MAURON (Charles)
Publié le 26/01/2019
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MAURON (Charles), critique français (Saint-Rémy-de-Provence 1899 - id. 1966) . Chimiste et ingénieur avant d'enseigner à la faculté des lettres d'Aix-en-Provence, il fonde une méthode d'interprétation, inspirée de la psychanalyse et de la thématique, la psychocritique, qui comporte quatre opérations : faire apparaître, par une « superposition » de textes, « des réseaux d'association ou des groupements d'images, obsédants et probablement involontaires » ; aboutir « à l'image d'un mythe personnel » ; interpréter le mythe personnel « comme des expressions de la personnalité inconsciente et de son évolution » ; enfin, comparer les résultats ainsi obtenus aux renseignements fournis par les données de la biographie (Des métaphores obsédantes au mythe personnel, 1963). Ses recherches ont influencé la Nouvelle Critique (Mallarmé l'obscur, 1938 ; Introduction à la psychanalyse de Mallarmé, 1950; l'inconscient dans l'œuvre et la vie de Racine, 1954 ; Psychocritique du genre comique, 1964 ; le Dernier Baudelaire, 1966).
«
comprendre l’œuvre ‘d’un auteur que si un autre auteur, quelques années plus tard, sans s’en douter le moins du monde, nous endonne la clef ? [14]
Dès lors, nous postulons qu’il faut une idée à la base, afin de quand même pouvoir choisir un auteur intéressant pour un certain projet,mais que cette idée ne doit pas être trop préconçue et définie, au risque de réduire l’analyse afin qu’elle puisse lui correspondre.
Noussommes par ailleurs en accord avec Pommier en ce qui concerne la superposition : Mauron doit absolument se tenir aux principes qu’ila évoqué au début et superposer les textes d’un même auteur, sans quoi il perd toute crédibilité.
Le deuxième aspect négatif de la psychocritique est que, comme nous l’avons dit, elle est basée sur un outil scientifique, développécliniquement et grâce au contact avec le patient, ayant une névrose à traiter.
Appliqué à la littérature, la psychanalyse perd donc sonsens véritablement expérimental puisque le psychocritique n’a pas forcément l’auteur à disposition afin de pouvoir lui poser desquestions.
Mauron insiste d’ailleurs lui-même sur le fait que la psychocritique doit se séparer de la psychanalyse : « La psychocritiquedoit se distinguer, par son but et par sa méthode, de la psychanalyse médicale » [15] .
Mais si la psychocritique s’éloigne de la psychanalyse et ne se base pas non plus sur l’expérience, elle ne peut donc pas non plus revendiquer le même statut scientifique quela psychanalyse.
Il s’agit donc uniquement des interprétations du psychocritique qui utilise la psychanalyse non comme outil pourguérir mais comme instrument d’analyse permettant de déceler des névroses.
Reste donc à se demander (hors des points positifs quenous avons vus au-dessus) quelle est la véritable utilité de la psychocritique, mis-à-part de déceler les sales petits fantasmesdégoutants que des écrivains jusqu’ici admirés ont réussit à nous faire avaler par le truchement de la belle littérature ? [16] De plus, il s’agit aussi de se demander quel peut être le point de départ lorsqu’on choisit d’analyser un texte avec la psychocritique : Mauron est-il capable de se pencher sur le texte et ensuite de faire appel à Freud ou est-ce qu’il part de Freud et s’intéresse ensuite au texte ?Encore une fois, il s’agit de questionner ici l’arbitraire de la méthode puisque s’il part d’abord de Freud pour ensuite se pencher sur letexte, le psychocritique aura forcément certains à-priori sur ce qu’il pourra y trouver.
Ceci nous ramène donc à une entrepriseréductrice dans laquelle les réponses sont déjà présentes et déjà données par la psychanalyse.
Le troisième aspect qui nous semble être une faiblesse de la psychocritique est le fait que Mauron dise s’intéresser à l’œuvreuniquement, puis avoue (en dernier lieu) se référer à la biographie de l’auteur afin de vérifier ses dires.
En effet, comme nous l’avonsvu, le psychocritique n’a pas son « patient » à disposition lorsqu’il tâche de tracer son mythe personnel à travers son œuvre.
Il ne peutdonc pas simplement lui demander s’il fait fausse route ou non.
Dès lors on peut comprendre que le critique se voie obligé de consulterla biographie de l’auteur afin de valider ses hypothèses.
Néanmoins, cela reflète à nouveau le caractère très peu certain et fiable de lapsychocritique.
Elle ne se suffit pas à elle-même et l’étude des textes se fait finalement en correspondance avec l’étude de labiographie, malgré que Mauron insiste sur le fait que la vérification par la biographie n’est que la dernière étape.
Cette dernière étapeest pourtant la seule à pouvoir valider le travail effectué par le psychocritique qui ne veut pas se satisfaire d’hypothèses maisapprocher un résultat scientifique à la manière de la psychanalyse.
Or, nous avons vu plus haut que Mauron souhaitait se distancer dela psychanalyse, ne pouvant parvenir aux mêmes résultats ! Doubrovsky le souligne d’ailleurs aussi : « Pourtant toute scienceexigeant vérification, il faudra contrôler les résultats ainsi acquis par l’analyse de l’œuvre en les confrontant avec la vie de l’auteur.
Lesens établi par la critique sera corroboré objectivement par la biographie » [17] .
Dès lors, on constate que la psychocritique n’est pas indépendante et peut-être pas autant centrée sur l’œuvre elle-même qu’elle ne veut le prétendre.
Le dernier point faible que nous allons aborder concerne la structure des œuvres qui, dans le cadre de la psychocritique, sembleprendre le pied sur leur originalité.
En effet, c’est selon nous le concept de mythe personnel qui a pour vice de réduire toute œuvre àune structure sous-jacente de l’inconscient, désirant toujours dire sa névrose et son obsession.
Dès lors, un écrivain a beau essayerde changer sa structure, cela signifie en fait que celle de laquelle il veut se séparer est obsédante.
S’il n’y a pas la présence d’unestructure obsédante, elle est alors sous-jacente par son absence.
Et Doubrovsky à nouveau de souligner le phénomène :
Les diverses œuvres d’un écrivain se confondent en une œuvre unique (…) » Ainsi, entre La Thébaïde et Athalie, rien n’arrive, rien de neuf.
Le dernier mot qu’on écrit, c’était déjà le premier ; il boucle la boucle, et la littérature est un cercle vicieux, au mieux, une immense tautologie, un éternel rabâchage, dont les moments ne se distinguent que par la plus ou moins grande netteté del’expression.
Le lecteur naïf croyait avoir affaire aux œuvres de Racine, qui formaient un ensemble précisément par le mouvement de leur succession ; il n’y a plus qu’ une œuvre de Racine, caractérisée, comme la perception infantile, par son syncrétisme. [18]
L’auteur a donc beau essayer de varier, tout reste pareil.
Nous pensons donc que même s’il est intéressant de relever des structuresrécurrentes qui révèlent justement ce mythe personnel de l’auteur, il nous semble, comme à Doubrovsky, extrêmement peu prolifiqueque de finalement réduire toute l’œuvre (en l’occurrence gigantesque de Racine) à une seule structure : le mythe fondateur (oupersonnel).
Il nous semble néanmoins qu’il faille quelque peu nuancer les propos de Doubrovsky puisqu’il s’agit pour Mauron de noterce qui est inconscient, ce qui est sous-jacent dans l’ensemble de l’œuvre.
Dès lors qu’on s’intéresse à cet ensemble et non plus àchaque œuvre en particulier, l’intérêt est justement de remarquer ce qui est récurrent, toujours dans l’ensemble.
Forcément que leprocessus va confondre toutes les particularités qui rendent chaque œuvre unique au profit des principes fondateurs, des structuresgénérales qui reviennent.
Nous sommes donc de l’avis que cette recherche des structures ne doit pas se faire réductrice, qu’elle doit àla fois qu’elle remarque les ressemblances, ne pas omettre les différences qui font la spécificité.
Après le passage en revue des points forts et des points faibles de la méthode, il s’agit désormais de se pencher sur quelquesrésultats afin d’en évaluer la pertinence.
Pour beaucoup, les résultats les plus concluants ne sont pas les plus aboutis.
En effet, pourJean Starobinski en particulier, les meilleurs constats apparaissent lorsque Mauron dégage les structures d’une œuvre comme il le faiten superposant trois tragédies de Racine : Phèdre, Andromaque et Athalie. Il parvient à des résultats concluants en cela qu’il réussit à faire correspondre les comportements des personnages des différentes pièces comme le démontre l’extrait suivant [19] :
Les résultats sont immédiats.
Voici par exemple, simplifiés à l’extrême mais exacts, la suite de sujets de tragédie :
– Pyrrhus, attiré par Andromaque sa captive, repousse la jalouse Hermione, qui a des droits sur loi. 1.
– Néron, attiré par Junie, qu’il retient captive, repousse la possessive Agrippine, sa mère, qui a des droits sur lui. 2.
– Titus, attiré par Bérénice, repousse cependant Bérénice qui a des droits sur lui. 3.
– Bajazet, attiré par Atalide, comme lui désarmée et prisonnière, repousse Roxane, qui a sur lui droit de vie et de mort. 4.
Mauron, il faut l’avouer, s’en sort extrêmement bien en superposant ces trois tragédies puisque les résultats publiés répondentexactement aux attentes qu’il formulait dans sa méthode.
En effet, la superposition reflète des schémas semblables dans chaqueœuvre ce qui étaye la thèse d’un «inconscient créateur» chez l’auteur.
A propos de cette superposition justement, Starobinsky écrit :
Sans pouvoir entrer ici dans les détails, le schéma général de l’affectivité racinienne, que Mauron dévoile (…) [concourt] à faire decette étude la meilleure, c’est-à-dire la plus chargée de significations, que l’on ait consacrée depuis vingt ans à Racine. [20].
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