LA FONTAINE (Jean de)
Publié le 22/01/2019
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LA FONTAINE (Jean de), poète français (Château-Thierry 1621 - Paris 1695). La Fontaine est aujourd'hui le plus connu des poètes français du XVIIe s., et il fut en son temps, sinon le plus admiré (Malherbe, Théophile et même Saint-Amant l'étaient davantage), peut-être le plus célèbre, en tout cas le plus lu (ses Contes et ses Fables obtinrent un large succès). Le revers de cette gloire fut la multiplication des légendes qui occultent sa personnalité et surtout la véritable portée de son œuvre. Sa légende prit forme dès le xviie s. : Tallemant des Réaux (Historiettes) présente le poète comme un incurable distrait, bien incapable de fixer son attention sur des choses sérieuses et tout capté par ses plaisirs. Par la suite, alors que l'usage des Fables se répandit dans les exercices scolaires, s'établit une caricature d'un La Fontaine « bonhomme », amoureux de la nature, entomologiste amateur, perdu dans ses songeries et livrant sous le coup de l'inspiration de jolis poèmes bien tournés et bien moraux... Les recherches modernes ont heureusement décapé son œuvre de ces affabulations sommaires et permettent de saisir sa carrière, son écriture et son idéologie dans leur diversité, voire leurs contradictions et de reconnaître, dans toute sa vigueur et sa subtilité, son originalité créatrice.
Si l'on connaît assez peu de détails sur la biographie de La Fontaine, on peut cependant discerner les principales étapes de sa carrière sociale : elle apparaît comme celle d'un homme mal intégré aux milieux qui font les modes et tiennent les pouvoirs. Né d'un père maître des Eaux et Forêts et d'une mère fille de marchand, il est issu de la moyenne bourgeoisie provinciale. Et le premier tiers de sa vie fut celui d'un jeune bourgeois anodin, hésitant sur le choix d'une carrière. Après des études discrètes (achevées sans doute à Paris, où il fut condisciple de Furetière), il fit un début de noviciat à l'Oratoire (1641), abandonné faute de vocation, puis une formation en droit (1645) avant un mariage (1648) avec une toute jeune fille de magistrat, grande liseuse de romans, Marie Héricart : mariage sans amour, et couple sans affinité profonde, qui sera bientôt séparé de biens. En 1652, il acquiert une charge (modeste) de maître des Eaux et Forêts à Château-Thierry. Il l'exerce jusqu'en 1658. Cette année-là, son père meurt, laissant une succession très embrouillée, et une révision des structures administratives rend son emploi incertain. Il se réoriente alors vers la littérature.
Il avait, de longue date, montré du goût pour elle. À Paris, dès la fin des années 1640, il faisait partie avec Maucroix, son ami de toujours, d'un cercle de jeunes poètes bons vivants, les « chevaliers de la Table ronde ». Il prend place dans la vie littéraire en 1654, avec une adaptation de VEunuque de Térence : ses vrais débuts sont donc, pour son temps, tardifs. En 1658, le surintendant Fouquet, alors au faîte de sa puissance, le prend
sous sa protection et lui fait une pension, après la dédicace du poème Adonis. À son service, La Fontaine compose diverses poésies de circonstance et entreprend le Songe de Vaux. Il se lie avec Pellisson, Scudéry, Saint-Évre-mond, comme lui « clients » de Fouquet. Mais, en 1661, c'est la disgrâce du tout-puissant ministre. La Fontaine lui marque sa fidélité et prend sa défense {Élégie aux nymphes de Vaux, 1661 ; Ode au roi pour M. Fouquet, 1663) ; il est contraint à un temps d'exil à Limoges (Voyage en Limousin), et, des années durant, Colbert et Louis XIV lui garderont rigueur de ce courage, le tenant à l'écart des honneurs et des récompenses officielles. Il se case alors auprès de grands seigneurs un peu en marge de la Cour (Conti, Bouillon) et de financiers. Il obtient un emploi de gentilhomme au palais du Luxembourg, au service de la vieille duchesse d'Orléans. Après la mort de celle-ci, il est l'hôte (1673-1693) de Mme de La Sablière, dont le salon est fréquenté par des savants et des philosophes. Il sera ensuite hébergé par le banquier d'Hervart. Si ses Contes (1664-65) le rendent célèbre — il en publiera plusieurs suites (1666, 1671) —, la gloire vient avec les Fables (1668) et se confirme avec Psyché (1669). Il fréquente alors Boileau, Racine (connu de lui dès 1661). Il donne des gages de son orthodoxie [Poésies chrétiennes, 1671 ; Captivité de saint Male, 1673). Mais ses Nouveaux Contes (1674) sont interdits par la censure. Le succès se réitère pourtant avec le Second Recueil de Fables (1678). Il réussit enfin, malgré l'hostilité du roi, à se faire élire à l'Académie (1683). Mais, après avoir tenté, sans grande réussite, de revenir au théâtre avec des opéras [Astrée, 1691), donné divers poèmes et le Livre XII des Fables (1693), il se tourne vers la dévotion et renie ses Contes avant de mourir.
De l'œuvre de La Fontaine, on ne retient d'ordinaire que les Fables et, secondairement, les Contes. On en restreint ainsi gravement l'ampleur, la diversité et la portée. En fait, elle est remarquable par sa variété. Il était banal à l'époque d'être polygraphe ; mais il est rare que l'on ait exploré autant de voies que La Fontaine.
Il a pratiqué tous les genres. Le théâtre d'abord : à ses débuts, mais aussi une fois la célébrité atteinte. L'écriture dramatique était la source des plus vifs succès et des meilleurs recettes : si La Fontaine ne trouva pas le succès avec elle, du moins en expérimenta-t-il, de façon approfondie, les ressources. Il a eu aussi la tentation du récit en prose : récit de voyage sous forme épistolaire (Voyage en Limousin), mais aussi narration romanesque (Psyché). Il a surtout pratiqué la poésie, tant dans le registre héroïque (Adonis) qu'élégiaque ou galant, tant dans les petits poèmes mondains de circonstance que dans les Contes gais et licencieux, ou encore dans le discours en vers (Discours à Mme de La Sablière). Les Fables, enfin, représentent un alliage original de la narration, du discours et de l'écriture poétique.
Il a abordé toutes les thématiques. Le merveilleux païen l'attire : il reprend les mythes d'Adonis et de Psyché, dans la tradition des métamorphoses d'Ovide et d'Apulée. Sa verve libertine se donne libre cours dans les Contes, où, de maris cocus en moines paillards et nonnes dévergondées, il prolonge la lignée de l'Arioste, de Boccace et de Rabelais. Mais on lui doit aussi d'importants poèmes religieux et un essai de poésie scientifique [Poème du Quinquina, 1682).
Surtout, alors que la poétique de son temps insiste sur la distinction des genres, il pratique la contamination des styles, des registres et des formes, recherchant des structures neuves, rénovées ou hybrides. Ainsi, son Adonis, poème héroïque dans le principe, fait une place au lyrisme et s'inscrit dans la lignée des « idylles héroïques », que Saint-Amant a inaugurées quelques années plus tôt. En reprenant les contes et les fables, formes traditionnelles, il les rénove en apportant à ces modèles narratifs, d'ordinaire traités en prose, le rythme poétique. Enfin, en contaminant plusieurs genres, il produit des ouvrages qui peuvent faire figure d'étranges « monstres ». Ainsi le Songe de Vaux
mêle les vers et la prose, « l'héroïque et le galant », pour décrire le château de Fouquet (alors en construction) et ses fêtes, à travers la fiction d'un songe. Dans Psyché, qui tient du conte, du roman pastoral et de la rêverie poétique, la légende amoureuse (les amours de Cupidon avec la jeune mortelle Psyché) et le mythe philosophique (Psyché comme symbole de l'âme) forment un alliage sans équivalent.
La poétique de La Fontaine est riche d'éléments baroques, et on a pu parler à juste titre de son « maniérisme » et de l'influence de la tradition de Marot. Mais elle ne renie pas pour autant les principes clefs du classicisme : admiration des Anciens (il prend position en leur faveur dans la Querelle, mais avec modération), souci de régularité et de bienséance. Même dans les Contes, les sujets scabreux sont traités avec humour : La Fontaine y peint moins les troubles du plaisir que l'ingéniosité des amants pour berner la morale confite et ses représentants.
Et l'originalité du ton, de la « manière » fait l'unité profonde de son œuvre. Il se livre à une série de variations entre le style « soutenu » et le style « médiocre », dans la lignée de l'écriture galante, telle que l'avaient illustrée Voiture et Sarasin, et dont Pellisson s'était fait le théoricien. Mais, alors qu'elle était essentiellement un moyen de divertissement mondain, il lui fait subir une métamorphose et en tire une langue en apparence naïve, familière et transparente, en fait très calculée et savante. C'est l'art du « naturel » qui s'incarne dans une écriture de retenue et de suggestion. Par là, dans une génération où la poésie, après le purisme de Malherbe (qu'il admire) et l'élégance de Voiture (qu'il imite), était menacée de s'enfermer dans trop de convention, de mièvrerie ou d'abstraction, il lui apporte une subtilité qui la revivifie.
C'est ainsi que les Fables, sous les apparences d'un genre mineur, composent une véritable somme poétique. La démarche de La Fontaine est conforme, pour les principes fondamentaux, aux préceptes de l'esthétique classique. Il se présente comme un simple adaptateur des Anciens : d'Ésope, tout d'abord, dont il place une biographie en tête du recueil de 1668, de Phèdre aussi et de Bidpay, surtout dans les volumes de 1678 (le savant Bemier, rencontré chez Mme de La Sablière, lui avait fait apprécier ce fabuliste oriental). Il affirme, de plus, que la littérature doit avant tout être utile autant qu'agréable (« Le conte fait passer le précepte avec lui », le Pâtre et le Lion). Il sait d'ailleurs que plaire est le meilleur moyen pour instruire : lecteur de Platon, il en a assimilé la psychagogie. Et il ne vise pas seulement l'instruction des enfants. Certes, son premier recueil est dédié à l'enfant qui, parmi tous, est l'élève de choix pour le poète : le Dauphin ; mais là encore, comme plus tard dans le fait qu'il s'adresse au jeune duc de Bourgogne, il faut voir la part de la tradition. (« Le monde est vieux dit-on, je le crois ; cependant/Il le faut amuser encor comme un enfant », le Pouvoir des Fables.) Pour instruire et plaire, il innove beaucoup. Première innovation, souvent négligée, mais non la moindre : le choix du genre. Avant lui, la fable, rédigée en prose, est considérée comme une simple ressource de la rhétorique ; c'est à ce titre que l'art de l'apologue figure dans les exercices de collège. La Fontaine lui confère, en même temps que le statut poétique, la dignité (« L'apologue est un don qui vient des immortels/Ou si c'est un présent des hommes/Quiconque nous l'a fait mérite des autels », « Dédicace » à Mme de Montespan du Second Recueil).
La Fable était aussi héritière de l'art de l'emblème, où un précepte moral était illustré à la fois par une gravure et par quelques vers. La Fontaine reprend ces bases étroites (ses Fables étaient illustrées et cela contribua à leur succès), mais il donne à ses poèmes une dimension nouvelle. Il construit des narrations souples, animées par des dialogues au style direct, des notations précises de mouvements ou de détails du décor, si bien qu'ils offrent les éléments d'une mise en scène. Surtout, il introduit dans ces récits d'ordinaire impersonnels le ton singulier que crée l'intervention d'un
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narrateur dont le « je », à la fois omniprésent et sans cesse se dérobant, commente, juge l'action et interpelle le lecteur. Enfin, à l'enchaînement mécanique entre un récit exemplaire et un précepte moral, il substitue un jeu varié : ses Fables ont parfois une morale explicite, parfois non ; il leur arrive d'en avoir deux différentes ; d'autres fois encore, à l'inverse, une même réflexion suscite deux récits distincts. Tout cela, dans une versification sans cesse modulée, où les vers irréguliers permettent des variations virtuoses de rythme et de ton, et à travers un vocabulaire étendu, volontiers technique, parfois délibérément archaïsant, toujours très précisément étudié pour offrir des jeux multiples de connotations.
La Fontaine est un poète moraliste, et non pas moralisateur. Son œuvre n'exprime pas une pensée systématique, mais une attitude de pensée, avec ses évolutions, variations, contradictions même. Aussi toutes les exégèses qui visent à en réduire l'explication à une seule rubrique sont vaines. Il est de toute évidence ridicule de voir dans l'œuvre une description de la nature, et d'y noter du même coup des erreurs de zoologie : les cigales ne survivent pas en hiver, sauf dans les Fables où l'imagination est reine... D'une autre façon, s'il est vrai que La Fontaine prend certains de ses sujets dans l'actualité (en particulier la façon dont Colbert a manigancé la chute de Fouquet a des échos dans son livre), il ne faut pas faire non plus de la Cigale et la Fourmi une allégorie du conflit entre les deux ministres.
Il convient au contraire de saisir cette œuvre comme l'action d'un regard qui se veut lucide, donc qui ne s'immobilise pas dans une position fixe, et constater que la pensée s'y interroge autant ou plus qu'elle ne répond. Il est certain que La Fontaine est nourri de philosophie épicurienne, de gassendisme, de libertinage, qu'il déteste les superstitions (l'Astrologue; l'Horoscope). Mais il est certain aussi qu'il a éprouvé des sympathies pour les jansénistes. De même, en matière de politique, il a critiqué les monarques absolus, victimes de leurs ambitions, de leurs conseillers flatteurs, de la facilité de la violence (les Animaux malades de la peste). S'il témoigne de l'intérêt et de la pitié à l'égard du peuple, il le perçoit aussi comme un « enfant », incapable de se conduire seul, et qui a donc besoin d'être dirigé et protégé, par un pouvoir donc nécessairement fort (et si possible juste). La rédaction et la publication des Fables s'étendent sur trente années, et la situation du poète a changé aussi bien que le contexte socio-politique, au fil des décennies. Aussi le voit-on parfois soutenir la politique royale au moment d'une guerre (la Ligue des rats), et d'autres fois, en des temps où la politique de puissance risque de ruiner l'économie, et singulièrement l'agriculture, rappeler les mérites du travail, contre les spéculations et les visées de prestige (le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils de roi). Il y a cependant, dans son attitude, quelques constantes. Le monde, tel qu'il le voit, est impitoyable : y régnent seuls les rapports de forces. Les inégalités y sont inéluctables (« Jupin pour chaque état mit deux tables au monde / L'adroit, le vigilant et le fort sont assis / À la première ; et les petits / Mangent leur reste à la seconde », l'Araignée et l'Hirondelle].
Contre la « raison du plus fort » (le Loup et lAgneau), les faibles ne peuvent rien ; à moins d'être capables de contrebalancer la force par la ruse. Souvent, d'ailleurs, il conçoit des situations redoublées, où un fort s'incline devant un plus faible mais plus adroit, et où ce dernier trouve à son tour son maître : cette structure complexe peut aussi bien montrer les apparences vaines des rapports de pouvoir (le Lion et le Moucheron) que des jeux où un trompeur est pris par un trompeur et demi (le Renard et la Cigogne). La vision n'est pas alors moins noire, mais elle a l'avantage de prêter à des effets comiques. Sans cesse attaché à dénoncer les illusions de tous ordres, La Fontaine est proche de La Rochefoucauld, qu'il cite élogieusement (l'Homme et son image).
Pourtant, on n'entend ni cri de révolte, ni plaintes de ressentiment. Parfois, le
« je » omniprésent se laisse aller à la mélancolie (« Ai-je passé le temps d'aimer?», les Deux Pigeons]. Plus profondément, il laisse deviner le désir latent du « repos », d'une retraite en marge de ce monde violent, et parfois il l'avoue plus ouvertement (le Songe d'un habitant du Mogol, les Deux Amis). À défaut, il suggère de s'accommoder de son sort et de son état, en renonçant aux ambitions et aux chimères (le Berger et la Mer, la Laitière et le Pot au lait, le Savetier et le Financier).
Le sens des Fables, loin de se réduire à une leçon, est inépuisable. Ou, plus précisément, leur polysémie est indéfiniment ouverte. Replacées dans l'ensemble de l'œuvre, elles révèlent les contradictions de toute une époque : comme beaucoup de ses contemporains, La Fontaine, grand liseur de YAstrée, rêve d'un paradis pastoral ; mais, comme les plus lucides, il constate en même temps que le déclin sans remède des rêves nobiliaires d'héroïsme et de générosité la montée irrésistible des pouvoirs de l'État et de l'argent. Face à une telle situation, il a choisi de préserver les puissances du langage.
« Poète de l’Académie française, il est l’auteur de stances élégiaques et des Bergeries , pastorale dramatique qui trahit l’influence italienne. BOISROBERT, François Le Métel, seigneur de (1592-1662) Poète, il joue un rôle important dans la querelle du Cid et dans la création de l’Académie française, dont il est l’un des premiers membres. BENSERADE, Isaac de (1613-1691) Poète de salon et de cour, il est l’auteur du fameux sonnet de Job , de tragédies, de comédies, de ballets.. »
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