Aimé CESAIRE, « Discours sur la négritude »
Publié le 29/10/2014
Extrait du document
«
autre latin pour désigner là encore la même chose : la souffrance, ici poussée à son
paroxysme (=son point culminant) grâce à l’ajout des suffixes en –isme : Césaire rejette
totalement toute attitude qui consisterait à se poser en éternelle victime à qui l’on devrait
une éternelle reconnaissance, et qui serait autorisée, en retour, à maintenir l’autre dans un
état de culpabilité insupportable.
Césaire entame donc son discours (et le poursuit), de manière offensive, en commençant par battre
en brèche certains préjugés tenaces et qui risqueraient de discréditer la Négritude.
Il peut à présent proposer une définition par l’affirmative…
b) L’affirmation de ce qu’elle est…
Césaire emploie à nouveau le présentatif (mais à la forme affirmative cette fois-ci) : « C’est une
manière de vivre » l.
4, « C’est dire que… » ligne 25, ainsi que la reprise anaphorique de « Elle
est », lignes 32 à 35.
Mais contrairement à l’usage que nous venons d’observer en a), le rythme
dans les phrases affirmatives est beaucoup plus ample, car les périodes sont bien plus longues,
donnant un souffle lyrique au discours, mais nous reviendrons sur ce point.
La Négritude, aux « yeux » de Césaire, est donc pour commencer une « mémoire collective »
pour le citer ligne 12.
Cette thématique revient à plusieurs reprises dans cet extrait, lignes 16-17 par
exemple (citer), ou encore ligne 26 (« mémoire »).
Celle-ci unit une « communauté »l.4 d’hommes
et de femmes unit par la monstruosité de « la traite négrière »l.19.
Mais la Négritude ne peut se réduire à un devoir légitime et indispensable de mémoire.
Elle est
aussi revendication : il s’agit pour ce mouvement de faire reconnaître l’esclavage des noirs et le
commerce triangulaire comme un crime contre l’humanité .
Cette revendication est implicite, mais
non moins frappante.
Dès les premières lignes du texte (lignes 4 à 7), le lecteur attentif tissera des
liens entre le commerce triangulaire et la Shoah (= extermination des juifs pendant la 2 Nde
guerre
mondiale) : Césaire emploie les mots « communauté » (on parle de « communauté juive »), de
« déportations » (référence aux trains de la mort qui acheminaient les juifs vers les camps de
concentration), de « transferts d’hommes » (cela a été le cas aux premières heures du Reich, en
Pologne par exemple, lors de l’édification du ghetto de Varsovie), de « croyances lointaines » (le
Judaïsme est la plus ancienne religion monothéïste), de « cultures assassinées » (les Juifs ont payé
le plus lourd tribut aux camps de concentration, avec plus de 6 millions de morts…) Le même écho
retentit à la fin du passage, ligne 48, quand Césaire écrit : « On n’a que trop vu les conséquences
[du réductionnisme] » : comment ne pas voir se profiler derrière cet « orgueil suicidaire » et cette
« forme rationnelle et scientifique de la barbarie » le visage d’Hitler et du nazisme ? Cela est
d’autant plus frappant que, rappelons-le, Hitler puisa chez Arthur de Gobineau, diplomate français
du XIXème siècle, l’essentiel de ses théories racistes.
Gobineau, farouche opposant à l’abolition de
l’esclavage, est en effet l’auteur d’un essai sur la hiérarchie entre les races (voir extrait distribué en
classe) qui a malheureusement fait des émules et continue même d’alimenter certaines idéologies
fascisantes actuelles en Europe.
Césaire connaît Gobineau et l’influence qu’il eut sur Hitler mais
aussi sur la ténacité du préjugé racial en France notamment (voir lecture complémentaire :
« Boitelle » de Maupassant, que vous pouvez compléter par le film « La couleur des sentiments » et
dont l’action se passe dans l’Amérique des années 50-60, disponible au CDI) ; ces allusions sont
certes savantes (rien d’étonnant : C.
s’adresse à un public d’érudits –c’est « un congrès culturel »,
ligne 36), mais non moins limpides pour un public averti (elles le sont donc désormais pour vous !)
Cette allusion à l’héritage sinistre de Gobineau se repère aussi d’ailleurs dans l’emploi des
termes « préjugés » l.40, ou «très stricte hiérarchie »l.41.
En associant ainsi traite négrière et
Shoah, Césaire sait qu’il va frapper les esprits par cette comparaison audacieuse mais très
pertinente car oui, la traite des noirs peut être assimilée à une déportation et les champs de coton ou
de canne à sucre aux camps mis en place par le régime nazi et ce sans forcer le trait.
L’association
est très efficace tout simplement parce que le souvenir du génocide juif est encore très présent dans.
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