Devoir de Philosophie

HUYSMANS (Charles Marie Georges, dit Joris-Karl)

Publié le 20/01/2019

Extrait du document

huysmans

HUYSMANS (Charles Marie Georges, dit Joris-Karl), écrivain français (Paris 1848 -id. 1907). Néerlandais par son père, dessinateur lithographe et peintre miniaturiste, et Parisien de Vaugirard par sa mère, Huysmans devait rester marqué par ses origines, dont il conserva les empreintes, consciemment ou non, à travers ses avatars dont il serait difficile de déterminer s'ils furent successifs ou simultanés. Si sa carrière de fonctionnaire au ministère de l'intérieur se déroula sans éclat, il n'en fut pas de même du personnage apparemment contradictoire et mouvant qu'il incarna en littérature. Des premières lignes presque inconnues qu'il consacrait en 1867 à une théâtreuse sans avenir (que l'on retrouvera peut-être en 1876 dans Mar

 

the, histoire d'une fille} à son dernier livre (les Foules de Lourdes, 1906), de son premier essai poétique (le Drageoir à épices, 1874) à son étrange À Rebours (1884), bible du décadentisme, de ses coquetteries poussées avec Satan dans Là-bas (1891) à sa recherche spirituelle de Là-haut, longtemps inédit, et d'En route (1895), de son engagement naturaliste des Sœurs Vatard (1879) ou d’En ménage (1881) à son expérience mystique affirmée de la Cathédrale (1898), de Sainte Lydwine de Schiedam (1901) ou de l'Oblat (1903), il parvint à être toujours le même et toujours différent. Une note manuscrite de l'éditeur Hetzel, auquel il avait confié — sans succès — le Drageoir à épices, fournit, dans son incompréhension féroce, une clef à ce qui demeure encore pour beaucoup le « mystère Huysmans » : « Le dictionnaire donne moins de mots voyants que de mots simples — la langue est plus pauvre qui ne cherche que les tons criards — le chant est plus riche, plus varié que le hurlement. Vous essayez de hurler — au bout de dix pages vous retombez dans vos mêmes cris, et vous êtes monotone pour avoir trop cherché à ne pas l'être. » Il faut retenir de cet éreintement une sorte de ligne directrice qui réapparaîtra dans la totalité de l'œuvre et qui constitue un début d'explication, à savoir la fascination que les mots exercent sur Huysmans qui n'est écrivain que dans la mesure où il se veut artiste, essentiellement sensible aux couleurs et aux sons.

 

Cet envoûtement du mot qui se voit, s'entend ou se sent est perceptible dans ces listes qu'il a constituées et qui figurent en assez grand nombre dans les inédits de la collection Pierre Lambert à la bibliothèque de l'Arsenal. Parfois, il s'agit d'une recherche précise pour un roman en cours, comme les Sœurs Vatard, par exemple, où il se constitue un petit dossier sur l'argot en usage dans les ateliers de brochage, parfois, ce sont des énumérations, en ordre alphabétique, de termes sans aucun lien, parfois, des enfilades de mots piqués comme au hasard, sans rapport sémanti-que ni même structurel. La bizarrerie des consonances, la rareté, l'imprévu auraient été la seule motivation. Quoi qu'il en soit, l'inconscient a joué, et tous ces mots se retrouveront tôt ou tard dans l'œuvre élaborée, comme s'ils en avaient été le germe. Huysmans a engrangé pour le plaisir puis, le moment venu, un déclic s'est opéré et il s'efforce, non sans ironie, de devenir ce des Esseintes d'À rebours qui « sourit, regardant l'un des in-folios ouverts sur le pupitre de chapelle, pensant que le moment viendrait où un érudit préparerait, pour la décadence de la langue française, un glossaire pareil à celui dans lequel le savant Du Cange a noté les dernières balbuties, les derniers spasmes, les derniers éclats, de la langue latine râlant de vieillesse au fond des cloîtres ». Mais le mot « cloître », à son tour, opère, à l'insu de l'auteur, et il faudra plusieurs étapes pour qu'il devienne le familier de ces hauts lieux du silence et de l'oubli du monde auquel aspirait un des Esseintes encore dolent de débauches raffinées. Il écrit, dans la préface de 1903 à son roman : « Je comprends, en somme, jusqu'à un certain point, ce qui s'est passé entre l'année 1891 et l'année 1895, entre Là-bas et En route, rien du tout entre l'année 1884 et l'année 1891, entre À rebours et Là-bas. » Cette préface est postérieure de vingt ans à l'œuvre concernée et il n'est pas étonnant qu'il ait oublié qu'en 1886-87, précisément, il avait publié En rade, où la personnalité du narrateur se fondait dans des rêves, issus eux-mêmes d'une reconstruction logico-absurde de l'univers à travers les fantasmes de deux névrosés qui s'usent dans la non-communication, transformant les mots non prononcés en images : il faut sortir de l'impasse ou mourir. Huysmans avait été le découvreur de Mallarmé, de Vil-liers de L'Isle-Adam, de Barbey d'Aurevilly ; il avait attiré l'attention sur Baudelaire ou Verlaine et c'était un apport considérable dans l'histoire littéraire de son temps. Il lui restait à accomplir son propre itinéraire jusqu'à la conversion finale et, ici encore, les mots intervien

 

nent : il ne trouvera Dieu, avec l'aide inattendue de Satan, que par la magie noire des mots de l'alchimie et des recherches ésotériques, précédant la magie blanche des vocables mystérieux de la liturgie, portés par les accents monocordes du plain-chant.

 

La boulimie verbale, d'ailleurs, n'aurait pas suffi et, pour aborder un sujet aussi vaste et aussi délicat que le satanisme, Huysmans tint à s'entourer de sérieuses garanties. Il importe peu qu'il ait participé ou non à la messe noire de Là-bas, mais il est bon de savoir qu'il n'a rien inventé : entre autres sources, il s'adressa à un prêtre interdit (situation qu'il ignorait) de Lyon, l'abbé Boullan, qui se prétendait héritier du « prophète » Vintras et célébrait à ce titre le « sacrifice de gloire de Melchisédech ». Là-bas l'avait, ainsi qu'il le souhaitait, projeté hors du monde contemporain, dans le Moyen Âge de Gilles de Rais et de Jeanne d'Arc. Quatre ans plus tard, après un certain nombre d'ébauches, il montrera dans En route l'endroit d'une mystique dont Là-bas aurait été l'envers. Désormais, il ne cessera plus de monologuer et de refaire ses bilans. En fait, dès ses premiers essais littéraires, Huysmans est conduit par une curiosité universelle dont il entend bien ne rien exclure, d'où la multiplicité de ses expériences et le réseau complexe de ses relations personnelles, mais aussi l'aspect décousu, pour ne pas dire incohérent, de la plupart de ses livres. Il a amassé des documents, fidèle en cela à la méthode naturaliste, mais il ne s'est guère soucié de les organiser et il arrive que les chapitres soient, à la limite, interchangeables. Il est même malaisé de déterminer au premier coup d'œil si tel passage appartient à la Cathédrale ou à l'Oblat, par exemple, tant sont brouillés les morceaux du puzzle. Seuls les premiers ouvrages, jusqu'à À rebours exclusivement, peuvent s'appeler romans, à condition toutefois de ne pas être trop attaché à la distinction des genres. Pas d'intrigue, pas de personnages — en dehors du narrateur —, à peine un lien ténu entre les chapitres, qui ne sont parfois que des regroupements de notations à l'état brut. Il voulait surprendre et il y parvint au point d'avoir longtemps détourné les lecteurs, alors qu'il apparaît depuis quelques années comme un des écrivains majeurs du xixe s. Son sort, qui est celui de tous les artistes vraiment originaux, est d'avoir été partout un marginal. Pour les naturalistes, en publiant À rebours, il trahissait, et Zola s'attrista de perdre un de ses meilleurs disciples (« il me reprocha le livre, rapporte Huysmans dans la préface de 1903, disant que je portais un coup terrible au naturalisme, que je faisais dévier l'école, que je brûlais d'ailleurs mes vaisseaux avec un pareil roman »). La défense de l'école de Médan, sept ans plus tard, dans Là-bas, ne dut pas paraître très convaincante, et la conversion au catholicisme acheva la séparation d'avec les premiers compagnons de route. Les catholiques, de leur côté, regardaient d'un œil méfiant ce néophyte dont le style à lui seul, insolemment décapant et d'un anticonformisme suspect, dérangeait les routines. Aujourd'hui encore, la ligne de partage demeure, et les titres longtemps à l'index, non de l'Église officielle, mais des « bonnes consciences », du Drageoir à À rebours, sont les seuls à retenir l'attention et à être réédités. Les interdits, d'où qu'ils viennent, ont en commun leur absurdité, et on a trop oublié une constante lisible dans toute l'œuvre : l'intérêt passionné pour l'art, profane et religieux, et l'horreur du laid, le laid et le beau de Huysmans ne correspondant pas toujours aux canons reconnus ; dans ce domaine encore, il fut un découvreur : Gustave Moreau, Félicien Rops, Odilon Redon, Raffaëlli, entre autres, lui sont redevables d'une bonne part de leur notoriété et il a contribué à sauver de l'oubli des peintres comme Roll. Ses jugements sur les « officiels » étaient si cruels qu'au moment de publier l'Art moderne (1883), il dut envoyer à son éditeur une liste des artistes éreintés où figurent, par ordre alphabétique, avec la mention « beaucoup », Bastien-Lepage, Bonnat, Bougue-

 

reau, Cabanel, etc. Roger Marx admira « le double don de la divination et de l'expression, qui fait des écrits esthétiques de J.-K. Huysmans des pages définitives et de leur auteur en ce temps, non point un juge parmi les juges, mais une personnalité unique : le critique de l'art moderne » (article de 1893, repris dans Maîtres d'hier et d'aujourd'hui, 1914). Peut-être y a-t-il quelque outrance : il n'en reste pas moins vrai que Huysmans fait autorité dans la critique artistique, au même titre que Baudelaire et qu'il fut, avec Zola, un introducteur de l'impressionnisme alors tant raillé. Aucune forme d'art ne lui fut étrangère, mais la peinture fut pour lui, plus que toute autre, source de joie et aliment de la pensée. La Salomé de G. Moreau avait fasciné des Esseintes, la Crucifixion de Grünewald, décrite dans Là-bas, n'est pas étrangère à ses méditations mystiques, mais c'est à une copie du Moine de Zurbaran, exécutée par son père, qu'il resta le plus fidèle : il l'avait eue sous les yeux toute son enfance, le héros de Sac au dos (que Huysmans avait donné aux Soirées de Médan en 1880) la cite dans son récit du retour au foyer, elle l'accompagna dans ses divers logis parisiens et dans cette « Maison Notre-Dame » qu'il avait fait construire à Ligugé dans l'espoir de fonder une colonie d'artistes chrétiens ; c'est devant elle que, le 12 mai 1907, il mourra d'un cancer de la gorge, revêtu de la robe de bure à laquelle il avait droit en sa qualité d'oblat de Saint-Benoît.

Liens utiles