édifia-t-on pas en 1862 une structure décorative provisoire, qui devait être pour le second Empire l'équivalent e ce que représente l'Arc de triomphe pour le premier? Le bilan des investissements réalisés dans les ouveaux arrondissements de l'Est parisien a de quoi impressionner : soixante-dix écoles, quinze églises, ynagogues et temples, deux grands hôpitaux, sept marchés... et neuf casernes. u reste, Louis Napoléon tenta d'appliquer loyalement à Paris sa stratégie du logement ouvrier: il rêvait de aisons ouvrières modernes, hygiéniques, à des prix en rapport avec les salaires. es rêves ne se sont pas tous concrétisés. Il reste que, partout dans Paris, il aura amélioré l'habitat, apportant 'air, l'eau, et la lumière. Est-ce si négligeable? 'oeuvre est certes inachevée. Mais à qui la faute? Il manquera deux pavillons aux Halles. Le percement du oulevard Haussmann ne sera pas conduit jusqu'à son terme... Bien des projets resteront dans les cartons. ourtant l'empreinte laissée sur la capitale est considérable, tangible, indélébile. n a assez dit que le Paris de 1852 était celui du siècle précédent. Qui ne voit, en se promenant dans les rues e la capitale, que celui de Louis Napoléon est encore le nôtre? ur ce plan au moins, justice ne peut-elle lui être rendue? *** on bilan, son compte rendu de mandat, Louis Napoléon eût certainement souhaité pouvoir le dresser lui-même. Sans doute prévoyait-il que l'on chercherait à le dénaturer u à en minimiser les aspects positifs. En 1868, décontenancé par l'agressivité des attaques qui l'empêchaient e gouverner, il souhaita prendre rendez-vous avec l'Histoire. Il jeta donc sur le papier le plan d'un roman qu'il 'aura pas le temps d'écrire. 'est l'histoire d'un Français, M. Benoît, parti en 1847 pour l'Amérique. M. Benoît a parcouru le nouveau ontinent depuis l'Hudson jusqu'au Mississippi. De temps en temps, il a reçu quelques informations, plutôt alintentionnées, sur la situation de la France. Voulant se rendre compte par lui-même de la réalité des choses, l décide un beau jour de revenir au pays et débarque à Brest. Que voit-il? Que ressent-il devant toutes ces ransformations dont il n'avait pas entendu parler outre-Atlantique? ouis Napoléon ébauche ainsi lui-même la description de l'oeuvre accomplie sous son règne. Il en écrit eulement les têtes de chapitre, les événements et la mort ne lui ayant pas laissé le temps de rédiger le reste. el quel, ce simple plan a l'allure d'un testament politique. écouvrons l'énumération à laquelle il procède; on comprend bien ce dont il fut le plus fier. Suivons donc M. enoît: Il voit, vers la Mairie, la foule se porter aux élections. Étonnement du suffrage universel. Étonnement des chemins de fer qui sillonnent la France ; du télégraphe électrique. Arrivée à Paris; embellissement. L'octroi porté aux fortifications. Il veut acheter des objets, qui sont meilleur marché, grâce au traité de commerce. Le fer moitié moins cher, tc. Il croit qu'il y a beaucoup d'écrivains en prison. Erreur. Point d'émeutes ; point de détenus politiques ; point d'exilés. Point de détentions préventives. Accélération des procès. La marque supprimée. La mort civile supprimée. La Caisse pour la vieillesse. Les aziles (sic) de Vincennes. Les coalitions. Police de roulage détruite. Réglementations abolies. Service militaire allégé, solde augmentée, médaille instituée, retraite augmentée. Réserve augmentant la force de l'armée. Fonds pour les prêtres infirmes. Contrainte par corps. « Courtiers : un marchand qui envoyait un commis vendre ou acheter des marchandises était arrêté. « Les Conseils Généraux. « Pour tout autre que Louis Napoléon la présentation d'un tel bilan suffirait à assurer la renommée et la gloire. Mais s'agissant de lui, il n'en est malheureusement rien. On ne s'en étonnera plus. Tout le monde connaît, car on en parle sans cesse, les libertés qu'il limita ; tout le monde oublie, car on omet souvent de le rapporter, qu'elles furent, le moment venu, rendues au peuple et notablement amplifiées. En 1870, au chapitre des droits fondamentaux, individuels et collectifs, il n'y a pas lieu d'écrire que la France a été délivrée d'un tortionnaire. On le vérifiera encore. En tout cas, les progrès accomplis dans le domaine des droits sociaux sont indiscutables : droit de grève, droit de réunion, liberté syndicale de fait, abolition de dispositions anti-ouvrières dont nul ne s'était vraiment soucié jusque-là. L'esquisse d'une protection sociale a été dessinée, ou du moins sa nécessité reconnue. L'enseignement public a été amélioré et étendu. Surtout, la France s'est profondément et durablement modernisée. Une décisive impulsion a été donnée par Louis Napoléon à la France. Il l'a fait changer de siècle. Aujourd'hui encore, nous vivons dans un cadre qu'il a conçu, voulu et créé et qu'il nous a légué. Peu de chefs d'État dans l'Histoire ont laissé un tel héritage. Rarement, jamais sans doute, la France n'aura fait autant de progrès en aussi peu de temps. Quand on mesure la puissance de notre pays en 1870, on enrage vraiment à la pensée de la défaite. Sedan est un scandale. Car la France n'est pas battue sur ce qu'elle est, c'est-à-dire un pays autrement plus avancé, autrement plus riche, autrement plus puissant que la Prusse. Mais comme on va le voir, la nation s'est refusée à utiliser les moyens de le prouver sur le champ de bataille. Tout à l'enthousiasme -- et aux délices -- du progrès, elle ne va pas se donner l'armée dont elle a besoin. Lancée dans les réalités nouvelles, elle en a oublié d'autres, hélas incontournables... Et paradoxalement, la France aura été victime de la liberté que lui a rendue Louis Napoléon. VIII LE LIBÉRAL es historiens du second Empire admettent tous l'idée d'un passage, plutôt subi que voulu, d'un régime utoritaire vers un régime libéral, leur bel accord ne venant à se briser qu'au moment d'en dater précisément 'origine : 1860, pour les uns, année des premières « concessions « visant à améliorer le fonctionnement du Corps législatif; 1867, 1869 ou 1870 pour les autres, dont les arguments ne manquent jamais de pertinence, hacune de ces années correspondant à des innovations, toutes fort significatives. La thèse de Jacques Rougerie est un peu différente: se succéderaient deux périodes, celle d'un bonapartisme « fort «, marqué d'un « pli réactionnaire «, régime d'ordre (sans être pour autant un régime de l'Ordre) qui dure usqu'en 1857, puis celle, plus originale, où se développeraient les idées proprement louis-napoléoniennes, et qui culminerait (ou se pervertirait) dans un ultime avatar libéral. Mais, pour les uns comme pour les autres, la cause est entendue. Il est admis et reconnu une fois pour toutes u'un régime autoritaire se serait progressivement assoupli, « libéralisé «. Cette évolution serait due à toute une érie de causes convergentes, à rechercher du côté de l'affaiblissement politique, et même physique, de Louis apoléon. ne telle métamorphose aurait été imposée en quelque sorte par les déboires extérieurs et par la montée oncomitante des oppositions. La déchéance physique de l'empereur ajouterait un élément d'explication à la résignation dont il fait preuve quand il lui faut desserrer son étreinte. Ainsi présenté, l'« Empire libéral « est donc le fait du renoncement d'un homme que sa chance et ses forces abandonnent, qui n'a plus ni les moyens ni l'envie de lutter, et qui laisse, en désespoir de cause, les événements décider à sa place. On a déjà pu constater qu'après le milieu des années 60 le régime semble effectivement entré dans une phase critique. L'affaire mexicaine a frappé les esprits, et l'évolution de la situation italienne n'a certes pas compensé, aux yeux de l'opinion, les effets négatifs de Sadowa. Au surplus, depuis 1865, l'essor économique paraît s'essouffler. Les entreprises ne parviennent plus à drainer tout l'argent disponible. Évoquant l'en-caisse de la Banque de France, qui paraît dérisoirement inutile, certains vont jusqu'à parler d'une « grève du milliard «. Façon de souligner -- ce qui n'est pas inexact -- que la confiance n'est plus aussi grande qu'auparavant. Pourtant, avant que de se résoudre à admettre cette thèse de la dénaturation forcée du régime, il y a au moins deux questions préalables à trancher: l'état de santé de Louis Napoléon a-t-il effectivement été à l'origine d'un affaiblissement de sa capacité à maîtriser les événements dans l'ordre intérieur? La libéralisation -- à laquelle il se serait, dans l'affirmative, trouvé contraint -- était-elle en contradiction avec sa volonté profonde ? *** La santé de Louis Napoléon, nous l'avons vu, lui a toujours posé des problèmes, et cela depuis sa naissance et sa petite enfance. Adolescent et jeune homme, il a pu faire illusion, après la rude formation d'Augsbourg et de Thoune, qui avait aguerri son corps tout en forgeant son caractère. Las, six années de captivité dans des conditions déplorables ont laissé des traces: frappé d'anémie il a pâti pendant de longues années d'un « flux hémorroïdal considérable «, et a souffert de douleurs chroniques aux cuisses et aux articulations des pieds, douleurs qui s'amplifiaient sous l'influence du froid -- d'où l'habitude qui était la sienne de vivre dans des pièces suichauffées. De quelle époque datent les premiers symptômes d'une altération de ses fonctions rénales? Les avis divergent, certains les faisant remonter à 1863. Des crises survinrent -- c'est probable -- en 1864, lors d'un voyage en Suisse, et surtout en 1865 -- c'est sûr -- lors d'un séjour au camp de Châlons. Par elles-mêmes, ces imprécisions sont révélatrices... En fait, il fallut attendre 1870 pour obtenir un diagnostic précis. Jusque-là, on se contenta, selon le mot de Darimon, de précautions plus hygiéniques que médicales. Louis Napoléon n'aimait guère les médecins et se défiait encore plus de la médecine. Il avait généralement recours aux praticiens du quartier des Tuileries, lesquels ne diagnostiquaient qu'indispositions passagères et prescrivaient en conséquence. L'empereur ne fut ni le premier ni le dernier homme d'État à être soigné avec tant de légèreté. Il eut sans doute le tort de s'en remettre trop aveuglément aux bons soins de son brave docteur Conneau, fidèle entre les fidèles, dont le dévouement absolu ne compensait malheureusement pas l'incompétence. Il y eut plus grave. Non seulement on ne fit rien pour traiter le mal, mais on se lança gaillardement dans des thérapeutiques manifestement contre-indiquées. L'existence d'un calcul vésical était au moins plus que probable. Cependant, on envoyait le malade à Vichy. Comme l'a écrit, avec un certain luxe de précautions, le docteur Constantin James : « Vainement, l'Empereur demanda aux eaux de Vichy un soulagement qu'elles devaient d'autant moins lui procurer qu'elles agissaient au contraire dans le sens du mal, en augmentant le volume du calcul par de nouvelles couches. « Même si cette théorie de l'aggravation fut très contestée, on le sait, il reste que les résultats de ces séjours furent décevants et