Poisons et venins
Publié le 08/01/2019
Extrait du document
UN PHÉNOMÈNE UNIVERSEL
Les substances toxiques jouent un rôle très ancien dans les relations au sein du monde vivant. Les premiers organismes étaient autotrophes : ils tiraient du milieu inerte l'énergie et les matériaux nécessaires à leur existence. Les organismes hétérotrophes n'en sont pas capables : ils doivent se nourrir des premiers. Commence alors une guerre chimique entre ceux qui mangent et ceux qui sont mangés. Les uns et les autres évoluent en perfectionnant leurs mécanismes de défense (poisons), puis d’agression (venins). Certains accumulent passivement les substances toxiques, d'autres apprennent à les utiliser de manière active, grâce à des dispositifs raffinés. Des interactions multiples et complexes se mettent en place. Elles impliquent une très grande variété de composés chimiques et concernent tous les organismes existants. Sans que nous en ayons toujours conscience, les poisons et venins sont omniprésents dans le monde qui nous entoure.
QU'EST-CE QUE LA TOXICITE ?
Il s'agit d'une notion relative. Une substance peut être toxique pour un organisme, inoffensive pour un autre. Comme le dit le poète Lucrèce : quod aliis cibus est aliis tuât acre venenum (aliment pour les uns, poison pour les autres). Sa nocivité provient de son action spécifique contre certaines cellules : cellules musculaires, cellules nerveuses, etc. À l'échelle moléculaire, cette action implique des mécanismes très variés. Pour un même résultat sur une même cellule-cible, les toxiques peuvent agir sur la membrane, sur les processus énergétiques, sur les différents stades de la synthèse protéique, etc. Les fonctions de la cellule-cible sont perturbées ou interrompues, ce qui peut retentir sur l'organisme entier.
La toxicité dépend de la dose, car beaucoup d'organismes possèdent des mécanismes de détoxification, efficaces contre des gammes de substances parfois très vastes. Le hérisson consomme ainsi sans dommage de nombreux insectes vénéneux, comme les méloés. Ces coléoptères contiennent de la cantharidine, mortelle pour l'homme à moins de 10 mg. Il faut 100 mg pour tuer un hérisson.
Enfin la toxicité dépend évidemment du mode d'absorption. Les curares peuvent être touchés et mangés sans dommage, alors qu'ils sont
mortels par injection. Les poisons et les venins sont constitués d'un mélange de substances chimiques, ce qui répond à plusieurs exigences. D'une part, augmenter la probabilité qu'une substance au moins soit active. D'autre part, augmenter l'efficacité par une action conjointe. Beaucoup de venins de serpents, par exemple, contiennent des facteurs de diffusion, qui augmentent la perméabilité des tissus aux substances injectées. Chez la cascavelle (Crotalus durissus terrifiais), l'association
de deux substances relativement inoffensives, une enzyme et un facteur activateur, multiplie leur toxicité.
QUELLES SUBSTANCES TOXIQUES ?
Substances d'qrigine végétale
Au moins 40 % des végétaux produisent des alcaloïdes, dont plus de 5000 sont connus. Ce sont des substances complexes, de pH basique (alcalin, d'où leur nom). Les alcaloïdes « vrais » comprennent au moins un hétérocyde azoté : c'est une chaîne organique fermée, où au moins un atome de carbone est remplacé par un atome d'azote. Les alcaloïdes sont efficaces contre de nombreux animaux, car ils ont souvent une action neurotoxique, comme la nicotine, la caféine, la morphine ou la strychnine (à petite dose, ils peuvent avoir une valeur pharmaceutique).
D'autres animaux, au contraire, résistent aux alcaloïdes présents dans leur alimentation. Ils sont capables de les récupérer pour leur propre défense. On parle de poisons ou de venins exogènes (produits à l'extérieur).
Les batrachotoxines des grenouilles de la famille des Dendrobatidés, par exemple, sont des alcaloïdes.
Dendrobates auratus se nourrit
d'insectes, eux-mêmes toxiques : ils concentrent les alcaloïdes des plantes qu'ils ont consommées. Une grande partie de la toxicité de la grenouille vient donc directement
des végétaux. De la même manière, les alcaloïdes des solanacées
rendent toxique la chenille du sphinx tête-de-mort (Acherontia atropos).
Les végétaux produisent aussi des glycosides toxiques. Ils sont constitués d'au moins une molécule de sucre liée par un atome d'oxygène à une autre molécule, souvent azotée. La dissociation de la molécule de sucre au cours de la digestion libère un composé toxique. Ainsi le laurier-cerise, le trèfle, les noyaux d'amande ou d'abricot libèrent-ils de l'acide cyanhydrique (on parle de plantes cyanogènes).
«
il
peuvent causer des accidents très
graves, car leur foie et leur laitance
concentrent une neurotoxine mortelle,
la tétrodotoxine (60% de mortalité).
Cette molécule est aussi présente chez
d'autres animaux, notamment les
pieuvres Hapalochlaena, le triton de
Californie (Tachira granulosa) et
certains Nassarius (escargots
détritivores marins).
C'est une toxine
exogène, provenant de l'alimentation
de l'animal (les tétrodons d'élevage ne
présentent aucun danger).
Les téguments de certains vers marins
sont également toxiques.
C'est le cas
des némertiens ou d'un annélide
polychète, Lumbriconereis heteropoda.
La néréitoxine qu'elle sécrète est un
neurotoxique actif contre les
arthropodes et redouté par les
pêcheurs.
IJolltJII@(Wij Ce dispositif de défense est présent
chez certaines plantes appartenant aux
familles des euphorbiacées, des
urticacées (orties), des hydrophyllacées
ou des loasacées.
On le trouve aussi
polychètes marins de la famille des
Amphinomidés), chez les mygales et
chez de nombreux lépidoptères, surtout
à l'état larvaire.
La femelle de certaines
espèces de papillons nocturnes est
couverte de poils urticants, qu'elle
abandonne à la surface des œufs.
Les
chenilles s'en chargent en éclosant.
Le
plus souvent, elles les produisent elles
mêmes.
Ces poils sont constitués d'une cellule
unique, éventuel
lement barbelée.
Cette cellule
est creuse et
cassante.
La
base du poil
contient un
liquide urticant
sous pression,
efficace même
à très petite dose.
Chez les orties, le
poil se casse et une partie pénètre dans
la peau.
Chez les chenilles
processionnaires, le poil se casse, se
détache, s'envole :on peut être atteint
sans toucher directement l'animal.
Ces dispositifs permettent une défense
sans contact chez quelques espèces
animales.
Le chilopode Rhinocrichus
Jethifer est un mille-pattes hanien capable de
projeter des gouttelettes
toxiques à 50 cm ou 1 rn, grâce à la
contraction des muscles de ses glandes
à venin.
Les scorpions du genre
Parabuthus en sont également
capables.
�.,..-:::pP-.II:.W Les cobras
cracheurs (Naja
nigricollis,
Hemachatus
hemachatus)
contractent leurs muscles
et soufflent en
même temps:
leur venin
peut être
projeté dans les yeux de leur prédateur
jusqu'à 2 rn de distance.
Il peut
provoquer une cécité définitive.
Les carabes bombardiers utilisent une
arme chimique raffinée, constituée
d'hydroquinone et d'eau oxygénée.
Ce
mélange est injecté dans une chambre
de réaction bordée d'enzymes qui
décomposent l'eau oxygénée.
Les
hydroquinones réagissent de manière
explosive avec l'oxygène libéré,
projetant un nuage toxique et chaud
sur le prédateur qui poursuit le carabe.
Quelques chenilles, termites et fourmis,
ainsi que quelques arachnides
uropyges, sans parler des skunks et
zorilles, sont également capables de
projeter diverses substances répulsives
ou toxiques sur leurs agresseurs.
Les cnidaires (polypes, anémones de
mer et méduses) possèdent des
cellules venimeuses hautement
spécialisés, les cnidoblastes.
Chaque
cnidoblaste contient un cnidocyste
d'environ un dixième de mm.
C'est une
capsule dévaginable, contenant un
stylet et un filament urticant, associés à
un cil sensoriel, le cnidocil.
Au contact
d'une proie, le stylet jaillit comme un
harpon, puis le filament s'enfonce dans
la blessure.
Il injecte par ses pores un
venin complexe, neurotoxique,
hémolytique ou nécrosant.
Beaucoup
de cnidaires sont inoffensifs pour
l'homme, car leurs cnidocystes sont
trop petits pour percer notre peau, mais
certaines cuboméduses de la famille
des chiropidés (ou guêpes de mer)
peuvent tuer en moins de 5 mn.
Leur
venin est considéré comme le plus actif
du monde.
À noter qu'un mollusque nudibranche
nageur, G/aucus atlanticus, est capable
d'acquérir un pouvoir urticant en
stockant dans ses papilles dorsales les
cnidocystes des méduses dont il se
nourrit.
VRAIES ET FAUSSES
INJECTIONS
Les dispositifs d'injection associent une
ou plusieurs glandes à venin à un appareil
vulnérant, destiné à percer les
téguments de la victime : dents, pinces,
aiguillons, etc.
Ils sont plus ou moins
perfectionnés.
Quand il a un rôle offensif, l'appareil
vulnérant est souvent près de l'orifice
buccal, ou à l'opposé, comme chez les
scorpions, les hyménoptères et
certains vers turbellariés (le pénis de
Gyratrix hermaphroditus est transformé
en stylet venimeux).
Si le dispositif est
seulement défensif, son emplacement
peut être très varié.
MUCUS ET SALIVES TOXIQUES
C'est le dispositif le plus simple :
l'appareil vulnérant baigne dans le
venin.
C'est le cas de l'éperon caudal
des poissons chirurgiens
(acanthuridés), des dents de la murène
ou du bec des céphalopodes (la
morsure d'Hapa/och/aena macu/ata
peut être mortelle).
Les piquants de
certains oursins échinothuridés sont
coiffés d'une poche à venin, qui se
déchire quand ils se plantent.
Souvent, l'appareil vulnérant est rainuré
pour faciliter l'écoulement du poison,
comme les dents des hélodermes (seuls
lézards venimeux) ou la seconde
incisive inférieure des solénodons
(musaraignes primitives).
Certains poissons possèdent des épines
au niveau des nageoires ou de leurs
opercules branchiaux.
Ces épines sont
creusées de sillons et couvertes par
l'épiderme, qui se retrousse au moment
de la piqûre en dégageant les glandes
venimeuses.
Beaucoup de sélaciens fossiles étaient
épineux.
Actuellement, c'est encore le
cas des raies à aiguillons, des chimères
et de quelques petits requins comme
l'aiguillat (Squa/us acanthias).
La
piqûre des " raies de leu » de
l'Amazone (genre Potamotrygon) peut
être mortelle.
Trois familles de téléostéens
comportent des espèces venimeuses :
Les siluridés (ou poissons-chats), les
trachinidés (ou vives) à la piqûre si
douloureuse, et les scorpaénidés (ou
rascasses).
Dans cette famille, presque
toutes les espèces sont venimeuses,
aussi bien la rascasse rouge de Méditerranée
que les superbes
« rascasses volantes » des tropiques
(genre Plerois) et les redoutables
poissons-pierres.
Ces derniers peuvent
être mortels.
HARPONS
Les cônes (genre Conus) comptent plus
de 600 espèces.
Ils sont généralement
petits (moins de 10 cm) et vermivores,
ou grands Gusqu'à 30 cm) et piscivores.
Leur glande à venin débouche au
niveau de leur pharynx.
Celui-ci est
prolongé par une trompe très
extensible.
Une dent creuse et barbelée,
chargée de venin par sa traversée du
pharynx, vient se placer au bout de la
trompe.
Cette dent, à usage unique, se
plante dans la chair de la proie ou le
bras du plongeur imprudent.
Les
conotoxines, à diffusion rapide, agissent
sur le système nerveux central et
peuvent causer la mort.
(ROCHETS VENIMEUX
Les appareils de capture peuvent
comporter un canal pour injecter le
venin.
C'est notamment le cas des
chélicères des araignées, des
mandibules de certains insectes
de la 2' paire de pattes des Caprella
(petits crustacés coralliens).
Les
produits injectés ont souvent une
fonction digestive : la salive du ver
luisant (Lampyris nodiluca), est à la
fois paralysante et protéolysante.
Chez les serpents, certaines dents sont
transformées en crochets.
Chez les
protéroglyphes comme les najas, les
crochets sont incomplètement clos et
peu mobiles.
Le venin qu'ils injectent
est surtout neurotoxique (paralysie
flasque).
Chez les solénoglyphes
comme les vipères ou les crotales, les
crochets sont fermés sur toute leur
longueur et se replient au repos.
Ils
injectent un venin nécrosant,
hémolytique et cardiotoxique.
SERINGUE DES HYMENOPTÈRES
Les femelles des hyménoptères
aculéates possèdent un dard et des
glandes à venin.
Le dard est un organe
perfectionné, formé d'une gouttière et
de deux lancettes : l'insecte plante son
dard et le mouvement alternatif des
lancettes pompe et injecte le venin dans
la plaie.
Le venin des guêpes et des
abeilles est surtout constitué de
protéines.
Il est utilisé pour la défense
contre les vertébrés et pour l'attaque
des invertébrés.
Les guêpes solitaires
paralysent leurs victimes en injectant
une très petite quantité de venin dans
leurs ganglions nerveux : immobiles
mais vivantes, celles-ci serviront de nourriture à
leurs larves.
Le venin des fourmis est de
composition très variable.
Il peut
contenir des acides (dont l'acide
formique) mais aussi des produits
hémolytiques ou nécrosants.
Il a un
rôle défensif ou offensif.
AUTRES DISPOSITIFS
Les oursins toxopneustidés possèdent
des pédicellaires venimeux.
Ils sont
formés d'une pince à trois mors, portée
par une hampe musculaire.
En cas de
danger, les pédicellaires libèrent un
venin protéique en un dixième de
seconde.
Celui de Toxop neustes
pileolus peut être mortel pour
l'homme.
Les ornithorynques mâles possèdent un
ergot venimeux au talon de leurs pattes
arrières.
Le venin, surtout actif au
moment du rut.
20 mg suffisent pour
tuer un lapin.
Les fourmis du genre Monomorium
chassent les termites grâce à un venin
neurotoxique appliqué simplement
sur leur peau, sans piqûre : leur
aiguillon est modifié en spatule.
Le
termite est immédiatement immobilisé,
puis meurt.
bRE VENIMEUX
ET LE FAIRE SAVOIR
Certains animaux possèdent une livrée
voyante, destinée à signaler leur toxicité
à leurs prédateurs.
On parle de
coloration aposématique.
Parmi les
insectes, c'est le cas de punaises
comme les cordonniers (Pyrrhocoris
ap terus) ou de coléoptères
chrysomélidés comme le doryphore
(Leptinotarsa decemlineata), ou
coccinellidés, comme notre familière
bête à bon dieu (Cocci nel/a
septempundato) :lo rsqu'elle est
composés cyanhydriques consommés
par sa chenille, ce qu'elle indique par
son aspect de " goutte de sang ».
Parmi
les vertébrés, les grenouilles
dendrobatidés, les salamandres, les
hélodermes et les pitohuis ont
également une coloration
aposématique..
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