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L'économie des conventions

Publié le 07/06/2023

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« 1 L’économie des conventions Le chapitre initial de l’ouvrage L’économie des conventions, méthodes et résultats, intitulé « Valeurs, coordination et rationalité : trois thèmes mis en relation par l’économie des conventions », étudié ici, est intéressant à plus d’un titre. Par ses auteurs1 d’abord : tous les cinq sont à l’origine du « manifeste » pour une nouvelle approche de la science économique et le renouvellement de son langage publié dans un numéro spécial de La Revue économique en 1989 –seul manque à l’appel le philosophe et épistémologue Jean-Pierre Dupuy. Par sa date de parution ensuite : 2006, soit près de vingt ans après la parution de l’ouvrage fondateur de l’économie des conventions, un bel âge pour faire un bilan et analyser des résultats -bilan d’étape toutefois, car l’économie des conventions s’est révélée être un champ de recherches particulièrement fécond, et le débat entre chercheurs s’est poursuivi bien au-delà de la parution de l’ouvrage. Par, enfin, la mise en exergue des concepts qui interagissent dans leur approche de l’économie et plus largement des sciences sociales. L’économie des conventions, s’il fallait en donner une définition synthétique, « a l’ambition de faire de la convention la clef de voûte d’une théorie plus large de la coordination, en s’opposant à l’hypothèse de rationalité dominante en sciences économiques »2.

Elle a suscité, durant ces quelques vingt ans, beaucoup d’intérêt au niveau international parmi les chercheurs et fait l’objet de nombreuses publications. Cela résulte de la dimension fortement innovante de l’entreprise de décloisonnement de l’approche scientifique de l’économie par une méthode transdisciplinaire, rapprochant les sciences économiques, sociales et politiques.

Les auteurs écrivaient dans l’introduction collective à l’ouvrage fondateur : « Les voies de recherche proposées tirent bénéfice de l’apport de disciplines non économiques : la sociologie, la psychologie, l’anthropométrie, le droit, dans lesquelles s’est développée de longue date une réflexion sur les règles et leurs usages ». Dans le texte étudié ici, ils précisent les concepts à l’œuvre dans la méthode.

Ils partent du constat que durant plus d’un siècle et demi, la théorie économique standard a dissocié trois questions : quelles raisons poussent les agents économiques à agir ; selon quelles modalités de coordination entre eux ; et en fonction de quelle place accordée aux valeurs et à la notion de bien commun.

Cela renvoie à un cloisonnement de : la théorie de la décision ; la théorie de l’équilibre général ; des considérations normatives.

Le programme de l’économie des conventions (EC) cherche, au contraire, à articuler ces thèmes. Selon l’EC, si l’on admet que la coordination est problématique, ne résultant pas simplement de lois naturelles ou de contraintes, on peut considérer que la rationalité humaine est d’abord interprétative, évaluative, et non d’emblée calculatoire. C’est dans ce cadre que peuvent être saisis les valeurs collectives et bien communs, qui ne peuvent être réduits aux préférences individuelles, mais fournissent « l’armature des conventions de coordination les plus légitimes ».

C’est aussi dans ce cadre que s’inscrit le langage, comme « composante majeure des institutions ». 1 François Eymard-Duvernay, Olivier Favereau, André Orléan, Robert Salais et Laurent Thévenot Philippe Batifoulier et Guillemette de Larquier .

De la convention et de ses usages, in Batifoulier (éd) Théorie des conventions, Paris, 2001, Economica. 2 2 Leur théorie hétérodoxe, parfois iconoclaste, a soulevé aussi des débats parfois conflictuels, toujours passionnés, entre chercheurs.

C’est ainsi que l’ouvrage de 2006 faisait suite à un colloque tenu à la Grande Arche de la Défense en décembre 2003.

Il entendait, selon ses auteurs, en prendre le relais et laisser place aux débats dans le tome 1.

Le chapitre 1 a l’ambition de tenter une synthèse des avancées de recherches de pointe qui ont ouvert de nouveaux chantiers théoriques, ou plus exactement ses auteurs voulaient poursuivre le débat amorcé à la Grande Arche pour en souligner le bien-fondé mais aussi les limites et les insuffisances.

D’où la difficulté à suivre les riches et complexes nuances de leur itinéraire critique.

C’est au final à une défense et illustration de l’économie des conventions qu’ils se livrent, documentée et argumentée, en dressant un premier bilan d’un programme de recherches ambitieux. Dans ce chapitre 1, les auteurs veulent montrer comment l’économie des conventions articule les trois questions –les raisons d’agir de agents, les modalités de la coordination de leurs actions, la place des valeurs et du bien commun-, au contraire des théories économiques standard qui continuent de prévaloir. Le socle fondateur, pourrait-on dire, c’est le rejet du postulat d’un individualisme complet des acteurs qui se coordonneraient par un calcul rationnel dépendant de leurs préférences, au bénéfice de son interconnexion, sa coordination avec d’autres individus dans un va-et-vient évaluatif entre les actions de chacun grâce à des cadres conventionnels dans lesquels des principes normatifs – valeurs reconnues collectivement et biens communs- tiennent lieu de nécessaire armature et donnent du sens à la règle.

Leur démonstration s’articule en quatre parties qu’on tentera de synthétiser pour comprendre le caractère original et novateur de leur démarche. *** La première étape de la démonstration s’intéresse au double refus de l’économie des conventions de participer au conflit entre sciences économiques et sciences sociales : d’un côté, elle rejette un antagonisme qui serait consubstantiel aux deux disciplines, de l’autre, elle récuse la volonté d’extension de chacune à l’autre - ce que François Eymard-Duvernay qualifie dans son introduction de stratégie d’entrisme. Ainsi, faire de l’économie une science sociale universelle, en appliquant la notion de préférence généralisée et en s’efforçant de relier tous les « équilibres » de conduites au niveau originel de la coordination marchande par exemple en annexant des domaines qui sortent largement du champ de l’échange marchand, tels que la famille, le pouvoir, la politique, qui relèvent d’abord des sciences sociales-, soulève des questions et ne rend pas compte de mécanismes à l’œuvre, comme la rationalité interprétative d’un individu, le jugement éthique, les objets et êtres collectifs. Faudrait-il alors souscrire à la démarche opposée, celle d’une extension de la sociologie à l’économique, qui tend à inscrire les relations économiques dans un large espace social pour aboutir à une « construction sociale des marchés »? Pas davantage, répondent de la même façon les auteurs, même si cette seconde tentative, d’inclure l’économie dans les sciences sociales, peut apparaître plus fructueuse que la première -certaines extensions étant facilitées pour des sociologies d’actions intéressées ou stratégiques inspirées des modèles de l’action économique (usant du « langage des marchés et des intérêts »). Il faut donc, pour les chercheurs de l’E.C., une démarche interdisciplinaire, ou plus exactement il faut « traverser les frontières entre économie et sociologie pour dégager des fondements communs aux deux disciplines et les reconsidérer ».

Ainsi ont-ils construit un cadre d’analyse spécifique qui permet de répondre à la question commune de la coordination problématique des actions individuelles, aux fondements tant de la sociologie que de l’économie. *** 3 La deuxième étape de leur article est l’étude de la coordination des conduites humaines, à partir du moment où des recherches récentes ont mis en évidence le caractère incertain de la coordination entre acteurs. L’EC ne s’en tient pas à la définition de la coordination que l’économiste fait reposer sur l’individualisme méthodologique supposé dans les courants néoclassiques, ou des coûts de transaction.

Au contraire, la notion de coordination développée par l’EC « met en évidence les formes collectives d’évaluation », les formes les plus publiques soumettant généralement la coordination a une plus grande exigence de justification, et la coordination de moindre portée supposant des formes d’évaluation qui correspondent à des biens plus limités. Les auteurs « classiques », en économie comme en sociologie mettent en avant des ordres et des structures de reproduction sociale.

De nouveaux courants, chez les économistes comme chez les sociologues, ont tenté de prendre en compte l’incertitude (sociologies interactionnistes, sociologies des réseaux, incertitude couplée aux questions d’information en économie, générant généralement un « espace des options »…) sans, selon les auteurs, parvenir à une réponse satisfaisante.

Avec les notions d’ « incomplétude », ou d’incertitude « radicale » ou « critique », l’EC cherche à remonter « en deçà de la mise en forme de l’information sur laquelle s’appuie le calcul de l’économiste des contrats ».

Sont distinguées les « opérations par lesquelles le doute est canalisé et traité selon divers formats de connaissance et d’information, dont la pertinence est rapportée à un mode de coordination » Pour les auteurs du chapitre, l’apport de l’E.C.

est, à partir de cette mise en évidence récente du caractère incertain de la coordination entre acteurs, d’avoir mis l’évaluation - sorte d’aller-retour, de va-et-vient interprétatif entre acteurs- au centre de la coordination.

Ainsi, sont différenciées des formes d’incertitude et donc d’information, en les rapportant à des formes d’évaluation différentes.

D’où une approche d’analyse enrichie: affirmation de la pluralité des choix possibles dans toute action qui rend problématique la coordination ; négation d’une présupposée logique interne programmée chez l’agent , qui résulterait de lois naturelles ou de contraintes extérieures ; refus d’une rationalité qui serait intrinsèque à l’individu et le ferait agir de manière autonome isolée, y compris.... »

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