A la recherche du temps perdu de Proust (résumé & analyse)
Publié le 27/11/2018
Extrait du document
«
image,
l'enfant et le regard de l'adulte.
Mais ces symé
tries sont rapidement perverties par de subtiles varia
tions : elles ne se réduisent pas à un jeu de miroirs ou à
un simple rythme binaire.
Peut-être faudrait-il imaginer
alors une sorte de parcours circulaire qui nous ferait
revenir à notre point de départ, mais plus haut, selon une
sorte de figure spiralée ramenant périodiquement des
composantes similaires mais non identiques.
A la
manière d'un thème modulé dans toutes les tonalités,
situations et personnages se dédoublent ou évoluent, à
moins encore qu'ils ne coïncident plus avec eux-mêmes,
une fois que le temps a passé.
En réalité, chaque élément
est aussi indépendant que solidaire du reste de l'œuvre :
Swann existe en soi, c'est un livre achevé, mais qui
renvoie aussi à J'achèvement et à la circularité de la
Recherche.
Une lecture attentive de la Recherche ne
cesse de révéler de ces constructions complexes (ampli
fications, annonces, rappels, oppositions ...
); le plan
général, par exemple, combine harmonieusement les par
ties heureuses du début à la noirceur de Sodome, à la
Prisonnière et à la Fugitive : une structure dont on
découvrirait souvent l'équivalent dans J'équilibre (insta
ble) qui gouverne chacune des sections.
Pour reprendre
une de ces métaphores musicales que Proust utilisait
souvent, le chant provoque un contre-chant, les voix
s'opposent, et Je tout devient polyphonie : l'art fait
oublier J'art, et les métamorphoses débouchent sur
l'émotion.
le Narrateur proustien.
-1 ns ta nce narrative de la pre
mière personne qui dirige la Recherche du temps perdu.
cette voix annyme mais non impersonnelle « raconte et
dit je» (lettre à R.
Blum.
1913).
voi t tout, sait tout et fait
de l'ensemble· « une espèce de roman » (ibid.).
Car si la
Recherche es1: bien un roman (et il suffit de comparer p ou r
s'en convaincre le passage de certains fragments autobio
graphiques tels que «Journées» qui, au présent dans le
Contre Sainte·Beuve, sont repris au passé dans « Com
bray»}, c'est que le Narrateur n'est pas Marcel Proust lui
même: pas plus qu'il ne se confond avec le héros: si ce
dernier vit de croyances (voir l'abondance de termes appar
tenant à ce ch3mp séman tique dans l'ouverture de Du côté
de chez Swar•n).
celui -là au contraire est détenteur d'un
savoir absolu.
Oui est donc le Narrateur? Peut-être ce «Marcel » dont
le nom est del x fois prononcé par Albertine (la Prisonnière).
e n co re qu'un des deux exemples soit particulièrement
ambigu : « ...
ce qui en donnant au narrateur le même pré
n om qu'à l'au·:eur de ce livre.
eût fait "Mon Marcel"».
En
fait.
pas plus ·�u'il n'a de no m .
le Narrateur n'a de visage;
double trait d stinctif qui.
dans une fresque de plusieurs
centaines de personnages où les noms et les descriptions
jo uen t un rôle primord ial, contribue à mettre l'accent sur ce
qui définit en propre le Narrateur : sa voix ou.
pour repren
dre l'expression d'E.
Benveniste.
«sa subjectivité dans le
langage».
Dè�; lo rs , il importe moins de savoir qui est le
Narrateur que quel il est.
Pour le lecteur, le Narrateur est
d'abord celui qui voit: c'est en effet par son rega rd que
tout nous est livré.
ou.
plus exactement.
par la position
ambiguë qu'il adopte.
à mi-chemin de la «naïveté» du
héros et du sa•toi r ultérieur, que nous suivons la lente matu·
ration des divers signes qu'il croise (amour.
mondanité.
es th éti que .
langages).
Contrairement à ce que l'on affirme
trop souvent.
'omnipotence du Narrateur ne se manifeste
pas dans la R11cherche par une dilatation du point de vue
narratif.
mais au contra ire par une re stric tio n de champ : en
f ei gnan t de ne pas anticiper sur le présent du héros.
et de
ne pas lui surJstituer sa propre expérience.
le Narrateur
crée ainsi une structure gigogne dans laquelle les diver s je
v ie nne nt s'emboîter comme autant d'étape s d'une expé
rience en fait unique.
Car c'est bien d'expérience qu'il
s'agit.
et la Re-:herche.
de ce point de vue.
n'est pas sensi
blement différente de certains récits initiatiques {voir.
par
exemple.
l'Aurélia de Nerval.
qui suppose la même disjo nc
tion d'une instance narrative unique) qui conduisent.
au
delà des ap p aren ces.
à une vérité essentielle.
Le Narrateur est donc aussi celui qui sait; d'où la double
in fr act io n à la règle générale de focalisation sur le héros :
dans certains cas.
le Narrateur modalise les pensées du
héros de manière à faire ressortir l'inanité de ses déduc- tions
(voir le rôle des «comme si», des «peut-être», des
verbes d'apparence.
toutes formes par lesquelles se crée
une « profondeur spirituelle» où Leo Spi tz e r voit «la dis
tance entre le moi narrateur et le moi de l'a cti on »), ainsi
qu'en témoigne ce reproche tiré de Swann : "Ne savais-je
donc pas que ce que j'ép rou vais .
moi.
pour elle.
ne dépen
d ait ni de ses actions ni de ma volonté?» Autr e infraction.
autre infidélité au héros : le Narrateur.
délaissant pour un
temps le point de vue initial, s'insinue dans les pensées
de personnages annexes (Mm• de Cam bre me r à l'Opéra.
l' h ui ss ier chez les Guermantes, les derniers instants de Ber
gatte.
etc.) Cet te incohérence apparente.
que Gérard
G ene tte baptise " po ly mod alité "·risquerait de briser l'unité
d'ensemble du récit, si le Narrateur ne récupérait.
par sa
voix, in extremis, toutes ces données pour en faire le grand
chant du hasard devenu savoir.
Car.
en premier et dernier
lieu, le Narrateur est tout entier contenu dans un souffle
qui lui est propre « et qui est à la fois un mod e d'appréhen
sion du monde et du moi.
et l'expression littéraire de cette
saisie» (Jean Milly).
D'où précis éme nt le rôle assumé par
les célèbres métap ho res .
dont le mécanisme est démonté
à la fin du Temps retrouvé : elles sont le lien entre le savoir
et la vision et.
en tant que telles.
appartiennent au seul
Narrateur.
La tri ch erie de ce dernier à l'égard de so n héros
n'est donc ni psychologique ni sentimentale, mais litté
raire : même s'il feint de s'effacer derrière le protagoniste.
le Narrateur ne peut empê ch er celui-ci de voir, de sentir.
de
parler avec les tics qui sont le fait de l'homme engagé dans
sa création.
En témo ignent «les clochers de Martinville "·
si difficiles à saisir pour le héros.
dans le même temps
que le Narrateur peut pré cisé ment rendre compte de leur
ess en ce alors insoupçonnée..
»
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