Pendant des siècles, la tapisserie fut un secteur clé de l'économie. Utile et décorative, elle faisait la splendeur des murs, tout en rappelant la puissance et la richesse du prince. Il était normal qu'elle fût l'objet de tous les soins. Elle faisait travailler les plus grands artistes avec les meilleurs artisans. Les peintres y trouvaient une occasion de faire vivre leurs images sur un nouveau support. La tapisserie interprète l'idée plastique et lui impose un traitement particulier en la traduisant dans une matière textile. De nouveaux émerveillements surgissent de ce long et savant processus. Initialement destinée à orner les murs des demeures princières et des églises, la tapisserie montrait des paysages ou racontait des histoires. Réalisé sur un canevas à l'aiguille ou au métier, avec de la laine, de la soie et des fils d'or, l'ouvrage résulte de l'entrecroisement des fils de chaîne - tendue verticalement (haute lice) ou horizontalement (basse lice) - avec les fils de trame, ces derniers, colorés, recouvrant entièrement les premiers et constituant ainsi le motif. La tapisserie a pour origine une oeuvre peinte ou dessinée : un modèle, ou « petit patron », qui, agrandi aux dimensions de la tapisserie, devient un carton, ou « grand patron » ; c'est alors qu'intervient le licier, qui traduit le carton en tapisserie. De ce fait, la tapisserie est étroitement liée à la peinture, elle en est le reflet, mais ne s'y assimile jamais ; sa fonction même le lui interdit et sa matière s'y oppose : la tapisserie réchauffe l'atmosphère, absorbe la lumière et amortit les bruits. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats haute lisse Les livres tapisserie - métier de basse lisse, page 5040, volume 9 tapisserie - métier de haute lisse, page 5040, volume 9 Les principaux centres de tapisserie au Moyen Âge L'art de la tapisserie, connu probablement dès la plus haute Antiquité (chez les Assyriens, les Mèdes, les Perses, les Phéniciens), nous a laissé comme exemples les plus anciens des morceaux de tissus d'ameublement, de tentures et de vêtements coptes (IIIe -XIIe siècle). En Europe, cet art était déjà pratiqué au haut Moyen Âge, mais les plus anciens vestiges conservés datent de la fin du XIe siècle et du début du XIIe siècle. Les oeuvres qui nous sont parvenues attestent une production importante à partir de la seconde moitié du XIVe siècle et au XVe siècle. L'identité des peintres qui ont fourni les cartons est encore bien souvent ignorée et la détermination des lieux de réalisation demeure un problème fort délicat à résoudre. Hennequin de Bruges exécuta à partir de manuscrits à peintures les cartons de l'Apocalypse d'Angers, commandée par le duc Louis Ier d'Anjou, frère du roi Charles V, au marchand tapissier parisien Nicolas Bataille qui la fit réaliser entre 1377 et 1380. Les tapissiers parisiens, organisés en communauté, avaient fait de Paris un centre à l'activité considérable pouvant rivaliser avec celle des ateliers d'Arras. De cette dernière ville, qui devint le centre prépondérant de l'art de la tapisserie durant la première moitié du XVe siècle, on ne connaît avec certitude qu'une seule oeuvre : Histoire des saints Piat et Éleuthère, exécutée en 1402 par le licier Pierrot Féré pour Toussaint Prier, chanoine de la cathédrale de Tournai à qui il en fit don. Vers le milieu du XVe s iècle, Arras dut céder sa primauté à Tournai, qui, à la fin du siècle, fut à son tour supplantée par Bruxelles, où les liciers étaient organisés en communauté depuis 1448. La tenture de la Guerre de Troie (vers 1470), la Millefleurs aux armes de Jean de Daillon (vers 1480) et la Vie de saint Ursin (vers 1500) sont les seules pièces qui peuvent être tenues pour de véritables productions tournaisiennes. Les petits patrons de la première tenture citée, caractérisés par des compositions comprenant de nombreux personnages en mouvement et aux gestes vigoureux, ont été récemment attribués à Henri de Vulcop (actif entre 1446 et 1470), peintre et enlumineur à la cour de Charles VII, de même que c'est à l'un de ses disciples, appelé le Maître de la Chasse à la licorne, qu'ont été donnés les modèles de la Chasse e t de la D ame à la licorne e t de XVe quelques autres tapisseries. Jacques Daret et Nicolas Froment ont également été proposés comme cartonniers des tapisseries de la Vie de saint Pierre ( vers 1460) et de l' Histoire d'Alexandre. Le style de grands peintres tels que Rogier Van der Weyden, Hans Memling et Quentin Metsys se retrouve dans des oeuvres de la fin du XVe siècle et du début du XVI e . Datant de la même époque, un groupe de tapisseries (Légende d'Herkenbald , 1513 ; Histoire de David et Bethsabée, vers 1510-1515) montre des compositions dans lesquelles fourmille une quantité de personnages richement vêtus et dont les petits patrons ont été attribués à Jan Van Roome et à ses émules. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Angers Apocalypse Arras Bataille Nicolas Bayeux (tapisserie de) coptes coptes - Art Froment Nicolas gothique - Orfèvrerie, tapisserie, peinture licorne Tournai Les livres Bayeux (tapisserie de), page 579, volume 2 tapisserie - détail d'un fragment de la tapisserie de l'église de Baldishol en Norvège, page 5036, volume 9 tapisserie - scène de la tenture de l'Apocalypse d'Angers (1377-1380), page 5036, volume 9 tapisserie - détail d'une tapisserie exécutée à Tournai, au début du XVe siècle, page 5037, volume 9 tapisserie - le Concert, tissé vraisemblablement à Arras vers 1420, page 5037, volume 9 tapisserie - le Tournoi, tapisserie en laine, soie, argent et or, de facture bruxelloise, exécutée vers 1494, page 5038, volume 9 tapisserie - le Goût, l'une des six tentures composant la Dame à la licorne (fin XVe siècle), page 5038, volume 9 temps - tapisserie de la reine Mathilde, à Bayeux, page 5119, volume 9 La tapisserie à la Renaissance et à l'époque baroque Raphaël introduisit l'art de la Renaissance italienne dans la tapisserie en composant les cartons de la tenture des Actes des apôtres, commandée par le pape Léon X pour orner la chapelle Sixtine et tissée dans l'atelier du licier bruxellois Pierre Van Aelst (1515-1519). Bernard Van Orley adopta le parti de Raphaël en exécutant les patrons de l'Histoire de Jacob (Bruxelles, Musées royaux) et des Chasses de Maximilien (musée du Louvre) ; il fut suivi par ses élèves et ses collaborateurs, Pierre Coeck d'Alost, Jean Vermeyen et Michel Coxcie, qui dessinèrent les plus belles tapisseries bruxelloises du XVIe siècle. Au début du XVIIe siècle, les oeuvres exécutées d'après les modèles fournis par Rubens (dont l'Histoire d'Achille et l'Apothéose de l'Eucharistie) et son disciple Jacob Jordaens (dont les Scènes de la vie champêtre, les Proverbes et le Manège) saisirent à merveille le caractère épique des compositions de ces artistes. À côté des remarquables oeuvres exécutées au cours des XVIe et XVIIe siècles à Bruxelles, il convient de mentionner les tapisseries d'Enghien et d'Oudenaarde, les tentures d'Anvers, qui rivalisèrent un temps en somptuosité avec celles de la capitale du Brabant, et celles de Bruges, aux coloris puissants. L'économie des Pays-Bas fut mise à rude épreuve lors des guerres civiles et religieuses de la seconde moitié du XVIe siècle. De nombreux liciers émigrèrent : Jean Karcher et Jan Rost furent engagés par le duc d'Este à Ferrare, puis, en 1546, par Cosme Ier de Médicis à Florence, pour travailler d'après des modèles de peintres italiens, dont Battista Dossi, Bronzino et Salviati ; l'Électeur de Bavière Maximilien I er r ecruta en 1604 des tapissiers d'origine bruxelloise pour établir à sa cour une manufacture qui travailla sur les dessins du Flamand Pieter de Witt ; en 1619, lorsque le roi Jacques I er d'Angleterre confia la direction de la manufacture de Mortlake à sir Walter Crane, ce dernier appela principalement des ouvriers flamands pour tisser des cartons de Raphaël, Rubens et de Francis Klein ; en 1601, Marc de Comans, licier d'Anvers, et François de la Planche, originaire d'Oudenaarde, s'associèrent et ouvrirent un atelier à Paris. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Anvers Arcimboldo Giuseppe Brabant Bronzino (Angelodi Cosimo di Mariano, dit il) Bruges Jordaens Jacob Raphaël (Raffaello Santi ou Sanzio, dit en français) Rubens Pierre Paul Sixtine (chapelle) Les livres chasse du sanglier à l'épieu, détail d'une tapisserie des Flandres (XVIe siècle), page 1004, volume 2 Italie (guerres d'), page 2602, volume 5 L'âge d'or des grandes manufactures françaises Après avoir été le grand centre de la tapisserie au XVIe siècle, Bruxelles, au siècle suivant, céda la suprématie aux manufactures françaises. Parmi les premières tentures exécutées dans les ateliers parisiens, citons la célèbre Histoire d'Artémise, à la gloire de Catherine de Médicis, et dont les cartons avaient été réalisés par Antoine Caron, et l'Histoire de Constantin, commandée par Louis XIII à Rubens en 1622. Appelé spécialement d'Italie où il séjournait depuis 1612, Simon Vouet rentra à Paris en 1627 afin de livrer les modèles de la tenture de l'Ancien Testament destinée à orner le palais du Louvre. Ses compositions amples, vivement colorées, dans lesquelles les figures, aux attitudes parfois solennelles, sont empreintes de délicatesse, s'accordent à merveille avec les intentions décoratives de la tapisserie. En 1662, Colbert rassembla en un même lieu les divers ateliers parisiens, créant ainsi la Manufacture royale des Gobelins, à la tête de laquelle il nomma Charles Le Brun comme directeur artistique. Le premier peintre du roi livra ainsi de grandes compositions épiques à la gloire de Louis XIV : Histoire d'Alexandre, Histoire du roi et Maisons royales. Au début du XVIIIe siècle, Charles-Antoine Coypel et Jean Jouvenet prolongèrent l'art de Le Brun en fournissant les modèles de l'Ancien Testament pour le premier (1710) et du Nouveau Testament pour le second (1711). Philippe Behagle, nommé en 1684 à la tête de la manufacture de Beauvais créée par Colbert en 1664, élargit le choix des modèles en faisant tisser des compositions nouvelles, plus amples que celles qui avaient été entreprises jusque-là, pleines de variété et de fantaisie, comme les Grotesques à fond jaune imaginés par Jean-Baptiste Monnoyer. Elles annoncent ainsi l'art du XVIIIe siècle, dominé par les créations de Jean-Baptiste Oudry (Chasses nouvelles, Verdures fines, Amusements champêtres, etc.) et de François Boucher (Histoire de Psyché, Tenture chinoise, Amours des dieux, etc.), qui donnent un air de fête à la tapisserie. Ces tentures furent en partie reprises dans les ateliers d'Aubusson, qui reçurent en 1665 le titre de Manufacture royale. À Madrid, Goya livra à la Real Fabrica de tapices, établie en 1720, des compositions aux coloris éclatants. Le retour à un style sévère, qui se manifesta à la fin du XVIII e siècle dans les oeuvres tissées de l'atelier de Turin, établi en 1731, et à la manufacture des Gobelins, devint de règle au début du XIXe siècle. Mais le recours à de médiocres cartons et l'emploi de procédés techniques répondant à un trop grand souci d'imiter la peinture à l'huile entraînèrent la tapisserie dans une impasse. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Aubusson Beauvais Boucher François Colbert Jean-Baptiste Coypel - Coypel Charles Antoine Desportes François Gobelins (tapisserie des) Goya (Francisco de Goya y Lucientes, dit Francisco de) Jouvenet Jean-Baptiste Le Brun Charles manufacture Natoire Charles Oudry Jean-Baptiste Vouet Simon Les livres Creuse (23) - le quartier de la Terrade à Aubusson, page 1311, volume 3 Gobelins (tapisserie des), page 2183, volume 4 tapisserie - tenture faisant partie de l'Histoire d'Artémise et représentant les hérauts à cheval, page 5039, volume 9 tapisserie - une scène de la série des « Chinois », tapisserie de Beauvais exécutée en 1711, d'après les cartons de Vernansal et Blin de Fo, page 5039, volume 9 tapisserie - Louis XIV visitant les Gobelins, page 5039, volume 9 France - Louis XIV et Colbert en visite à la manufacture des Gobelins, page 2010, volume 4 Le XXe siècle : la tapisserie retrouvée et renouvelée Pour sortir de cette impasse, diverses tentatives furent faites dans plusieurs pays d'Europe à la fin du XIXe siècle et au début du XXe . Ainsi, l'Anglais William Morris, dans sa manufacture installée à Merton Abbey, essaya de retrouver ce qui faisait, selon lui, la valeur des oeuvres médiévales. Les tentatives de renouvellement les plus importantes remontent à l'entre-deux-guerres : à Aubusson notamment, les oeuvres de Picasso, Matisse, Léger furent reproduites dans les années trente. Mais c'est surtout le nom de Jean Lurçat qui reste attaché à la renaissance de la tapisserie. C'est lui qui lui a restitué sa destination de décor mural, renouant ainsi avec la tradition médiévale. En limitant la gamme des couleurs pour rejeter définitivement les excès des deux siècles précédents, il a rendu à la tapisserie son éclat d'autrefois par l'emploi de tons soutenus. Jean Lurçat a été suivi par de jeunes artistes, parmi lesquels Marc Saint-Saëns, Jean Picart Le Doux, Mario Prassinos et bien d'autres peintres cartonniers. Les ateliers français, rénovés, ont alors connu un nouvel âge d'or. À partir des années soixante, la tapisserie a pris deux orientations : l'une est restée fidèle à la tradition ; l'autre s'en est écartée avec audace et a donné naissance à la « nouvelle tapisserie », qui s'est élaborée autour des Biennales internationales de la tapisserie de Lausanne et que caractérisent des recherches de matière et de volume. Dès lors, la tapisserie s'est internationalisée et profondément transformée : quittant le mur, elle est devenue sculpture. De nombreuses femmes se sont initiées à cet art qui relève de l'architecture sculpturale tout en proposant également des structures légères, et ont tenu à réaliser elles-mêmes leurs créations. Trois noms s'imposent parmi cette production abondante : ceux de la Polonaise Magdalena Abakanowicz, de l'Américaine Sheila Hicks et de la Yougoslave Jagoda Bui? , qui témoignent de l'ouverture considérable qui caractérise le renouvellement de la tapisserie. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Gromaire Marcel Léger Fernand Lurçat - Lurçat Jean Manessier Alfred Morris William Picart Le Doux Jean Prassinos Mario Saint-Saëns Marc Les médias tapisserie - renaissance du décor mural Les livres Aubusson - fragment d'une tapisserie, page 447, volume 1 tapisserie - détail du carton de Lurçat pour Chaud et froid, page 5040, volume 9 tapisserie - détail de Chaud et froid, tapisserie d'Aubusson d'après un carton de Jean Lurçat, page 5040, volume 9 tapisserie - le Bleuet (1966), de Thomas Gleb, page 5041, volume 9 tapisserie - Diane, de Marc Saint-Saëns, page 5041, volume 9 Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Cluny (musée des Thermes et de l'hôtel de) Gobelins (tapisserie des) haute lisse lisse Les indications bibliographiques P.-F. Bertrand, D. Chevalier et P. Chevalier, les Tapisseries d'Aubusson et de Felletin, Bibliothèque des arts, Paris, 1988. M.B. Freeman, la Chasse à la licorne, Bibliothèque des arts, Paris, 1983. F. Joubert, la Tapisserie au Moyen Âge, Ouest-France, Rennes, 1995. R.-A. Weigert, la Tapisserie et le tapis en France, PUF, Paris, 1964.