interprétation
Publié le 04/04/2015
Extrait du document
L'idée que les rêves, les lapsus et les actes manqués, l'ensemble des formations de l'inconscient ou encore les symptômes peuvent s'interpréter, qu'ils recèlent un sens différent de leur sens manifeste, un sens latent, constitue l'un des principaux apports de S. Freud à la connaissance du sujet humain et l'un des modes d'action décisifs de l'analyste dans la cure.
L'interprétation est présente dès le début dans les oeuvres de Freud. Dans les premiers temps, cependant, le travail de la cure consiste surtout à faire revenir des souvenirs pathogènes refoulés. Ce n'est qu'à mesure que la difficulté de cette reconstitution mnésique se fit sentir, et notamment avec l'abandon de l'hypnose, que Freud s'attacha davantage à se servir du matériel que ses patients lui amenaient spontanément et à l'interpréter.
Une valeur particulière doit bien sûr ici être reconnue au rêve. Si celui-ci réalise un désir, mais si en même temps le compromis avec la censure fait que ce désir reste dissimulé, il est nécessaire d'interpréter le rêve manifeste pour faire ressortir le rêve latent. Il faut d'ailleurs noter que, si le sujet a tendance, en racontant son rêve, à en effacer les aspects absurdes ou incohérents, à lui donner très vite du sens, c'est à rebours de cette première interprétation que va le plus souvent l'interprétation psychanalytique.
L'interprétation du rêve fait cependant appel au rêveur. Pour la psychanalyse, en effet, il n'est pas question de constituer une clef des songes, un dictionnaire universel de symboles, qui permettrait de traduire toute production onirique. Même si Freud n'exclut pas l'idée que la culture ou la langue véhiculent des symboles valant pour tous (symbolisme sexuel notamment), la pratique de l'interprétation suppose la prise en compte des associations du sujet. Lui seul est en mesure d'indiquer l'événement ou la pensée que peut lui
rappeler un élément de son rêve, et l'interprétation n'est guère possible tant que les associations nécessaires n'ont pas été produites. Elles peuvent être très ténues (il suffit parfois, par exemple, que le cadre où se passe l'action du rêve manifeste renvoie à une situation antérieure pour que celle-ci se trouve au centre de la question du rêve latent): elles sont toujours indispensables.
Forgée principalement en relation avec l'analyse des rêves, l'interprétation se trouve bien sûr appliquée à un matériel beaucoup plus large, incluant lapsus, actes manqués, oublis et, généralement, tout ce qui porte la marque de l'inconscient. En ce sens, même une phrase apparemment anodine peut se révéler porteuse d'un sens latent si le contexte permet de l'entendre autrement.
On a parfois reproché à la psychanalyse un usage systématique de l'interprétation, ramenant tout discours et toute action à une signification sexuelle stéréotypée. Ce qui est vrai, c'est que des personnes extérieures à la psychanalyse et se référant à un savoir superficiel ont galvaudé l'usage d'interprétations simplistes, du style de celle qui fait croire que chaque fois qu'un monsieur oublie son parapluie chez une dame cela signifie qu'il lui fait une proposition sexuelle. Freud avait déjà critiqué sous le nom de «psychanalyse sauvage« (Wilde Psychoanalyse) la tendance, chez certains médecins peu avertis de la psychanalyse, à donner à leurs patients des interprétations prématurées, qui pour eux-mêmes restaient mal fondées et qui pour leurs patients intervenaient à un moment où ils ne pouvaient pas encore les accepter.
Les psychanalystes, pour leur part, ont au contraire eu de plus en plus tendance à être prudents dans leurs interprétations. Dès lors qu'un élément d'un rêve par exemple peut être surdéterminé, c'est-à-dire renvoyer à plu‑
sieurs chaînes associatives différentes, une interprétation qui privilégierait un sens et un seul est tout à fait problématique. Certes, c'est là le modèle le plus spontané de l'interprétation: associer une signification à tout ce qui peut venir à se présenter comme formation de l'inconscient ou comme symptôme. Mais ce modèle spontané ne mène pas bien loin. Il fait obstacle, plutôt qu'ouverture, à la poursuite du discours.
CITATION ET ÉNIGME
Mais, alors, l'interprétation est-elle encore possible ?
Le recentrement, opéré par J. Lacan, de la psychanalyse sur le champ du langage («l'inconscient est structuré comme un langage «) permet de répondre à cette question.
Ce qui caractérise le langage humain, c'est la polysémie. Un même mot a le plus souvent plusieurs sens différents. La poésie doit beaucoup à cette propriété, faisant entendre dans une forme souvent ramassée les résonances les plus diverses. La psychanalyse va seulement un peu au-delà. Ce qui est dit par un patient ne vaut pas seulement par son sens, qui s'articule à partir de mots organisés en phrases. Ce à quoi l'analyste prête attention, c'est à la séquence acoustique elle-même, à la chaîne signifiante (—> signifiant), qui peut se découper, dans l'inconscient, tout à fait autrement. Pour reprendre un exemple très connu, emprunté à S. Le-claire, un analysant peut rêver de palan, c'est-à-dire d'un appareil de levage. Mais il n'est pas impossible qu'à un niveau inconscient le signifiant «palan« évoque le charme d'une promenade effectuée à pas lents, voire l'horreur d'un supplice (pal en). Mieux encore, il est fréquent qu'un même signifiant véhicule à la fois les significations les plus contradictoires.
L'interprétation, dès lors, doit faire valoir, ou à tout le moins laisser ouverts les effets de sens du signifiant. Elle y
parvient en étant principalement énigme ou citation.
Citation: l'analyste rappelle, à tel point de ce que l'analysant peut dire, tel autre mot qu'il a prononcé un peu avant, tel fragment du discours qu'il a développé, tel souvenir qui fait écho à celui qu'il est en train de rapporter. L'accent est mis ici non sur la signification d'un terme isolé, mais sur les corrélations obligées, qui font que dans une vie se répètent les mêmes termes, les mêmes choix, le même destin.
Énigme : l'analyste évite de laisser entendre ses propres interventions comme univoques. S'il veut introduire l'analysant au langage de l'inconscient, il doit faire valoir le caractère polysémique de ce qui se dit dans la cure et, notamment, des maîtres mots qui orientèrent l'histoire du patient. Ainsi, l'interprétation a des effets de sens. Mais ce sens, pour l'analysant, reste ouvert au questionnement; il ne se clôt pas dans la mise en place d'une image de soi définitive et aliénante.
L'interprétation ne fait d'ailleurs pas qu'introduire le sujet à des significations nouvelles.- Sur les significations que l'analysant développe, les anecdotes qu'il raconte, les affects qu'il exprime, l'analyste peut apposer, en quelque sorte, le sceau du signifiant. Ainsi, tel sujet peut se perdre un peu dans l'expression de sentiments ambivalents vis-à-vis de tel autre : si dans le même temps il a rêvé que celui dont il parle le mord, il suffit à l'analyste de proférer «vous êtes mordu« pour valider l'expression d'une passion que l'analysant ne parvenait pas à exprimer totalement, sans pour autant en nier le caractère douloureux.
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