Histoire d une Grecque moderne, roman de l'abbé Prévost
Publié le 19/01/2019
Extrait du document
Histoire d une Grecque moderne, roman de l'abbé Prévost (1741). Un Français, ambassadeur en Turquie, achète une jeune esclave, Théophé, pour la délivrer des infamies du sérail. Cette émancipation est la première étape de la conquête d'une liberté que la jeune Grecque veut absolue et qu'elle ne peut atteindre que dans l'absolue dignité. Théophé se prend de passion pour la vertu la plus austère, seule garantie radicale de son indépendance. Mais son libérateur, très vite, s'est épris d'elle. Narrateur de l'histoire, il installe le lecteur au cœur de ses contradictions : le libérateur ne triomphe qu'au prix de l'échec de l'amant. Son récit, empreint d'une mauvaise foi pathétique, met à nu la tragédie inhérente au désir du père et à celui du pédagogue. L'être, qui toujours se dérobe au désir du narrateur, devient alors vivante énigme et ne donne de signes que contradictoires. La jalousie qui domine l'amant frustré condamne son enquête à l'échec : le récit ne peut décider de la sincérité de Théophé et en appelle au jugement du lecteur. Prévost se sert judicieusement des éléments conventionnels du conte oriental, à la mode dans les années 1740 : la mystérieuse héroïne est environnée de femmes
esclaves, d'amants jaloux, de serviteurs traîtres et vendus, de sultans cruels ; ce qui permet à l'auteur un contrepoint savamment ambigu.
«
liant intimement avec d'Aydie, un che
valier de Malte
dont elle aurait eu une
fille
en 1721.
Reste le roman, un des
plus captivants de
Prévost, le seul qui
ait échappé,
en dehors de *Manon Les
caut, à
l'impitoyable ostracisme de
l'ignorance et
du préjugé.
Le narrateur rachète, sur sa demande, une jeune Grecque de.
bonne naissance, Théophé,
rencontrée dans un sérail de Constantinople,
devant qui il a fait la critique des mœurs turques : mais doit -il croire son histoire ? Après une tenta
tive de fuite, elle accepte de se retirer dans sa maison de campagne et refuse les extraordinaires
propositions du sélictar, un ami turc de l'ambas sadeur, converti à l'amour européen.
Mais elle refuse aussi, au nom de ses propres principes, les avances du narrateur, qui se voit confronté aux
intrigues amoureuses d'un «frère» de Théophé, et du sélictar (livre 1).
Dans une lettre non reproduite, Théophé
refuse nettement de répondre à l'amour du nar
rateur, qui la ferait retomber dans les désordres
de l'amour turc.
Pour la tirer de cette morale
inverse, rigoriste, il lui fait lire « nos bons romans, nos poésies, nos ouvrages de théâtre », tandis qu'elle le traite comme un père.
Dilemme : doit il vaincre sa résistance ou se vaincre lui-même ? Comme il finit, après le sélictar, par lui proposer le mariage, elle menace de le quitter s'il renonce
à lui servir de père et de modèle.
Ce n'est qu'à
Livourne, sur le chemin du retour, qu'elle
éprouve une véritable inclination pour un comte français : mais celui-ci fuit, la croyant, sur un qui
proquo, la maîtresse du narrateur.
« La plus vive
tendresse se refroidit enfin par la dureté et
l'ingratitude » : l'amour du narrateur tourne à l'estime, à l'amitié, tandis que la souffrance altère la beauté de Théophé.
Mais à Paris, sans qu'il puisse ni absoudre ni accuser la conduite· ambi guë de Théophé, son feu jaloux renaît violem ment, tant il regrette de ne l'avoir jamais possé dée.
Il finit pourtant par guérir « insensiblement de toutes les atteintes de l'amour», et n'apprend
qu'avec plusieurs mois de retard la mort de
Théophé, retirée dans un couvent (Il).
On a évoqué la *Chute de Camus et
la Prisonnière (voir *À la recherche du
temps perdu)
de Proust à propos de ce
magistral, de ce terrible récit d'amour et
de jalousie qui nous enferme dans
la prison d'une conscience errante aux
prises avec
ses seuls fantasmes.
Car si
l'Histoire, les voyages
et les mœurs
(turques et italiennes surtout) enrichis
sent encore la matière,
si des intrigues
parallèles redoublent
et prolongent le
fil principal, sans cependant viser à
l'incroyable complexité des grands
romans antérieurs, tel
Cleveland (1731-
1738), les péripéties ne renvoient plus
·à une machinerie providentielle :
aucune transcendance ne vient ici
aspirer le récit vers
un ciel métaphysi
que.
Tout s'ordonne au jeu mécanique
des passions, dans
le strict ici-bas des
désirs individuels, détachés,
pour la
première fois chez
Prévost, de toute
référence religieuse.
L'inquiétude
n'a
pas disparu ; elle ronge au contraire
l'existence du narrateur depuis que son
chemin a croisé celui de Théophé.
Et
lorsqu'elle disparaît, c'est pour laisser
place au vide de l'indifférence, prélude
de la vieillesse
et de la mort : nulle
sagesse, fût-elle de façade, ne s'en
grange au terme de cette descente
en
soi-même, qui ne rencontre que fantô
mes et simulacres, ombres fuyantes
d'un objet insaisissable.
À la question :
qui est Théophé
? s'est-elle joué du nar
rateur
? Nul ne peut répondre, parce
qu'autrui nous échappe
et que les
témoignages extérieurs sont toujours
pris dans le jeu pressant des intérêts.
Le
narrateur lui-même a perdu l'assurance
éloquente de
Des Grieux : « Qui me
croira sincère dans
le récit de mes plai
sirs
et de mes peines ? Qui ne se défiera
point de mes descriptions et de mes
éloges
? >> Suffit-il de s'avouer « amant
rebuté, trahi même
», privé des plai
sirs et des illusions de l'amour, pour
que cet
« aveu » efface aussitôt le pre
mier (livre
1) ? Pris au piège de son
éloge des mœurs européennes,
et tenté
par les rudesses turques, ballotté entre
les rôles de père, de tuteur, d'ami, de.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Histoire d'une Grecque moDERNE de l'abbé Prévost (analyse détaillée)
- Histoire d'une Grecque moderne de l'abbé Prévost (résumé & analyse)
- HISTOIRE D’UNE GRECQUE MODERNE L’abbé Prévost (résumé & analyse)
- HISTOIRE DU CHEVALIER DES GRIEUX ET DE MANON LESCAUT de L’abbé Prévost (résumé & analyse)
- MANON LESCAUT. Héroïne du roman de l’abbé Prévost