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« QU'EST-CE QUE LE TIERS ÉTAT- ? » DE SIEYÈS

Publié le 06/09/2018

Extrait du document

Rien
Jusqu'à présent le tiers n'a rien été. Car en France on n'est rien quand on n'a pour soi que la protection de la loi commune. Et le tiers est par définition l'ensemble de ceux qui appartiennent à l'ordre commun, qui sont soumis à la loi commune : la masse des non-privilégiés. Pour n'être pas tout à fait écrasé, le malheureux non­privilégié n'a qu'une ressource : s'attacher « par toutes sortes de bassesses » à un grand. On ne peut même parler d'une vraie représentation du tiers aux États généraux, puisqu'elle a été assurée jusqu'ici par des anoblis ou des privilégiés à terme (par leurs offices). Donc les droits politiques du tiers sont nuls. Il n'est pas < libre ». Or il est bien impossible « que la nation en corps ou même qu'aucun ordre en particulier devienne libre si le tiers état ne l'est pas. On n'est pas libre par des privilèges, mais par les droits qui appartiennent à tous ». Admirons cette opposition, en une phrase éclair, entre la liberté démocratique (égalitaire) de demain et la liberté aristocratique (privilégiée) d'hier.
La vérité est que, si ce tiers, qui devrait être tout, n'est rien, c'est que l'aristocratie, qui devrait n'être rien, est tout. Complète est l'usurpation des nobles, « ils règnent véritablement ». Grave erreur de croire que le régime de la France est monarchique. Il est aristocratique. La Cour, non le monarque, règne, faisant et défaisant les ministres, créant et distribuant les places. « Et qu'est-ce que la Cour, sinon la tête de cette immense aristocratie qui couvre ioutes les parties de la France, qui, par ses membres, atteint à tout et exerce partout ce qu'il y a d'essentiel dans toutes les parties de la chose publique ? »
Quelque chose
 
Qu'on lise les réclamations que les grandes municipalités du royaume ont adressées au gouvernement, on y verra « que le peuple veut être quelque chose et en vérité le moins qu'il est possible ». Il ne formule que trois demandes : être représenté par
On prétend continuer de faire représenter le tiers par des gens « tachés ,, de privilèges, gens de robe et autres. Or, supposons que la France soit en guerre avec l'Angleterre et qu'un Directoire de représentants de la nation dirige la guerre. « Dans ce cas, je le demande, permettrait-on aux provinces, sous prétexte de ne pas choquer leur liberté, de choisir, pour leurs députés au Directoire, des membres du ministère anglais ? - Certes les privilégiés ne se montrent pas moins ennemis de l'ordre commun, que les Anglais ne le sont des Français en temps de guerre. n
On prétend refuser le doublement. Eh bien! ce n'est pas l'égalité, mais deux voix c0ntre une à l'ensemble des privilégiés, que le tiers aurait dû demander. Question de nombre, avant tout, mais aussi question de valeur.
Le troisième ordre a sur les deux autres une énorme supériorité numérique. Calcul de Sieyès, dépourvu d'ailleurs de toute rigueur arithmétique : quatre-vingt mille quatre cents ecclésiastiques, cent dix mille nobles. « Donc en tout il n'y a pas deux cent mille privilégiés des deux premiers ordres. Comparez ce nombre à celui de vingt-cinq · à vingt-six millions d'âmes, et jugez la question. n Pour tous ceux qui vont lire Sieyès, la question, en effet, est jugée. Comment réfuter sa logique, comment << soutenir, d'un côté, que la loi est l'expression de la volonté générale, c'est-à-dire de la pluralité, et prétendre en même temps que dix volontés individuelles peuvent balancer mille volontés particulières n ? Le nombre, notion démocratique, balaye la h.iérarchie - liée à la naissance, à la < qualité ,, au sens de l'Ancien Régime - notion aristocratique.
 
D'ailleurs, en dehors même de la question de nombre, les progrès du tiers dans tous les domaines, surtout dans le commerce et l'industrie, tant de ' familles aisées, remplies d'hommes bien élevés et attachés à la chose publique n qui le composent, auraient dù lui valoir depuis longtemps le doublement. Le ton de Sieyès monte

« «Q u'est-ce que le tiers étal ? » le royaume est venue révéler, ou plutôt confirmer l'égoïsme des privilégiés, leur incapacité à consentir des sacrifices à l'in térêt général.

Si la bourgeoisie, pour assurer le succès des insurrections de l'été 1788 («révolte no biliaire », dira Mathiez) contre le despot isme ministériel de Lamoignon et Brienne, s'est alliée aux privilégiés, aux Parlements, cette alliance n'a été qu'éphémère, en vue d'objectifs immédiats.

Les Parlements, «champions nécessaires à mettre en avant »! L'alliance s'est vite tournée en aigreurs, méfiances et haines mutuelles.

Fin 1788, début 1789, c'est dans toute la France guerre ouverte entre privilégiés et bourgeois sur la ques tion de savoir qui l'em portera aux prochains États généraux.

É tals généraux 1 Le gouvernement, intimidé par la Fronde de 1788, avait fini par pro mettre leur convocation pour mai 89.

Quels espoirs, après l'échec des Notables, après l'échec des Assemblées provinciales, ces États ne suscitaient -ils pas ? Espoirs d' ailleurs les plus contradictoires.

De l'antique institution, mise en sommeil depuis 1614 par l'absolutisme, les privilégiés attendaient la consécration et la mise à l'abri de leurs privilèges.

Tandis que les bourgeois comptaient bien que les États anéantiraient des distinctions «gothiques » qui n'avaient plus de raison d'être.

Ils seraient surtout, ces États, aux yeux du tiers, un point de ralliement d'où l'on pourrait s'élancer plus avant, vers une Constitution.

Constitution à l'anglaise, de style Montesquieu ; ou telle que les Américains insurgés venaient de s'en donner une, combinant Montesquieu et Rousseau ; ou Constitution uniquement tirée de la raison nationale : c' était à voir.

Mais une Constitution.

Car la France, soutenaient les bourgeois, n'en avait pas.

Les privilégiés avaient beau prétendre, depuis peu et par tactique, qu'elle en avait une, invoquer les Lois fonda­ mentales, les franchises parlementaire s, ils étaient incapables de tomber d'accord sur l'exact contenu de cette Constitution illusoire.

Comme condition préalable et nécessaire de tout progrès réel, il fallait que la composition et l'organisation des É tats généraux fussent de nature à permettre ce grand travail espéré de « ré géné­ ration ».

Foin d'États féodaux à la.

mode de 1614 ! On veut des États bourgeois à la mode égalitaire du siècle.

Des États où le nombre des députés du tiers soit égal à celui des deux autres ordres réunis («le doublem ent»).

Des États où l'on vote non par ordre séparé, ce qui laisserait sur chaque question le tiers seul contre deux, mais par tête tous ordres réunis, ce qui donnerait au tiers doublé une forte chance de faire triompher ses vues.

Guerre ouverte donc, et qui est surtout une rageuse guerre de plume.

Un flot de brochures, pamphlets, libelles, imprudemm ent encouragés par le gouvernement emba rrassé et qui souh aite s'éclairer, inonde «la Nation ».

Telle est l'exp ression qu' ont maintenant à la bouche tous les gens cultivés : là où, sous Louis XIV, on eût dit. »

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