du
sens.
Il suffit, pour s'en convaincre,
d'être sensible
à la réactivation que
Ronsard fait subir à une image aussi
galvaudée que celle du
«rocher», en
variant savamment son éclairage
contextuel :
tantôt métonymie de la
nature solitaire et sauvage, le
« roc
endurci», néanmoins attentif aux
plaintes
de l'amant, sert de repoussoir
à la dureté très réelle de l'amante; tan
tôt il désigne, métaphoriquement, un état idéal de surdité au monde, où
l'amant recru de passions souhaiterait
se reposer enfin et s'oublier; tantôt,
renvoyant
à la fatalité injuste de ·la
mort où l'amour vient s'échouer, il se
prolonge
en « marbre » du tombeau
("Sur la mort de Marie").
Forme mobile
et plastique, le rocher
n'admet pas plus
de signification univoque que les
autres objets et créatures qui peuplent
les
Amours.
Dans les mots et syntagmes
clés du pétrarquisme, Ronsard fait
résonner
une polysémie personnelle :
le texte joue de ces possibilités de glis
sement sémantique, et se ressource
constamment sous couvert de
répé
tition.
Glissement
et instabilité régissent
d'ailleurs la psychologie
et l'ontologie
des
Amours.
La passion est vécue sur le
mode d'une dépossession qui arrache
définitivement la conscience aux états
de maîtrise
et d'équilibre : «Amour
trop fin comme un larron emporte 1
Mon cœur d'emblée, et ne le puis
ravoir.
[ ...
]
1 Je cognais bien qu'il
entraîne
ma vie» (Cassandre, CLxxxn)..
»
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