Le rêve en psychanalyse
Publié le 07/04/2015
Extrait du document
C'est en travaillant avec ses malades que S. Freud découvre le rêve comme
phénomène pathologique normal: «Ils m'ont appris ainsi que l'on pouvait insérer le rêve dans la suite des états psychiques que l'on retrouve dans nos souvenirs en partant de l'idée pathologique. De là à traiter le rêve comme les autres symptômes et à lui appliquer la méthode élaborée [de l'association libre] pour ceux-là, il n'y avait qu'un pas« écrit-il dans l'Interprétation des rêves (1900).
«Dans ce va-tout de son message est le tout de sa découverte« (J. Lacan, Écrits, 1966). Car Freud ne publie pas l'Esquisse d'une psychologie scientifique (1895), où, pourtant, il propose sa première conception de l'appareil psychique, appareil repris et remanié plusieurs fois jusqu'en 1920, date à laquelle une nouvelle formulation apparaît dans Au-delà du principe de plaisir. Mais en 1900, dans un foisonnement d'exemples de rêves personnels, Freud ouvre la voie à la connaissance de l'inconscient: le rêve est un rébus qu'il faut traiter comme un texte sacré, c'est-à-dire déchiffrer selon des lois. Lacan, lisant Freud à travers F. de Saussure, ajoute: «Un rébus dont la structure phonématique est organisée par le signifiant du discours qui s'articule et s'analyse pour nous permettre de retrouver la maxime ou le proverbe sous forme de métaphore de la langue« (Écrits).
Deux questions mènent la recherche de Freud: quels sont les processus qui permettent à des pensées de se transformer en une suite claire mais parfois inintelligible au réveil, et pourquoi une telle transformation? Qu'est-ce qui fait le rêve et comment l'interpréter?
La (fausse) simplicité des rêves d'enfants apporte un premier élément de réponse : soumis aux actions du jour précédent, ce sont des réalisations naïves d'un accomplissement du désir : « Anna Freud, fraises, grosses fraises, flan, bouillie« rêve sa fille mise au régime; mais elle commence par se
nommer; ce rêve ne dit pas seulement la satisfaction hallucinatoire d'un besoin: le désir infantile, qui commence par se structurer sur le désir du désir de l'autre, ne permet pas ici de distinguer un sujet qui serait celui de l'énonciation, inconscient, d'un sujet de l'énoncé, celui de la vie diurne et consciente.
Où est l'accomplissement du désir dans les rêves pénibles ? Pourquoi, dans certains rêves, le désir n'est-il pas clairement exprimé ? .Freud travaille en opposant contenu latent et contenu manifeste.
Avec le rêve de la belle bouchère (l'Interprétation des rêves), une autre conclusion s'impose à lui: le rêve est déformé, sa déformation permet de dissimuler des sentiments, et l'expression de désir est censurée. «Le rêve est l'accomplissement (déguisé) d'un désir (réprimé, refoulé).« Stratégie dialectique du désir et de la demande, demande d'amour chez l'hystérique : en s'identifiant à l'amie dont elle est jalouse, à partir du désir de l'autre, elle se crée un désir insatisfait: la satisfaction est empêchée mais le désir est conservé.
QUELS SONT LES MÉCANISMES AU TRAVAIL DANS LE RÊVE?
Freud en repère quatre : la condensation, le déplacement, la prise en considération de la figurabilité et l'élaboration secondaire. Il donne une place particulièrement importante aux deux premiers. Le travail de condensation (du contenu latent en contenu manifeste) est énorme : un rêve peut s'écrire en trois lignes et les pensées peuvent couvrir plusieurs pages. Le travail du rêve a toujours pour but de former une image unique, et, donc, une représentation peut condenser de différentes manières : par omission (rêve de monographie botanique, ibid.), par fusion (rêve d'Irma, ibid.), par néologisme, où «ce processus est particulièrement sen‑
sible quand il atteint des mots et des noms« (rêve de Norekdal, ibid.).
L'autre procédé essentiel du travail du rêve est le déplacement, qui renverse les valeurs, travestit le sens, rend obscur au niveau manifeste ce qui était signifiant au niveau latent, centre le rêve autrement. Ici prend place le travail de la surdétermination. «L'analyse [du rêve] nous apprend cependant qu'il est une autre sorte de déplacement [...], qu'il consiste en un échange d'expressions verbales entre les pensées (allem. Gedankt). Il s'agit de déplacement le long d'une chaîne associative, mais le même processus apparaît dans des sphères différentes : le résultat du déplacement est dans un cas qu'un élément est remplacé par un autre tandis que, dans l'autre cas, un élément échange avec un autre sa forme verbale. «
C'est le glissement du signifié sous le signifiant qui conditionne la transposition (allem. Entstellung) et permet de faire apparaître ici «la condensation (allem. Verdichtung) [...], structure de surimposition des signifiants, où prend son champ la métaphore, [...] le déplacement (allem. Verschiebung), [...] virement de la signification que la métonymie démontre et qui est [...] présenté comme le moyen de l'inconscient le plus propre à déjouer la censure« (Écrits). Ainsi il n'y a pas de place pour le symbolisme dans la Science des rêves: il est subordonné à la structuration, comme un langage de l'inconscient par la métaphore et la métonymie, effets de signifiants. Chaque image dans ce rébus doit être remplacée par une syllabe ou un mot, être lue comme une lettre pour donner sens au texte et déchiffrer «la langue perdue «.
Freud en appelle aux hiéroglyphes égyptiens lus pour leur valeur phonétique et non pour ce qu'ils représentent (l'oiseau par exemple).
Le troisième facteur est traduit par Lacan égard aux moyens de la mise en
scène (allem. Rücksichtauf Darstellbar-keit). Les pensées du rêve n'apparaissent que comme contenu et non dans leurs relations mutuelles. Par des modifications de la figuration, le rêve exprime les moyens dont le travail du rêve dispose pour indiquer les relations entre les pensées : la simultanéité, les relations causales, l'alternative, l'opposition, la contradiction. Comme les déterminants hiéroglyphiques qui ne sont pas prononcés mais expliquent d'autres signes et en sont les indices. Procédés logiques, logique que les philosophes du langage depuis G. Frege ont tenté de mettre en place, logique du langage qui travaille le sujet.
L'élaboration secondaire enfin masque la rigueur de ces connecteurs; la fonction qui censure produit une façade cohérente ; son influence se manifeste par une préférence : le fantasme, traité comme n'importe quel élément du matériel latent, forme un tout dans le rêve.
THÉORIE DE L'APPAREIL PSYCHIQUE
Freud ne s'est pas contenté de repérer les mécanismes du rêve; il a tenté, en élaborant sa théorie de l'appareil psychique, d'éclairer les paradoxes qu'il rencontre : la division perception-pensée, l'inscription des signifiants (représentants-représentation), le fonctionnement de la série perception-mémoire-pensée-idée. Un premier schéma stimulus-réponse est construit à partir de notions énergétiques : toute stimulation tend à produire une hallucination. Comment le système fait-il la différence avec la réalité? Il explique ce processus primaire par le régrédient du rêve (retour vers la perception), en ce sens que la représentation retourne à l'image sensorielle d'où elle est sortie un jour; le regard et le perceptif sont confondus (Freud ne dispose pas de la catégorie lacanienne de l'imaginaire). Dans son deuxième schéma, il fait entrer la notion d'information, s'ef‑
force de formaliser et de faire surgir l'ordre symbolique. Le système perceptif est comparé à l'ardoise magique et à un microscope compliqué où l'image ne correspond à aucune partie tangible de l'appareil; en un lieu psychique, une autre scène, la pensée de désir est une mise en scène vécue, actuelle, en images visuelles et en discours, tout cela au présent: le souhait est accompli. Freud remplace l'explication de la formation du rêve par la décharge et la tension, par l'idée que le sommeil diminue la censure et permet de contourner la résistance. Mais comment, après les problèmes posés par la mémoire, la conscience, expliquer l'oubli dans le rêve, le doute?
L'OUBLI
L'oubli s'explique par l'action de la censure et en quelque sorte il est intentionnel. L'oubli, comme le doute, est un message, comme un discours qui serait interrompu et dont l'interruption insisterait. Le désir du rêve est de faire passer le message. Pendant le jour, la censure provenant de la résistance interdit les pensées du rêve au conscient. Pendant la nuit, le régrédient du rêve permet d'halluciner les pensées transformées. Nos rêves ne sont pas tous interprétables, un noeud de pensées que l'on ne peut défaire rattache le sujet à l'inconnu, «point de surgissement du rapport du sujet au symbolique« (Lacan, le Séminaire II, 1954-55, «le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse «).
LE REFOULEMENT
Le refoulement apparaît comme une métaphorisation, et le retour du refoulé, la compulsion de répétition que l'on retrouve aussi bien dans les rêves permettent à Freud d'élaborer sa deuxième conception de l'appareil psychique : le rêve est la répétition d'un trauma (d'un fantasme), le principe de
plaisir n'est pas tout entier du côté du désordre et les pulsions sexuelles du côté de la conservation de l'individu: il y a une pulsion de mort, et, en accomplissant le désir, le rêve obéit à la conservation et à la mort.
L'INTERPRÉTATION
Que veut dire le rêve et à qui s'adresse-t-il ? «Tous les procédés du trait d'esprit, des jeux de mots, des citations, des proverbes, le matériel copieux que représentent la poésie, le mythe, l'usage linguistique et le folklore: c'est parce que nous connaissons ces déplacements que nous pouvons nous fier aux associations superficielles qui nous permettent de retrouver les autres associations réprimées profondes.« Le travail de l'interprétation du rêve, en associant les pensées qui viennent à son propos, se fait par le rêveur lui-même, qui repère dans le discours les moments de jouissance et d'angoisse qu'il connaît depuis l'enfance. Ce travail reprend d'une manière inversée le travail du rêve et ne peut s'accomplir que «dans une langue privée« (Ch. Melman), propre au rêve de ce rêveur.
LE DÉSIR DU RÊVE
Dans ce rêve inaugural de l'injection d'Irma commenté par Lacan, le désir du rêve, bien que censuré, bien que Freud éprouve de l'angoisse, bien qu'il fasse entrer la foule — l'immixtion des sujets — pour appeler à sa déculpabilisation, ce rêve cherche à faire passer une parole, un mot, la formule de la triméthylamine. Par la médiation du symbolique et le jeu matériel des signifiants, le sujet dans le rêve se confond avec la structure signifiante. Quel est le désir du rêve? Dans le Séminaire VI, 1958-59, «le Désir et son interprétation«, Lacan précise: le rêve est désir, désir de dormir, entendez de ne pas se réveiller (pas seulement du sommeil).
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