Période charnière de l'histoire du monde, la révolution industrielle inaugura une profonde transformation des sociétés développées : essor du capitalisme, organisation du mouvement ouvrier, exode rural constituèrent durant plus d'un siècle la toile de fond des grandes mutations de l'Occident. Au XXe siècle, la révolution industrielle est longtemps demeurée un modèle de développement économique, aujourd'hui contesté, pour le tiersmonde. La révolution industrielle est le nom donné à la mutation profonde des techniques de production qui permit le passage de l'économie artisanale (civilisation de l'outil) à l'économie industrielle (civilisation de la machine). Liée à de multiples inventions (métier à filer, machine à vapeur, etc.) et au développement du capitalisme financier et commercial, cette révolution s'est produite en Angleterre à partir de 1760 et sur le continent européen à partir de 1820 jusqu'à la fin du XIXe siècle. Aujourd'hui encore, ce modèle de transformation, souvent synonyme de développement, sert de référence pour décrire la situation des pays du tiers-monde ou celle des « nouveaux pays industriels » : « révolution industrielle » tardive, rapide, incomplète, manquée... À l'opposé, les économies développées seraient parvenues à un stade « postindustriel ». De fait, c'est par la révolution industrielle que nombre de peuples ont rompu avec l'ordre économique et social traditionnel (dit préindustriel). Elle fut la grande rupture de leur histoire, celle par laquelle une partie de l'humanité bascula dans l'époque contemporaine, même si les historiens préfèrent dater les temps nouveaux de 1789. Ce repère, commode, correspond néanmoins à une conjoncture trop française. En effet, une caractéristique majeure de la révolution industrielle fut sa diffusion. Quand les historiens libéraux y voient une preuve de sa réussite, les marxistes l'analysent comme une aggravation de la domination et de l'exploitation économique du prolétariat par la bourgeoisie. Ainsi la révolution industrielle reste-t-elle l'objet de polémiques historiques et idéologiques. La chronologie de cette vaste mutation est forcément sujette à discussions. Mais il est certain que les historiens ont, dès le XIXe siècle et par référence au modèle de « révolution politique », identifié une « révolution industrielle » : ainsi Engels dans la Situation des classes laborieuses en Angleterre (1845), ou John Stuart Mill dans les Principes d'économie politique (1848). À l'instar de ces historiens économistes, qui représentent aussi deux familles idéologiques opposées du XIXe siècle (le socialisme et le libéralisme), il convient donc d'insister sur les mécanismes qui permirent le déclenchement de cette révolution et qui demeurent indissociables de ceux de sa diffusion. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats capitalisme Engels Friedrich machine Mill John Stuart techniques (histoire des) - La révolution industrielle Les livres machine à vapeur - la marmite de Papin, page 2962, volume 6 machine à vapeur - la machine de Newcomen, page 2962, volume 6 machine à vapeur - la machine à double effet de Watt, page 2962, volume 6 Les débuts de la révolution industrielle C'est en Angleterre que furent appliquées les premières innovations techniques qui allaient bouleverser l'organisation et la condition de la production manufacturière. Au XVIIIe siècle, la machine à vapeur, dont le principe était connu dès le XVIIe siècle, fut introduite dans les fabriques d'un pays qui, par ailleurs, manquait de bois, tandis que s'amélioraient les procédés métallurgiques. Mais il fallut attendre le XIXe siècle pour mesurer les résultats de ces progrès techniques ; c'est en fait l'industrie textile qui fut à l'origine de la réussite anglaise. Au début du XVIIIe siècle, les filateurs anglais avaient des difficultés à satisfaire les besoins croissants des tisserands en fil. L'usage généralisé de la navette volante (inventée en 1763) accrut encore le décalage existant entre l'offre et la demande de fil, et ce hiatus ne put être surmonté que par la diffusion d'inventions destinées à leur tour à accroître la productivité des filateurs : la « spinning-jenny » de James Hargreaves, puis la « waterframe » de Richard Arkwright qui utilisait l'énergie hydraulique, enfin la « mule-jenny » de Samuel Crompton qui combinait les principes des deux premières. Cette course technique se prolongea et conduisit à la spécialisation de certaines régions anglaises. Parmi elles, le Lancashire travaillait une matière première (le coton) provenant de l'immense empire colonial que construisait alors l'Angleterre (Indes, Égypte) : la plus-value du travail industriel était retenue par la métropole, qui s'enrichissait et exportait ses produits manufacturés partout dans le monde. D'autres régions, comme le pays de Galles, se transformèrent en pays noirs charbonniers, si caractéristiques des nouveaux paysages industriels. L'Angleterre devint ainsi l'« atelier de la planète » ; elle releva le défi de la perte des colonies américaines (1783), puis celui des ambitions françaises de domination universelle sous Napoléon : ses négociants compensèrent les effets du Blocus continental par la conquête de marchés extérieurs (Amérique du Sud). L'« invasion » économique s'avérait plus lucrative et plus sûre que l'invasion militaire ! Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Arkwright (sir Richard) blocus chemin de fer - Introduction filature industrialisation machine à vapeur machine-outil machinisme Royaume-Uni - Histoire - De la monarchie parlementaire à la révolution industrielle techniques (histoire des) - La révolution industrielle textiles - Histoire des textiles - Introduction Les livres révolution industrielle - mine du Staffordshire, en Angleterre, à la fin du XIXe siècle, page 4379, volume 8 révolution industrielle - manufacture de coton en Angleterre, à la fin du XIXe siècle, page 4379, volume 8 Une nouvelle économie Pour les historiens, ces mécanismes sont exemplaires de ce qu'allait être la révolution industrielle : d'abord une augmentation de la productivité du travail humain, et donc des volumes produits, grâce à une amélioration des techniques. Le « machinisme », c'est-àdire le remplacement systématique du travail manuel par celui des machines, permit une rationalisation sans précédent de la production. Il entraîna aussi le remplacement du traditionnel domestic system (travail à domicile) par le travail dans les fabriques et les usines, de plus en plus grandes. De nombreuses activités artisanales, rurales ou urbaines, furent peu à peu remplacées par un travail ouvrier plus répétitif et parcellisé. Cet appareillage, toujours plus ingénieux (ce fut le temps des ingénieurs), utilisant des sources d'énergie dérivées (vapeur, charbon, gaz, puis électricité), exigeait des investissements toujours plus considérables : le temps de la grande industrie fut donc aussi celui de la grande et libre entreprise, du capitalisme et de la banque. Les bénéfices furent vite à la mesure des risques encourus : s'ouvrit alors en Angleterre puis dans toute l'Europe une période de renouvellement des fortunes, donc des élites, qui bouleversa l'ordre hérité du système seigneurial de l'Ancien Régime. Cet ensemble de mécanismes, ce formidable processus d'entraînement économique, que les statistiques peuvent résumer sous le terme de « croissance », inauguraient un âge de rationalité économique et de productivité en rupture profonde avec les comportements routiniers qui avaient prévalu jusque-là. La naissance de nouvelles mentalités (esprit d'entreprise, individualisme, « mentalité quantitative »...) est, en concurrence avec les révolutions techniques, agricoles et démographiques du XVIIIe siècle, au centre de la polémique historique concernant les causes du déclenchement de la révolution industrielle. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats industrie machinisme mécanisation Les livres révolution industrielle - la salle des machines de l'Exposition universelle de Londres (1851), page 4378, volume 8 ville - Leeds, en Angleterre (gravure du XIXe siècle), page 5542, volume 10 La diffusion de la révolution industrielle Comme l'Angleterre, d'autres pays, en Europe, puis sur les autres continents, s'engagèrent dans cette mutation tout au long du XIXe siècle. Si les grands mécanismes décrits pour le pays pionnier se sont reproduits, chaque pays affirma une spécificité qui lui valut de trouver sa place dans le nouveau concert des nations. En France, le démarrage s'effectua à partir de 1830, mais lentement : ce pays ne connut jamais la période d'accélération de la croissance que Walt Rostow désigne sous le nom de « take-off » ( les Étapes de la croissance économique , 1960). En effet, ce n'est que sous le second Empire que la mutation sembla définitivement engagée, et la France ne devint un véritable pays industriel qu'après 1890. Le démarrage allemand fut plus tardif (vers 1845), mais plus brusque, grâce notamment à l'unification économique du pays (le Zollverein de 1833), préalable à l'unité politique. Dans ces deux pays, la révolution industrielle, qui ne s'appuya pas comme en Angleterre sur le textile, profita des nouvelles découvertes, tel le procédé Bessemer qui permit, à partir de 1855, de transformer la fonte en acier. Partout en Europe, le chemin de fer joua un rôle déterminant : par les investissements financiers que son installation supposait, par l'engagement des gouvernements et des banques, par l'initiative de certains aventuriers du capitalisme (Jacob Pereire ou Paulin Talabot en France), mais aussi par les effets qu'il eut sur le développement des autres secteurs économiques, il fut le secteur de pointe des années 1840-1860. Cette « révolution des transports » donna un second souffle - plus « continental » - à une révolution jusque-là très britannique, portuaire et maritime. Elle encouragea d'autre part les mouvements de population et un premier exode rural. En fait, chaque pays qui s'engageait dans la révolution industrielle bénéficiait des tâtonnements et acquis technologiques de ceux qui l'avaient précédé : son développement était plus rapide malgré une concurrence internationale plus dure. L'immigration permit même aux « pays neufs » (ceux d'Amérique et l'Australie principalement) de bénéficier d'une main-d'oeuvre entreprenante et formée aux nouvelles réalités. L'électricité, le pétrole, les débuts de la chimie ou de l'automobile encouragèrent d'autres initiatives (aux États- Unis, au Japon) et furent à l'origine d'une nouvelle donne économique, présentée parfois comme la « seconde révolution industrielle », à la charnière du XIX e et du XX e siècle : le processus semblait s'entretenir lui-même et la nouveauté devenait normale. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats automobile - Histoire de l'automobile Bessemer (sir Henry) chemin de fer - L'expansion du rail Pereire - Pereire Jacob Émile Rostow Walt Whitman take-off Talabot Paulin transports urbains - Histoire des transports urbains - Un essor rapide Zollverein (Deutscher) Les médias révolution industrielle - des villes menacées de déclin Les livres révolution industrielle - puits de mine au Creusot, en 1866, page 4378, volume 8 révolution industrielle - la mise en oeuvre du procédé Bessemer en Allemagne, à la fin du XIXe siècle, page 4379, volume 8 révolution industrielle - inauguration du chemin de fer à Reims, en 1854, page 4380, volume 8 révolution industrielle - Le Creusot, en 1866, page 4380, volume 8 révolution industrielle - les frères Pereire, fondateurs, sous le second Empire, du Crédit mobilier, page 4380, volume 8 Déséquilibres et contestations de la civilisation industrielle Les innovations en tout genre et l'augmentation de la consommation - donc du niveau de vie, selon le concept élaboré au XXe siècle - allaient permettre une foi en l'avenir inconnue jusque-là : le « progrès » devenait un argument décisif dans les choix politiques, voire le prétexte à une nouvelle colonisation. Sous le couvert d'une mission civilisatrice, les nations européennes cherchèrent à intégrer les peuples africains ou asiatiques à la division internationale du travail engendrée par l'industrialisation. L'Europe, qui avait vu sa prééminence remise en cause par la perte de colonies américaines au début du XIXe siècle, la retrouvait sur d'autres bases, trois quarts de siècle plus tard. Les ouvriers - les prolétaires, selon la terminologie marxiste - furent les grands perdants de cette révolution : dureté du travail en usine (discipline, cadences et horaires inconnus dans le monde paysan), terribles conditions de vie et de logement (les faubourgs ou les corons du Nord décrits par Émile Zola dans Germinal) s'ajoutèrent au déracinement géographique (exode rural) et à l'instabilité de l'emploi. La destruction des machines (luddisme en Angleterre) fut, dès le début du XIXe siècle, une manifestation de l'opposition des travailleurs au nouvel ordre. Ensuite, les revendications s'organisèrent dans le syndicalisme et la grève : anarchie, anarcho-syndicalisme, socialisme, communisme furent les idéologies révolutionnaires du mouvement ouvrier. À l'opposé, la bourgeoisie triomphait. Prospère et sûre d'elle, elle achetait les terres, découvrait le voyage et les bains de mer à Brighton ou à Deauville, s'assimilait à l'aristocratie : elle accaparait les instances du pouvoir et de l'administration, et prêchait l'exemple par ses valeurs d'économie, de travail et de bonnes moeurs aux autres catégories sociales dont elle craignait la déchristianisation. Les paysans, un peu à l'écart du mouvement, vécurent pourtant la première mécanisation ; l'amélioration des rendements agricoles permit un certain âge d'or dans les campagnes du XIXe siècle. Mais la baisse des prix agricoles par rapport aux produits manufacturés (la « crise des ciseaux ») inaugurait un déséquilibre dont le monde agricole souffre encore : la spécialisation de certaines régions, rendue possible par la révolution des transports, fut une première étape de la fuite en avant du monde rural. La nouvelle économie s'avérait en effet fondamentalement urbaine ; les grandes villes regroupèrent vite les extrêmes de la société - prolétaires et bourgeois - puis, plus tard, la masse des employés du tertiaire, dont eut aussi besoin la nouvelle économie et qui constituèrent les classes moyennes. Malgré les grands travaux comme ceux du baron Haussmann à Paris, les faubourgs, banlieues et autres périphéries urbaines, industrielles ou résidentielles prirent une ampleur inconnue, posant des problèmes sanitaires inédits, qui aboutirent à la formation d'une véritable idéologie hygiéniste selon laquelle le pauvre, par nature sale, négligent et alcoolique, devait être éduqué par les élites scientifiques et bourgeoises. La ségrégation sociale se renforça ; un système de transports de plus en plus sophistiqué (omnibus, tramways, puis, vers 1900, métro) commençait à amener les travailleurs vers les quartiers centraux où s'étaient installées les entreprises, donnant naissance aux migrations pendulaires, caractéristiques de la vie urbaine moderne. Enfin, cette économie, qui sécréta une nouvelle société mise en scène par des écrivains de toutes nationalités (dont Charles Dickens en Angleterre et Émile Zola en France sont les représentants les plus fameux), dévoila progressivement son instabilité par des crises de plus en plus profondes : aux crises, strictement anglaises, des années 1816, 1825, 18361839 succédèrent la dépression européenne et américaine de 1846-1851 (liée à une crise alimentaire majeure), puis celle des décennies 1870-1880 qui, après le « maximum » de 1873, sembla préfigurer la grande dépression des années trente... Ces déséquilibres de l'économie industrielle, accrus par une concurrence internationale plus dure, marquèrent profondément le XX e siècle et le sort des catégories sociales les plus fragiles, entraînant une prise de conscience politique qui devait aboutir à la fois au catholicisme social d'Albert de Mun, héritier d'un esprit réactionnaire (c'est-à-dire refusant le progrès et ses effets inhumains, considérés comme une conséquence de l'abandon des structures sociales traditionnelles) proche du légitimisme et à la naissance du socialisme utopique (Fourier, Saint-Simon), puis marxiste. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats anarchie anarcho-syndicalisme architecture - Architecture et société bourgeois campagne - Les campagnes dans le monde contemporain crise économique - Dépression ou transformation structurelle crise économique - Les crises préindustrielles dépression - 4.ÉCONOMIE Dickens Charles exode rural faubourg Fourier Charles habitat - L'habitat urbain - La division du tissu urbain Haussmann (Georges Eugène, baron) manufacture migrations de populations Mun (Albert, comte de) ouvrier (mouvement) sciences (histoire des) - Quelques réflexions en forme de conclusion - Science et révolution industrielle socialisme - Introduction socialisme - Le socialisme au XIXe siècle transports urbains - Histoire des transports urbains - Un essor rapide utopie ville - Histoire de l'urbanisation - La ville à l'âge industriel Zola Émile Les livres machinisme, page 2964, volume 6 révolution industrielle - Clare Market, à Londres, page 4381, volume 8 révolution industrielle - lithographie de Daumier représentant Robert Macaire, notaire, page 4381, volume 8 révolution industrielle - Labor Day à Pittsburgh en 1882, page 4381, volume 8 Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats techniques (histoire des) - La révolution industrielle Les indications bibliographiques T. S. Ashton, la Révolution industrielle (1760-1830), Plon, Paris, 1955. J. M. Gayman et D. Diatkine, Croissance et crises en France de 1840 à 1900, Nathan, Paris, 1994. W. O. Henderson, la Révolution industrielle (1780-1914), Flammarion, Paris, 1970. J.-P. Rioux, la Révolution industrielle (1780-1880), Seuil, Paris, 1989 (1971).