Grands navigateurs et seuls maîtres de la Méditerranée du XI e au VIII e siècle avant J.-C., commerçants réputés, explorateurs qui auraient été les premiers à franchir le détroit de Gibraltar jusqu'en Grande-Bretagne, les Phéniciens furent aussi les inventeurs d'un alphabet de vingt-deux signes ; transmis aux Grecs, puis aux Romains, celui-ci est à l'origine du nôtre. Cependant, c'est surtout dans sa vocation d'intermédiaire entre l'Orient et l'Occident que la civilisation phénicienne trouva son originalité. Les Phéniciens sont un ancien peuple sémitique implanté sur les côtes du Proche-Orient3 (territoires actuels d'Israël, du Liban et de la Syrie) à partir du IIIe millénaire avant J.-C. Ils occupèrent sur la Méditerranée, au nord de la Palestine, une bande côtière d'environ 200 km de long. Le nom de Phéniciens (non employé par les Phéniciens eux-mêmes, qui se désignaient du nom de Cananéens), tirerait son origine du grec phoinix (« rouge pourpre ») par allusion à l'industrie de la teinture pratiquée en Phénicie, ou encore de l'égyptien Fenkhou, qui signifie « asiatique ». L'origine des Phéniciens est incertaine. Ils arrivèrent peut-être d'Arabie par la Mésopotamie et la Syrie. Les débuts de l'histoire phénicienne La situation géographique de la Phénicie (côtes découpées, arrière-pays peu profond comprimé entre mer et massifs montagneux) favorisa la naissance de cités portuaires politiquement indépendantes les unes des autres et gouvernées chacune par un roi héréditaire ; les Phéniciens ne réalisèrent jamais leur unité. Des plus anciennes villes phéniciennes - Arvad, Simyra, Sidon, Ougarit et Byblos -, seules les deux dernières semblent avoir constitué aux IIIe et IIe millénaires de véritables puissances politiques. Byblos, la plus ancienne, commerça avec l'Égypte, qu'elle fournit notamment en cèdres du Liban dès l'Ancien Empire (XXVIIe -XXVe siècle avant J.-C.) ; Ougarit (aujourd'hui Ra's Shamra, dans le nord de la Syrie), qui connut son apogée au milieu du IIe millénaire, entretint des relations diplomatiques et commerciales avec les Achéens, les Hittites et les Égyptiens. Les premiers Phéniciens pratiquaient déjà la navigation, mais leur économie était essentiellement fondée sur l'agriculture et l'artisanat. Outre l'exploitation du bois (cyprès, pins et cèdres, ces derniers constituant une des plus grandes richesses de la région), ils cultivaient la vigne, l'olivier, le palmier et les arbres fruitiers. Prospère, mais politiquement faible, la Phénicie fut au cours du IIe millénaire soumise à la pression de ses deux puissants voisins, les royaumes égyptien et hittite, qui cherchèrent constamment à l'assujettir : la majeure partie de la côte phénicienne était passée sous tutelle égyptienne à l'époque du Nouvel Empire (XVIe -XIIe siècle avant J.-C.). Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Achéens Byblos Égypte - Histoire - Le Moyen Empire (2100-1580 avant J.-C.) Hittites Saïda Ugarit ville - Histoire de l'urbanisation - Les origines du monde urbain Les livres Phéniciens - sarcophage d'Eshmunazar, roi de Sidon, Ve siècle avant J.-C, page 3857, volume 7 Phéniciens - les ruines de Byblos, page 3858, volume 7 Phéniciens - tête sculptée d'un prince d'Ugarit, page 3858, volume 7 La Phénicie indépendante Vers 1200 avant J.-C., l'invasion indo-européenne des « Peuples de la Mer » (voir cet article) bouleversa l'organisation politique du Proche-Orient et affaiblit les royaumes hittite et égyptien. Plusieurs historiens s'accordent à faire correspondre le début de l'histoire phénicienne avec cette période du début de l'âge du fer : dégagée de la menace égyptienne et hittite, la Phénicie connut un remarquable essor, malgré les ravages qu'avaient causés les nouveaux envahisseurs (destruction d'Ougarit, de Sidon et d'Arvad). C'est alors qu'elle développa sa vocation maritime, noua des liens commerciaux avec l'ensemble du bassin méditerranéen et imposa pour trois siècles (du XIe au VIIIe siècle avant J.-C.) sa suprématie en Méditerranée. Le système de cités-États indépendantes les unes des autres, gouvernées par des rois et fortes d'une riche oligarchie de négociants, se maintint après le XIIe siècle avant J.-C. Le renouveau profita d'abord à Sidon (le fait que tous les Phéniciens soient appelés Sidoniens dans l'Ancien Testament constitue un signe de la prééminence de cette ville), puis, à partir du XIe siècle, à Tyr. Fameuse dans l'Antiquité pour sa situation géographique - elle était bâtie sur un îlot rocheux - et pour sa puissance maritime, Tyr s'allia avec le royaume hébreu, contribuant, au X e siècle, à la construction du Temple, comme le relate la Bible : « Hiram [roi de Tyr] procura à Salomon des bois de cèdre et des bois de genévrier autant qu'il en voulut, et Salomon donna à Hiram vingt mille muids de froment, comme nourriture de sa maison, et vingt mille mesures d'huile vierge. » Au IXe siècle, Jézabel, fille du roi Itobaal, épousa Achab d'Israël. Au VIIe siècle, la ville se dota d'un gouvernement original, en remplaçant ses rois par une magistrature de juges annuels, les suffètes. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Achab Hiram - Hiram Ier Hittites Jézabel Peuples de la Mer Saïda Syrie - Histoire - La haute Antiquité Tyr Commerce et navigation Le commerce phénicien reposait sur le système du troc. Les marchands exportaient la production phénicienne, agricole (blé, huile, et surtout bois) et artisanale (verrerie, orfèvrerie, objets en ivoire, étoffes précieuses, dont les fameux tissus de pourpre confectionnés à l'aide d'un coquillage, le murex, abondant sur les côtes phéniciennes). Exportateurs, les Phéniciens furent aussi et surtout de grands redistributeurs, échangeant à travers toute la Méditerranée métaux (cuivre, or, argent, plomb, étain), encens, épices, denrées alimentaires et objets manufacturés, et esclaves. Pour transporter leurs marchandises, les Phéniciens employaient des navires à large coque ronde en cèdre, à voile carrée et à rames (utilisées pour les manoeuvres) ; ils pratiquaient essentiellement le cabotage, gardant jalousement le secret de leurs itinéraires. D'une remarquable témérité, ils furent les premiers Méditerranéens à braver l'Atlantique (route de l'étain vers la GrandeBretagne, côte ouest de l'Afrique) et, selon Hérodote, à effectuer le tour de l'Afrique au début du VIe siècle avant J.-C. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Méditerranée - Histoire - Les premières civilisations de la mer murex troc Les livres Phéniciens - bas-relief d'un sarcophage provenant de Sidon, page 3856, volume 7 Phéniciens - l'expansion commerciale des Phéniciens, page 3857, volume 7 Les colonies phéniciennes Pour assurer leurs routes maritimes, les Phéniciens jalonnèrent le pourtour de la Méditerranée de comptoirs. L'un d'entre eux, Carthage (voir ce nom), fondé par Tyr, en 814 avant J.-C. selon la tradition, devint le plus grand rival de Rome après la conquête et le déclin de la Phénicie. D'après les écrivains antiques (Pline l'Ancien, Diodore de Sicile, etc.), la date des premières implantations (Lixus, Cadix, Utique) remonterait à la fin du XIIe siècle avant J.-C., estimation abaissée aux Xe -IXe siècles par les historiens contemporains. Les Phéniciens s'implantèrent à Chypre (Kition, Amathonte), en Cilicie (Asie Mineure) et en Afrique du Nord (Liks, Essaouira), en Sicile et en Sardaigne (Nora et Sulcis), à Malte, en Libye (Leptis Magna), aux Baléares et en Espagne (Málaga, Ibiza). Les sites étaient choisis pour leur sécurité et leur facilité d'accès : îlot (Cadix), île (Malte) ou embouchure de rivière (Utique). Bâtis en fonction des impératifs commerciaux, les comptoirs comportaient, outre le port, des magasins et des ateliers de production. Animés d'ailleurs de motifs exclusivement commerciaux, les Phéniciens, loin de se livrer à la colonisation, semblent avoir noué des rapports pacifiques avec les autochtones. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Afrique - Histoire - Afrique du Nord Baléares Cadix Carthage Chypre - Histoire Cilicie colonisation - Les colonies de l'Antiquité Italie - Histoire - Une mosaïque de peuples unifiée par Rome Leptis Magna Malte Malte - Histoire Méditerranée - Histoire - Les premières civilisations de la mer Sardaigne Sardaigne - Histoire Sicile - Histoire Tyr Utique De la mainmise assyrienne à la conquête macédonienne À partir du IXe siècle avant J.-C., les villes phéniciennes durent faire face à un nouvel expansionnisme, celui de l'Assyrie. Les premières expéditions, conduites par Assurnazirpal II (vers 875 avant J.-C.), puis Salmanasar III (852/837), visaient avant tout à percevoir un tribut des cités soumises ; celles-ci conservaient leur indépendance politique. Mais, avec le règne de Tiglatpiléser III (745/727 avant J.-C.), s'amorça une véritable conquête territoriale de la Phénicie, dont le Nord (y compris Byblos) fut, en 743, réduit en province assyrienne. Malgré la résistance des cités (alliance de Sidon avec la Cilicie en 677, de Tyr avec l'Égypte en 671), la conquête s'étendit à l'ensemble de la Phénicie : à la fin du VIIe siècle avant J.-C., celle-ci était comprise dans les provinces assyriennes d'Oushou, de Sidon et de Simyra. Seules Arvad, Tyr et Byblos, soumises au versement d'un tribut, conservaient leur autonomie. À la chute de l'Empire assyrien (612 avant J.-C.), les cités phéniciennes recouvrèrent une brève indépendance, bientôt brisée par Nabuchodonosor II (siège de Tyr, 586-574), puis, après la chute de Babylone, par la Perse (539 avant J.-C.) ; elles furent rangées, à partir de 515-514 avant J.-C., dans la cinquième satrapie (division administrative de l'Empire perse). Jouissant d'une certaine autonomie et conservant leurs souverains locaux, les Phéniciens participèrent, aux côtés des Perses, aux guerres médiques (500-479 avant J.-C.) ; ils prêtèrent le concours de leur flotte à Darius Ier et à Xerxès. Espérant se libérer de la tutelle perse, Tyr (392 avant J.-C.), puis Sidon (362) se rapprochèrent en vain des Grecs : en 333-332, la Phénicie fut conquise par la Macédoine ; Alexandre fit bâtir une digue afin d'assiéger Tyr, qui lui opposa une résistance de huit mois avant d'être mise à sac. L'histoire de la Phénicie fut dès lors, jusqu'à sa conquête par Rome en 64 avant J.-C., liée à celle des royaumes hellénistiques des Lagides, puis des Séleucides (194 avant J.-C.). Tout en maintenant ses particularismes, elle s'hellénisa profondément et perdit tout poids politique ; la langue phénicienne fut progressivement abandonnée au profit du grec. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Assurbanipal Assyrie - Histoire - L'époque néo-assyrienne hellénistique (période) Lagides Méditerranée - Histoire - Les premières civilisations de la mer Nabuchodonosor - Nabuchodonosor II Perse - L'Empire perse achéménide Saïda Salmanasar - Salmanasar III Séleucides Syrie - Histoire - De l'empire d'Alexandre à la conquête arabe Tiglathphalazar - Tiglathphalazar III Tyr Les livres Phéniciens - Tyr, page 3859, volume 7 Civilisation et religion phéniciennes La connaissance de la civilisation phénicienne demeure imprécise, malgré les fouilles de Byblos et d'Ougarit, et, ces trente dernières années, le regain donné à la recherche archéologique (découverte de nécropoles au Liban, à Chypre, en Espagne), qui a mis en évidence l'influence exercée sur les Phéniciens par l'Égypte et Babylone. Des sources littéraires directes, seules nous sont parvenues, citées par l'historien juif Flavius Josèphe, une partie des Annales de Tyr et de courtes inscriptions ; les sources littéraires indirectes (en particulier l'Ancien Testament) sont plus fournies, mais lacunaires. En outre, plus que dans l'architecture et la statuaire, les Phéniciens excellaient dans les arts mineurs, qu'ils pouvaient répandre : verrerie (ils passaient dans l'Antiquité, probablement à tort, pour en être les inventeurs), objets d'ivoire (boîtes, appliques) et de métal (figurines, patères), terre cuite (statuettes). Le legs le plus remarquable des Phéniciens reste leur alphabet. Inspiré du système hiéroglyphique égyptien, il apparut au cours du II e millénaire avant J.-C. Dans sa forme définitive, au XIIe siècle avant J.-C., il comportait vingt-deux signes ; seules étaient notées les consonnes. Alphabet phonétique, beaucoup plus simple à assimiler que l'écriture cunéiforme ou les hiéroglyphes, il fut colporté par ses inventeurs à travers toute la Méditerranée ; il est à l'origine des alphabets grec et latin. Voir le dossier écriture. La religion phénicienne, mieux connue depuis les découvertes d'Ougarit (inscriptions relatant plusieurs mythes et épopées), était d'inspiration agraire, les principaux phénomènes naturels (fécondité, moisson, végétation) étant associés à des figures divines. Chaque ville possédait son propre panthéon, dominé par un dieu principal, maître ou maîtresse de la cité : Baalat à Byblos, Ashtart (ou Astarté) à Sidon, Melqart à Tyr. Le culte était rendu par des prêtres dans des enceintes à ciel ouvert comprenant un autel et où les divinités furent pendant longtemps représentées par des pierres (bétyles). Il consistait en offrandes (ainsi, la virginité des femmes était sacrifiée à la déesse de la fécondité Ashtart), en sacrifices d'animaux et d'êtres humains. Carthage et ses colonies pratiquèrent particulièrement les sacrifices d'enfants, dont les cendres, contenues dans des urnes, étaient entreposées dans un sanctuaire réservé à cet effet, le tophet. Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Astarté bétyle Byblos Carthage cunéiforme écriture - Typologie des écritures hiéroglyphe phénicien Saïda Tanit Ugarit Les livres Phéniciens - stèle phénicienne d'Amrit, page 3856, volume 7 Phéniciens - écriture alphabétique cunéiforme, page 3859, volume 7 Phéniciens - statues votives, coiffées de la « lebbadé », provenant de Byblos, page 3858, volume 7 Complétez votre recherche en consultant : Les corrélats Liban - Histoire - Introduction Tunisie - Histoire - Carthage et Rome Les indications bibliographiques L'Épopée des Phéniciens, Fayard, Paris, 1971. M. Grass, P. Rouillard et J. Teixidor, l'Univers phénicien, Arthaud, Paris, 1995 (1989). S. Moscati, les Phéniciens, le Chemin vert, Paris, 1989.