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MOLIÈRE (Jean-Baptiste Poquelin, dit)

Publié le 26/01/2019

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MOLIÈRE (Jean-Baptiste Poquelin, dit), auteur dramatique français (Paris 1622-id. 1673). Depuis que Boileau a assuré à Louis XIV que Molière était l'écrivain qui honorait le plus son règne, l'auteur du Misanthrope est une institution natio

 

nale. Dès son époque, sa gloire égala celle des auteurs de tragédies (seul genre dramatique admis), Corneille et Racine. Aujourd'hui, il est plus qu'aucun autre lu, représenté, étudié (il reste un élément essentiel de l'enseignement du français dans le secondaire, bien que la langue et la culture classiques échappent désormais aux adolescents qui ne rient plus guère qu'aux pièces les plus proches de la farce). Son théâtre sollicite l'attention répétée des metteurs en scène les plus en vue (de Planchon à Vitez) aussi bien que des troupes d'amateurs. Le cinéma s'en est emparé (l'Avare, avec Louis de Funès, le Bourgeois gentilhomme de R. Coggio, entre autres) comme la télévision (Dom Juan, le Bourgeois gentilhomme) : signe que ses pièces conservent leurs ressources spectaculaires. L'intérêt actuel ne se borne pas à l'œuvre : le personnage de Molière a inspiré écrivains (M. Boulgakov, le Roman de M. de Molière, 1936) et cinéastes (Molière d'A. Mnouchkine, 1979). Cette célébrité ne va pas sans une simplification ni une schématisation de l'œuvre. Qui pense à voir à travers le peintre consacré des « caractères » et des « types étemels » d'humanité, le créateur du « théâtre total » si éloigné du propos reconnu de la dramaturgie classique ? Treize pièces de Molière sur trente-deux sont pourtant « mêlées de musique et de danse », et il n'en est pas une qui ne témoigne d'une recherche technique. Molière, ce n'est pas qu'un texte (il fut le premier metteur en scène, dirigeant avec précision le jeu de ses acteurs, dont on lui reprochait de « compter toutes les œillades ») et ce n'est pas non plus une conception unique et invariable du comique. Une compréhension correcte de son œuvre exige qu'on la rattache davantage à son contexte culturel et historique.

 

Une vie vouée au théâtre. Il est né au cœur de Paris, dans une famille bourgeoise en voie de promotion sociale. Ses parents sont jeunes (sa mère a 20 ans, son père 25). Leurs affaires (artisanat et commerce de tapisserie) prospèrent : son père achète en 1631 une charge avantageuse de « tapissier du roi » (c'est-à-dire de fournisseur de la Cour). La mère meurt en 1632 ; le père se remarie, mais est à nouveau veuf en 1636. Aîné de 5 enfants, Jean-Baptiste est envoyé au collège jésuite de Clermont que fréquentaient des fils d'aristocrates. En 1640, il se tourne vers des études de droit, qui aboutissent à un titre d'avocat. Il est à peu près certain (des phrases entières de Dom Juan sont reprises, traduites, de la Philosophia Epicuri syntagma) que dans la même période il suit les leçons du philosophe Gassendi, comme ont fait aussi Chapelle et Cyrano de Bergerac, avec qui il entretiendra des relations littéraires et amicales. Ainsi, la libre pensée (ou « libertinage ») aurait tôt exercé sur lui son influence. Le jeune Poquelin est alors en mesure de franchir un échelon dans la hiérarchie sociale, en achetant, grâce à la fortune de sa famille, une charge de justice ou d'administration, qui peut mener à l'anoblissement. Mais c'est alors qu'il opte pour un changement radical d'orientation.

 

En 1643, il se fait verser sa part d'héritage maternel et passe contrat avec la famille Béjart et six autres comédiens pour fonder une troupe dramatique : l'Illustre-Théâtre. Des légendes courent sur les origines de cette vocation : son grand-père, dit-on, l'aurait souvent emmené voir les bateleurs, lui insufflant le goût des planches... Mieux vaut constater combien sa vocation fut impérieuse, et discerner combien elle était originale. Le fait même de quitter le confort de la vie bourgeoise pour le théâtre est une première originalité. Mais le fait le plus remarquable est qu'il s'agit d'une vocation d'acteur. Par ses origines et sa formation il aurait pu, comme nombre de ses condisciples, se mêler de littérature et venir au théâtre par l'écriture. Mais, chez lui, le goût du jeu scénique précède l'écriture : donnée fondamentale pour comprendre sa carrière et son esthétique. Originalité supplémentaire : il ne s'intégre pas à une troupe déjà établie, mais en fonde une nouvelle et tente de l'imposer à Paris, où la chose était des plus difficiles. Comme, enfin, il est dès le début présenté comme un des dirigeants de sa compagnie (au

 

moins comme administrateur, or à l'époque les chefs de troupe avaient fait d'abord leurs preuves comme acteurs), on peut dire, sans que cela soit une simple formule, qu'il s'est lancé à corps perdu dans l'aventure théâtrale. Parachevant la métamorphose de son personnage social, il adopte alors le pseudonyme de Molière (1644).

 

En butte à l'hostilité du clergé et des troupes concurrentes de l'Hôtel de Bourgogne et du Marais, l'Illustre-Théâtre fait faillite dès 1645, et Molière connaît la prison pour dettes. Il rejoint ensuite (peut-être en 1645, au plus tard en 1648), avec les Béjart, la troupe provinciale itinérante de Dufresny. Après l'échec de l'ambitieuse tentative parisienne, ce sont des années d'apprentissage, à travers la région lyonnaise et le Languedoc. De 1653 à 1658, la troupe est protégée par le prince de Conti, gouverneur du Languedoc, qui lui fait verser une gratification quand elle va jouer à Pézenas, où se tiennent les états de la province. Molière devient le chef de sa compagnie et commence à écrire pour en fournir le répertoire : d'abord des farces (la Jalousie du barbouillé, le Médecin volant), puis des comédies (l'Étourdi, Lyon, 1654; le Dépit amoureux, Béziers, 1656). Mais, en 1658, le prince de Conti vire à la dévotion et retire son appui aux comédiens. Ceux-ci quittent alors le Languedoc et, à travers les provinces, se dirigent vers Paris ; ils séjournent à Rouen, où ils rencontrent les frères Corneille. Molière négocie avec les troupes déjà en place et, profitant de la passion du jeune Louis XIV et de sa cour pour les spectacles, cherche des appuis : il obtient ainsi la protection de Monsieur, frère du roi. À l'automne 1658, la troupe débute à Paris devant la Cour, elle est autorisée à partager la salle qu'utilisent les Comédiens-Italiens.

 

Dès 1659, la gloire survient avec le succès triomphal des Précieuses ridicules : pour la première fois, Molière fait éditer son texte (entre autres raisons pour couper l'herbe sous le pied à des éditeurs pirates qui s'en étaient emparés). Dès lors, les créations vont se succéder à un rythme soutenu. Après Sganarelle ou le Cocu imaginaire ( 1660), il donne Dom Garde de Navarre (1661), comédie héroïque, peu appréciée, TÉcole des maris et surtout les Fâcheux (1661), commandés par le surintendant Fouquet pour une grande fête à Vaux-le-Vicomte et bien reçus ensuite par le public parisien. L'École des femmes (1662) déclenche une violente « querelle » : c'est dans le cadre de celle-ci que Molière crée la Critique de l'École des femmes et l'impromptu de Versailles (1663), où il ridiculise ses détracteurs (les petits marquis, les fausses prudes) et ses rivaux (les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne). Malgré les attaques dont il fait l'objet, il est apprécié de Louis XIV, qui lui commande de nombreuses pièces pour les fêtes de la Cour : en 1664, ce sont le Mariage forcé et surtout la Princesse d'Élide, jouée à Versailles dans le cadre du somptueux divertissement des « Plaisirs de l'île enchantée ». Dans les années suivantes, une bonne part de la création moliéresque sera ainsi destinée avant tout aux réjouissances qui se déroulent dans les résidences royales (TAmour médecin, 1665 ; Mélicerte, 1666; la Pastorale comique, 1667 ; le Sicilien, 1667; George Dandin, 1668 ; Monsieur de Pourceaugnac, 1669 ; les Amants magnifiques, 1670 ; le Bourgeois gentilhomme, 1670; la Comtesse d'Escarbagnas, 1671) : toutes ces pièces associent comédie, musique et ballets.

 

Mais dès 1664, alors que la querelle de l'École des femmes n'est pas encore apaisée, Molière présente une première version de Tartuffe : la pièce fait scandale et est interdite. Il ne cessera de se battre contre l'Église et la puissante Compagnie du Saint-Sacrement pour avoir le droit de la jouer — ce qu'il obtient enfin en 1669. Dans le même esprit, il compose Dom Juan (1665) ; même le Misanthrope (1666) en porte quelque écho : le succès est donc intimement lié à des polémiques permanentes et graves. Si l'on ajoute à ce répertoire le Médecin malgré lui (1666), Amphitryon (1668), 1'Avare (1668), Psyché (1671), les Fourberies de Scapin (1671), les Femmes savantes (1672), le Malade imaginaire (1673), c'est, en moyenne,

 

deux pièces par an que Molière compose et met en scène durant la période parisienne de sa carrière. Or, depuis 1666 au moins, sa santé s'altérait gravement ; le 17 février 1673, lors de la 4e représentation du Malade imaginaire, un malaise le saisit sur scène et il meurt dans la soirée.

 

Rien d'étonnant si cette activité fébrile a occulté sa vie privée. On sait cependant qu'il eut des relations amicales avec divers auteurs, mais qu'il était en froid avec les frères Corneille [l'École des femmes contient à leur sujet des allusions acides) et qu'il se brouilla avec Racine quand ce dernier, après lui avoir confié ses pièces, passa en secret contrat avec la troupe rivale. On sait aussi qu'il fut l'amant de Madeleine Béjart, avant d'épouser (1662) la fille de celle-ci, Armande, de 20 ans plus jeune que lui (ses ennemis affirmèrent que, ce faisant, il épousait sa propre fille). Le ménage eut trois enfants (seule la fille cadette survécut) et ne semble pas avoir été des plus heureux. En revanche, le bilan social est nettement positif. Au lieu de la lente ascension d'une carrière bourgeoise, Molière a atteint très vite la gloire et la fortune. Son public l'admire. Louis XIV le soutient, accepte d'être le parrain de son premier enfant (1664) et lui fait verser une pension (elle s'élève à 6 000 livres dès 1665) : à sa mort, Molière laisse un héritage important. Il laisse aussi une troupe qui est devenue la plus réputée de Paris, et où des comédiens de grand talent ont trouvé l'occasion de se former et de s'affirmer (la Du Parc et Baron notamment). En 1680, le roi ordonna la réunion de cette troupe avec celle de l'Hôtel de Bourgogne pour fonder la Comédie-Française.

 

Les facettes de la comédie moliéresque. Trop souvent, l'histoire et la critique littéraires ne retiennent du théâtre de Molière que quelques pièces considérées comme seules importantes, et cette sélection édulcore l'œuvre et en voile des traits essentiels. Or le premier de ces traits est la diversité. Il faut en particulier souligner que la moitié de sa copieuse production dramatique relève d'un genre que l'on qualifie aujourd'hui de « baroque » : la comédie-ballet. C'est le cas de toutes les pièces écrites pour des fêtes de Cour, mais aussi du Malade imaginaire. Ces pièces associaient une action dramatique (d'intrigue assez lâche le plus souvent) à la musique et aux intermèdes dansés et chantés : en abordant le genre avec les Fâcheux, Molière a inventé sinon une forme radicalement neuve, du moins un type original de théâtre comique. À certains égards, ces spectacles étaient concurrents de l'opéra, alors naissant en France, et dont Lulli, après avoir collaboré avec Molière, obtint l'exclusivité. Le public de Cour aimait les ballets, et, avec celui de la ville, il appréciait les mises en scène spectaculaires, les « pièces à machines ». Aussi les plus grands succès de Molière de son vivant sont-ils dus à ce type de pièce : le Registre dans lequel l'acteur La Grange notait les recettes des représentations en témoigne. Dans un tel cadre, Molière aborde toute sorte de thèmes, en de nombreuses variations : le Bourgeois gentilhomme combine la comédie de mœurs et les intermèdes bouffons ; ailleurs, c'est l'univers de la pastorale qui est repris, avec ses personnages de princes déguisés et son ton galant (la Princesse d'Élide, Mélicerte). Il faut rattacher aussi à cet ensemble les pièces à sujet mythologique comme Amphitryon (1668) et la « tragédie-ballet » de Psyché (1671). Molière innove aussi dans la «grande comédie», qui forme un autre pan important de son œuvre. Il avait eu des prédécesseurs illustres, en particulier Corneille, qui avait assez précisément fixé les formes et le ton de la comédie soutenue, en 5 actes et en vers. Molière fait de celle-ci un des axes de sa création, même si les pièces qui correspondent exactement à cette définition sont peu nombreuses : l'École des femmes, Tartuffe, le Misanthrope, les Femmes savantes. D'autres, quoique très proches, s'en écartent un peu, par la forme, le ton ou le sujet : T École des maris se borne à trois actes, l'Avare reste en prose, Dom Juan ne respecte pas l'imité de lieu et d'action, les Fourberies sont de ton plus libre.

 

Mais Molière est aussi (et chronologi

 

quement il fut d'abord) un héritier : l'héritier de la tradition farcesque. C'est une farce qui lui apporte la célébrité : les Précieuses ridicules. C'est à l'occasion d'une farce, le Cocu imaginaire, qu'il crée son personnage de Sganarelle, qu'il réutilisera souvent. Et, même à l'intérieur de comédies plus soutenues, plus « dignes », il introduit des éléments farcesques. Dans la comédie-ballet aristocratique de la Princesse d'Élide, le valet poltron Moron est un personnage de farce ; dans les Fourberies, la scène où Scapin enferme le vieux richard dans un sac et le roue de coups est une scène de farce. Boileau fera grief à Molière d'être revenu sans cesse vers ce type de comique : c'est que, soucieux de classer et hiérarchiser, il aurait voulu que la création moliéresque s'élevât, par degrés, vers la grande comédie et y trouvât son aboutissement. La réalité est plus complexe. Certes, il y a dans l'itinéraire de Molière des étapes marquantes : il n'y a pas pour autant une ligne continue d'évolution mais l'exploitation de diverses veines comiques. Si, dès ses débuts, Molière a souhaité s'orienter vers la comédie soutenue ; s'il a même tenté, sans succès, avec Dom Garde de se distinguer dans un genre réputé plus noble, il n'a jamais renié l'héritage de la farce, ni jamais rompu avec l'art de la comédie-ballet. Il était trop soucieux de suivre le goût du public : il avait comme souci majeur de plaire, comme l'exigeait d'ailleurs Boileau de l'écrivain classique. Molière était homme de théâtre avant d'être littérateur.

 

La dramaturgie : un comique spectaculaire. Pour comprendre le travail de Molière écrivain, il ne faut pas le séparer de ses préoccupations d'acteur, de metteur en scène, de directeur de troupe. Ses textes, quoique souvent rédigés à la hâte, sont efficaces parce que, composant avec dans l'esprit la scène et ses exigences, les acteurs et leurs particularités, il les conçoit en termes de spectacle. L'Impromptu de Versailles est à cet égard particulièrement révélateur. Molière y apparaît sur scène dans l'exercice de ses diverses fonctions, et les options principales de son esthétique se trouvent mises en lumière par le jeu du « théâtre dans le théâtre ». Pour lui, les sujets traités peuvent être des plus divers, pourvu qu'ils restent gais, dans l'ordre du quotidien et qu'ils se prêtent au jeu scénique. Il imagine ainsi une comédie qui parodie ses rivaux, les comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, ce qui lui permet d'allègres caricatures. Pour personnages, il choisit des types nettement repérables par leurs attitudes et leurs tics. C'est ainsi qu'il vise souvent les « petits marquis », non seulement par satire sociale, mais par souci d'efficacité scénique (« Le marquis est aujourd'hui le plaisant de la comédie », Impromptu, sc. i). Mais le goût de l'époque exigeait aussi que l'on respectât les bienséances, et les ennemis de Molière ne cessèrent de lui reprocher de heurter les bonnes mœurs. Il est exact qu'il y a dans son théâtre des jeux de scène ou de mots plus que hardis, y compris dans les pièces les plus soutenues (ainsi dans l'École des femmes, II, v, le fameux : « Il m'a pris le... »). Molière se défendait en soulignant, d'une part, l'hypocrisie de ses détracteurs prudes en paroles et débauchés en action et, d'autre part, que ces équivoques étaient dans la logique des caractères de ses personnages. Il faisait ainsi intervenir une autre notion clef de son esthétique : le « naturel ». Celui-ci n'exclut pas la caricature. Il ne suppose pas non plus des personnages doués d'une grande « épaisseur » psychologique. Il signifie que l'on représente les comportements en ce qu'ils ont d'authentique et de typique à la fois ; c'est pourquoi ses personnages sont moins des individualités que des types, voire des stéréotypes dans les farces. Car le « naturel » tel qu'il le conçoit n'exclut pas le jeu de « masques » : au contraire, il utilise les masques pour dénoncer les vices du comportement.

 

Enfin et surtout, Molière a le souci du comique. Le schéma premier de ses intrigues est en général simple : jeu du trompeur-trompé dans les farces ; conflit entre un couple de jeunes gens et des barbons qui veulent les empêcher de

 

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s'aimer (l'École des femmes, les Fourberies, le Malade imaginaire), ou bien très simplement, comique né des contretemps que doit essuyer un amoureux désireux de s'entretenir avec sa belle (c'est déjà le thème du Dépit amoureux, c'est la structure même de l'action des Fâcheux et, en dernière analyse, de celle du Misanthrope}. Toutes les pièces recourent à de nombreux effets visuels (gestes, costumes, jeux de scène) : les farces bien sûr, mais aussi bien les comédies-ballets (Monsieur de Pourceau-gnac, embarrassé dans des vêtements féminins, est poursuivi par des médecins qui veulent lui faire tâter de leurs clystères), et même les comédies soutenues (dans Tartufe, la scène v de l'acte IV montre Orgon caché sous la table, tandis qu'au-dessus de sa tête l'hypocrite essaye de séduire sa femme). Dans son jeu d'acteur, Molière interprétait de préférence les personnages les plus bouffons (Sganarelle, par exemple) et affectionnait les effets caricaturaux : silhouette voûtée, roulant des yeux, parlant d'une voix embrouillée, avec des costumes et des maquillages outrés, des poses grotesques, il était proche à bien des égards des acteurs italiens de la commedia dell'arte.

 

Fonction sociale de la comédie : un comique qui dérange. Nombreux sont les critiques qui ont voulu faire de Molière un donneur de leçons morales, un propagandiste du « bon sens » et du « juste milieu », et ils ont cherché dans ses personnages ceux qui pouvaient être ses porte-parole (Philinte dans le Misanthrope, par exemple). Or, si Molière pensait que la comédie doit corriger les mœurs, il n'écrivait pas, pour autant, des pièces « à thèse ».

 

Il y a, malgré tout, dans son théâtre, un certain nombre de prises de position explicites. Il a critiqué à plusieurs reprises et avec férocité les médecins, ignorants et cupides. Il a dénoncé ceux qui, détenteurs d'un savoir, en font commerce : les pédants de farce, comme celui de la Jalousie du barbouillé, mais aussi les pédagogues mondains, dans les Femmes savantes et le Bourgeois gentilhomme. Il a attaqué (les Précieuses ridicules, les Femmes savantes) la vogue des salons, où de faux intellectuels et des femmes dont le vernis de fausse culture dissimulait mal l'ignorance jouaient aux beaux esprits. Il a maintes fois repris la critique du mariage. Ces prises de position n'ont rien de très original. L'intérêt que porte Molière à ces situations a parfois été expliqué par son expérience personnelle : malade, il aurait haï les médecins charlatans ; malheureux en ménage, il aurait médité sur les rapports du couple. En réalité, tous ces thèmes offrent des ressources dramatiques intéressantes : un pédant ou une précieuse, c'est quelqu'un chez qui le langage se détraque ; un médecin et son malade, c'est encore l'exercice d'un langage extravagant, et un rapport de pouvoir ; un couple mal assorti, c'est un rapport de forces en conflit. La critique des institutions a donc, chez Molière, une double dimension : prise de position d'une part, elle est aussi d'autre part investigation de certains types de situations et de conflits. En un mot, il s'agit pour lui « de donner à voir », de montrer, autant ou plus que de démontrer.

 

Ce propos est particulièrement sensible dans le fait que le théâtre de Molière, destiné premièrement à la Cour et à une société aristocratique, place l'essentiel de ses intrigues dans le monde bourgeois. Certes, la noblesse est souvent mise en cause par Molière : noblesse de cour réduite à l'impuissance politique et vouée à des activités futiles (le Misanthrope) ; noblesse campagnarde exploitant le paysan d'une manière éhontée (George Dandin) ; Dom Juan montre qu'un « grand seigneur méchant homme est une terrible chose ». Mais reprenons l'inventaire des matériaux comiques de Molière : la condition féminine, le pouvoir et les fantasmes paternels, les mariages forcés, les prétentions à la noblesse et aux beaux usages. Bref, des problèmes qui révèlent une classe en crise, en mutation, travaillée à l'extérieur par sa concurrence avec la noblesse (qu'elle supplante financièrement et politiquement dans les conseils de Louis XIV), et à l'intérieur par des conflits de génération et de sexe (les

 

femmes peuvent-elles être savantes, c'est-à-dire doivent-elle faire des études ? les filles peuvent-elles choisir leurs maris?). La bourgeoisie est donc pour Molière un terrain dramatique-né, un bouillon de culture (on comprend alors l'inanité des recherches pour savoir quel personnage est porteur des « idées » de Molière ; Molière n'est pas plus du côté de Chrysale contre les femmes savantes que du côté de Dorante contre le bourgeois gentilhomme : il incarne dramatiquement des tensions et des oppositions). Une classe sociale qui vit une réalité et en conçoit une autre est donc particulièrement apte à s'incarner dans des héros à deux faces : d'où la place capitale des hypocrites dans le théâtre de Molière et le rôle de « révélateurs » d'un Dom Juan et d'un Tartuffe (antihéros que déjà les contemporains s'efforcèrent d'exorciser), comme celui d'un Alceste qui refuse de jouer sur les deux tableaux. Le ridicule du personnage comique naît apparemment de son écart avec la norme sociale (il n'a pas l'« air » de la Cour, les usages du monde, l'âge d'épouser un tendron). Mais Molière laisse entendre que c'est la société qui produit ces écarts (malgré l'ambiguïté de ses maniaques comme Harpagon, dont Hegel notait déjà qu'il était, dans sa « naïveté sérieuse » et bornée, plus fou que comique), et il a une idée très nette de la force des structures sociales (de la cabale des dévots à l'obscurantisme des médecins) : le Misanthrope ne fait pas triompher son point de vue et il abandonne le terrain. D'où la nécessité du rire : délicieuse et passagère correction morale pour le spectateur courtisan, mais seul réflexe de défense pour le créateur qui a pris le parti de refuser l'espace tragique.

« soutien du roi, qui consent à être le parrain du premier fils de Molière, celui-ci ose écrire Tartuffe. Mais la pièce est interdite.

Il ose Dom Juan . Le roi honore la troupe de Molière du titre Troupe du roi, en dépit du scandale. Tartuffe ou l’Imposteur est enfin donnée le 5 février 1669.

Le théâtre fait alors la plus étonnante recette qu’il ait jamais fait.

Les succès s'enchaînent.

C’est Le Misanthrope ,L’Avare , c’est Le Bourgeois Gentilhomme ....

Ce sont Les Femmes savantes et, le 10 février 1673, c’est au théâtre du Palais-Royal la première du Malade Imaginaire .

Huit jours plus tard, le vendredi 17 février, Molière éprouve un malaise en scène.

A 10 heures du soir, il meurt chez lui. Armande Béjart obtient du roi que l’archevêque de Paris autorise le lendemain l’inhumation de celui qui n’a pu, avant de mourir, abjurer sa profession de comédien ; ce qui lui vaut d’être excommunié d’office.. »

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