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Histoire du capitalisme

Publié le 18/12/2010

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L'€mergence du capitalisme Le Syndic des drapiers, par Rembrandt (1662). ‘uvre de commande, elle symbolise la r€ussite de la bourgeoisie ainsi que la puissance d'Amsterdam Toutefois, l'€mergence du capitalisme est plus souvent associ€e aux pr€mices de la r€volution industrielle, et en particulier au XVIIIe si‚cle. Les formes de propri€t€ priv€e des moyens de production et de salariat se d€veloppent durant cette p€riode. „volution des rapports sociaux Dans le domaine artisanal, le capitalisme connaŽt des formes ant€rieures ƒ l'usine ou ƒ la manufacture. L'agriculture induit des p€riodes de faible activit€ (la morte saison surtout) et les manufacturiers des villes s'int€ressent rapidement ƒ cette main d'uvre r€guli‚rement oisive. Le travail ƒ domicile, ou … domestic system †, va se d€velopper. Il permet aux artisans et manufacturiers de sous-traiter une partie de leur production aux familles paysannes. Dans le cadre plus sp€cifique du … putting-out system †, les entrepreneurs fournissent aux travailleurs ruraux (et toujours ƒ domicile) des mati‚res premi‚res, voire des outils, puis viennent r€cup€rer en €change d'un salaire le produit transform€, qui sera parfois achev€ dans les ateliers urbains. Ce syst‚me a, par exemple, un int€r„t majeur dans le cadre de la production textile. Si on ne peut qualifier de telles m€thodes de capitalistes, elles sont bien annonciatrices des futurs rapports sociaux entre employeurs et salari€s. Signes de d€clin de l'artisanat La ƒ spinning-jenny „ de James Hargreaves, invent€e en 1765, d€cuplait la productivit€ du fileur ; 20000 furent vendues avant 1790 Les innovations des d€buts de la r€volution industrielle restent accessibles aux petits artisans (cf. image de la … spinning-jenny † ci-contre) et ne requi‚rent pas encore la concentration du capitalisme industriel. On assiste pourtant ƒ de premi‚res grandes concentrations sporadiques, sans lien avec le machinisme mais li€es ƒ des productions particuli‚res, comme par exemple l'impression sur toile. Cette derni‚re n€cessite des terrains €tendus afin de blanchir les toiles, des pi‚ces immenses o‹ les s€cher. Elle requiert un outillage diversifi€ et complexe, et entraŽne des stocks importants de toiles et de colorants. Enfin, elle n€cessite le regroupement d'ouvriers sp€cialistes dans des tŒches distinctes. Finalement, de nombreuses formes de productions, pas encore m€canis€es, entraŽnent les premi‚res grandes concentrations de capitaux et de la main-d'uvre. La question de l'accessibilit€ du capital aux plus humbles est essentielle dans l'analyse marxiste. En effet, Marx distingue deux formes diff€rentes de propri€t€ priv€e : celle du travailleur qui poss‚de les moyens de la production qu'il met en uvre et celle de la bourgeoisie qui emploie la force de travail des prol€taires. La premi‚re forme historique correspond au d€veloppement de l'artisanat et de la petite agriculture, elle permet le d€veloppement des qualifications. Puis la seconde forme, li€e ƒ l'appropriation des moyens de production (voir l'Inclosure Act par exemple) par la bourgeoisie (ou la noblesse), permet l'apparition de la grande industrie, des grandes propri€t€s Histoire du capitalisme 7 agricoles, du salariat et donc de l'ensemble des m€canismes qui fondent le mode de production capitaliste. Appropriation des terres Un acte d'enclosure datant de 1793 Dans le domaine agricole, le syst‚me f€odal perdure longtemps (le servage n'est aboli qu'en 1861 en Russie, ce qui en fait un cas exceptionnel). En 1727, l'Enclosure Act permet aux lords britanniques de s'approprier et de cl‰turer les champs. Auparavant, la propri€t€ revenait aux communes, et les champs €taient exploit€s par l'ensemble des paysans locaux qui profitaient ensemble des r€coltes. Toutefois les premi‚res vagues d'enclosures sont plus anciennes et datent du XVe si‚cle. Les bouleversements qu'elles provoquent marquent d€jƒ les esprits de l'€poque : Thomas More d€nonce d€jƒ dans Utopia (1516) les cons€quences sociales des balbutiements du capitalisme naissant et d€crit un monde alternatif, un nulle part imaginaire marqu€ par un style de vie s'apparentant au communisme. Le long processus des enclosures et l'imposition des droits de propri€t€ sur les champs vont cr€er une distinction nette entre le propri€taire et le salari€ (les anciens petits exploitants devenant les salari€s des landlords). La France connaŽt dans ce domaine un ph€nom‚ne diff€rent au d€but du XIXe si‚cle : le Code Napol€on, qui disperse les terres entre les h€ritiers au moment du d€c‚s, freine le d€veloppement des grandes propri€t€s du capitalisme agricole. En pleine transition d€mographique, cette appropriation est le fait d'un int€r„t nouveau pour le monde agraire de la part des €lites britanniques, qui souhaitent d€velopper une agriculture ƒ haut rendement, et donc lucrative, sur le mod‚le de la Hollande et des Flandres. Cette appropriation entraŽnera imm€diatement une activit€ et des investissements importants, du fait m„me de l'installation des cl‰tures. Sur le mod‚le des Žles britanniques, la propri€t€ priv€e des terres s'€tend ƒ travers l'Europe et les Am€riques, non sans rencontrer des oppositions, notamment morales : … Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : ceci est ƒ moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la soci€t€ civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de mis‚res et d'horreurs n'et point €pargn€s au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le foss€, et cri€ ƒ ses semblables : … Gardez-vous d'€couter cet imposteur ; vous „tes perdus si vous oubliez que les fruits sont ƒ tous, et que la terre n'est ƒ personne ! † † Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'in‚galit‚, 1755 La l€gitimit€ historique du capitalisme agraire se trouve essentiellement dans son effet direct : la R€volution agricole. Comme l'a montr€ Max Weber, l'introduction de l'id€e de profit individuel a permis l'€mergence du rationalisme dans la production, source principale de la productivit€ : … Lorsque les fruits sont ƒ tous et que la terre n'est ƒ personne, la terre ne produit que des bruy‚res et des for„ts. † Jean-Baptiste Say Les progr‚s de l'agriculture capitaliste ont €t€ n€cessaires pour alimenter une population dont la croissance exponentielle (elle passe en Grande-Bretagne de 6 ƒ 18millions entre 1750 et 1850) faisait craindre aux plus pessimistes (Thomas Malthus en particulier) une fin d€sastreuse. Histoire du capitalisme 8 L'avƒnement politique du capitalisme Selon Braudel, le capitalisme ne peut s'€tablir profond€ment que lƒ o‹ les lois le lui permettent et assurent son €panouissement : … Il y a des conditions sociales ƒ la pouss€e et ƒ la r€ussite du capitalisme. Celui-ci exige une certaine tranquillit€ de l'ordre social, ainsi qu'une certaine neutralit€, ou faiblesse, ou complaisance de l'ˆtat. † La Dynamique du Capitalisme La constitution des €conomies capitalistes telles que nous les connaissons a donc suppos€ d'importants changements l€gislatifs instaurant la propri€t€ priv€e du capital et un march€ du travail. Pour Karl Marx, ces changements ne sont que la manifestation de la prise de pouvoir au sein de l'ˆtat de la bourgeoisie, une des €tapes essentielles de la lutte des classes. Propri€t€ priv€e des moyens de production En Grande-Bretagne, le vote de l'Enclosure Act marque l'av‚nement de la propri€t€ priv€e du capital, il est suivi au XIXe si‚cle de la lib€ralisation de l'actionnariat. En 1825, le Bubble Act, qui limitait la taille des entreprises, est abrog€. En 1856, la cr€ation de soci€t€s anonymes est lib€r€e de toute contrainte. C'est le d€but de la domination des th€ories du laissez-faire, souhaitant limiter l'intervention de l'ˆtat dans l'€conomie : id€ologie r€pandue en Grande-Bretagne par les auteurs de l'€cole classique anglaise [1] . L'article XVII de la D‚claration des Droits de l'Homme et du Citoyen En France, suite aux mouvements r€volutionnaires de la capitale, les chŒteaux des campagnes sont assaillis ƒ la fin juillet 1789 par les paysans qui contestent la propri€t€ seigneuriale. Dans la nuit du 4 aot 1789, les privil‚ges de la noblesse sont abolis et la propri€t€ fonci‚re est d‚s lors ouverte ƒ la bourgeoisie, tandis que la disparition de nombreux imp‰ts d'Ancien R€gime permet de (re)lancer l'investissement. Le 26 aot, la propri€t€ priv€e est, … sous les auspices de l'’tre supr„me †, reconnue dans la D‚claration des droits de l'homme et du citoyen comme un droit inali€nable. Aux ˆtats-Unis, depuis la colonisation, la propri€t€ priv€e des terres a €t€ la r‚gle. Toutefois, la l€gislation am€ricaine a pu se montrer tr‚s favorable envers les moins riches et a su, grŒce ƒ l'immensit€ du territoire, faire de la propri€t€ priv€e de la terre une notion fondamentale d€fendue par les plus humbles (non esclaves). Une loi de 1862 accorde en effet la propri€t€ priv€e de 160arpents aux pionniers. Le Homestead Act, en offrant un jardin ƒ cultiver aux Europ€ens d€munis, stimule les flux migratoires vers les ˆtats-Unis. March€ du travail En Grande-Bretagne, les €conomistes classiques de la fin du XVIIIe si‚cle et du d€but XIXe si‚cle vont concentrer leurs critiques sur les lois €tablies afin de permettre l'€mergence de lois favorisant le march€. H€rit€es du XVIIe si‚cle, les poor laws britanniques offraient via les paroisses une assistance aux indigents en leur attribuant un travail dans des workhouses, voire leur faisaient la charit€ de quelques denr€es n€cessaires ƒ leur survie. Les grands classiques de l'€conomie (Adam Smith, Thomas Malthus et David Ricardo) s'acharnent contre ce syst‚me qui emp„cherait la mobilit€ des travailleurs. En 1834, la quasi-abrogation de ces lois contraint les pauvres ƒ se rendre en ville afin d'€viter la famine, en trouvant par la vente de leur force de travail les ressources n€cessaires ƒ leur survie. Cette r€forme intervient cependant ƒ une €poque o‹ le Royaume-Uni a d€jƒ lanc€ sa r€volution agricole puis industrielle et doubl€ sa population au cours du XVIII‚me si‚cle, grŒce notamment au succ‚s des usines de coton, prenant une €norme avance sur le reste du monde, qu'il perd peu ƒ peu ƒ partir de 1850. Histoire du capitalisme 9 En France, la constitution du march€ du travail et la libert€ des capitaux est permise en juin 1791 par la Loi Le Chapelier, qui interdit toute libert€ d'association : corporations, associations et coalitions (c'est-ƒ-dire syndicats et gr‚ves). Aux ˆtats-Unis, c'est le 13e amendement de la Constitution qui abolit l'esclavage le 18 d€cembre 1865, qui conclut la lib€ralisation du travail dans l'ensemble des secteurs d'activit€. Histoire du capitalisme moderne Introduction La machine ƒ vapeur, exemple-type de la n€cessaire concentration des capitaux Alors que la l€gislation favorise la bourgeoisie, la r€volution industrielle s'emballe au d€but du XIXe si‚cle. Les productions de plus en plus importantes en volume, et les produits de plus en plus complexes, n€cessitent des investissements de plus en plus grands. C'est le cas dans l'industrie naissante, mais aussi dans l'agriculture o‹ de grosses machines (les moissonneuses batteuses d‚s 1834) font leur apparition. L'€cart croissant entre le cot de ces machines et les salaires, ainsi que la limitation des biens communs et la duret€ du travail, contribuent ƒ segmenter la soci€t€ en deux groupes bien distincts : les propri€taires du capital, et ceux que Marx appellera plus tard les … prol€taires †. Les usines se d€veloppent, les paysans sont emmen€s de leurs campagnes pour rejoindre les villes et vendre leur force de travail dans l'industrie. En un si‚cle, le triomphe du capitalisme industriel a transform€ une soci€t€ traditionnelle, rurale et agricole, en une soci€t€ urbaine et industrielle. L'exode rural, combin€ ƒ l'explosion d€mographique, a d€peupl€ les campagnes (il est toutefois int€ressant de noter qu'en 1881, plus de 62 % des Fran“ais sont encore des ruraux) et les ouvriers sont venus s'entasser dans les banlieues des grandes cit€s industrielles. Cette concentration humaine, associ€e ƒ la mis‚re ouvri‚re et au ch‰mage de masse (l'… arm€e de r€serve † d€crite par Marx), contribue ƒ l'€mergence de la conscience de classe au sein du prol€tariat. Auparavant une mis‚re agricole au moins €gale, peut-„tre souvent pire n'entraŽnait pas de tels probl‚mes sociaux du fait de l'absence de concentration. Les paysages sont profond€ment transform€s, les … villes champignons † se multiplient, les grands centres €conomiques sont rebŒtis (Paris par Haussmann), les r€gions charbonni‚res sont d€figur€es... Toujours au plan social, le … capitalisme manag€rial † (Alfred Chandler, la Main visible des managers) €mergeant au tournant des deux si‚cles provoque de nouvelles distinctions entre … propri€taires †, … entrepreneurs †, … ouvriers † et … gestionnaires †. D‚s lors, les profits des propri€taires sont de moins en moins l€gitimes et s'apparentent ƒ une rente, car il n'est plus seulement question de la r€mun€ration de leur talent d'entrepreneur. Toutefois, les riches familles de rentiers sont d€pass€es par les entrepreneurs de g€nie d‚s la fin du XIXe (Siemens, Edison, Ford‚ et plus r€cemment Bill Gates), comme le fut en son temps la noblesse. Apr‚s la Seconde Guerre mondiale, une p€riode de forte croissance €conomique, les … Trente Glorieuses † (Jean Fourasti€) en France, am‚ne de nombreuses €conomies du Nord ƒ la soci€t€ de consommation, tandis que s'impose une classe moyenne et que les niveaux de vie ont tendance ƒ s'uniformiser. Histoire du capitalisme 10 Le dernier quart du XXe si‚cle est marqu€ par l'ouverture croissante des march€s financiers et par le nivellement des niveaux de vie. Les petits actionnaires se multiplient, l'actionnariat salari€ se d€veloppe, ainsi que les fonds de pensions dans les pays anglo-saxons. Il semble que dans ses derni‚res €volutions, le capitalisme veuille se montrer comme b€n€ficiant ƒ un plus grand nombre qu'auparavant. Mais surtout, la fin du XXe si‚cle est marqu€e par la chute du syst‚me €conomique alternatif exerc€ dans les pays du … bloc communiste † (dont certains estiment qu'ils constituaient en v€rit€ une forme €tatique du capitalisme[2] ) ayant d€sormais des €conomies de transition. Le capitalisme est alors dominant sous sa forme lib€rale, mais des secteurs avec des modes de fonctionnement diff€rents coexistent (€conomie sociale, €conomie publique, professions lib€rales), celles-ci repr€sentent 50 ƒ 60% du PIB dans les pays d€velopp€s, ce qui rend relatif le poids de l'€conomie capitaliste dans ces soci€t€s. Institution de l'€conomie de march€ Selon Karl Polanyi (La Grande Transformation, Aux origines de notre temps, 1944), l'Occident a connu depuis la fin du XVe si‚cle, une g€n€ralisation des relations de march€. Il note toutefois que la pr€pond€rance de celles-ci sur les relations traditionnelles, bas€es par exemple sur le don, le servage, le travail collectif ‚ ne devient effective qu'au XIXe si‚cle. C'est en effet durant cette p€riode que se met en place en Occident une civilisation dont l'€conomie repose sur le march€ autor€gulateur, l'ˆtat lib€ral, l'€talon-or comme syst‚me mon€taire international, et l'€quilibre des puissances depuis la fin des guerres napol€oniennes. Pour d€crire cette transformation, K. Polanyi reprend l'exemple de l'av‚nement du march€ du travail en Grande-Bretagne. Le syst‚me traditionnel encadrait le travail par d'importantes restrictions juridiques. Les corporations imposaient des r‚gles, davantage bas€es sur la coutume que sur les lois du march€, concernant aussi bien les rapports entre maŽtres, compagnons et apprentis, que les conditions de travail ou les salaires. Ces derniers €taient par exemple annuellement €valu€s par des fonctionnaires. Encore en 1795, des juges de Speenhamland, un village de Grande-Bretagne, avaient d€cid€ d'accorder des compl€ments de salaires, voire un revenu minimum aux indigents. Cette d€cision inspira la Grande-Bretagne enti‚re et l'instauration d'un march€ du travail, bas€ sur l'id€e lib€rale que seul le travail doit „tre source de revenu, se heurtait ƒ l'id€e charitable que quiconque a un … droit de vivre †. Cet obstacle, critiqu€ par les classiques de l'€conomie et certaines philosophes utilitaristes fut finalement lev€ en 1834 avec la disparition des poor laws (cf. supra). Le dogme du march€ autor€gul€ s'impose alors ƒ la Grande-Bretagne (et par la suite au Royaume-Uni), et est compl€t€ par de nouvelles mesures qui vont former un syst‚me coh€rent propice ƒ l'expansion du grand capitalisme. Afin de garantir la r€gulation du march€, on indexe l'€mission mon€taire sur l'encaisse-or en 1844. Cette discipline mon€taire, adopt€e par la plupart des nations dans la seconde moiti€ du XIXe permet la stabilisation, ou l'autor€gulation, des balances des paiements, suivant le principe des points d'entr€e et de sortie d'or. Cette rigueur mon€taire induit une d€flation continue au XIXe qui n€cessite une baisse proportionnelle des salaires nominaux (afin de garantir les profits), que seules les dures lois du march€ peuvent imposer aux travailleurs. De m„me, afin de garantir une stabilit€ du pouvoir d'achat des travailleurs, malgr€ la baisse des salaires nominaux, le libre-€change s'impose comme moyen d'alimenter la baisse des prix par l'importation de produits €trangers ƒ moindres cots, d'o‹ l'abolition des corn laws (lois protectionnistes sur le bl€) en 1846 (cf infra). XIXe €XXe siƒcle : histoire de l'… entreprise † Le capitalisme reste au XIXe si‚cle essentiellement familial (ƒ l'exception de quelques grandes soci€t€s d€jƒ €voqu€es). Les noms des grandes familles industrielles et financi‚res les plus connues de nos jours €voquent toujours cette p€riode : Rothschild, Schneider, Siemens, Agnelli, ‚ C'est dans une optique familiale que se d€veloppe le grand capitalisme : on s'accorde pour €viter la dispersion de l'entreprise entre les h€ritiers, tandis que les … fusions † de l'€poque se font par l'entremise d'alliances matrimoniales. Histoire du capitalisme 11 Dans la seconde partie du si‚cle, une nouvelle bourgeoisie s'impose, non celle des propri€taires mais celle des dipl‰m€s. En France par exemple, les Grandes ˆcoles fournissent l'essentiel des nouveaux entrepreneurs (Armand Peugeot, Andr€ Citro”n, etc.). Mais l'arriv€e de ces dipl‰m€s ƒ la t„te des grandes entreprises ne brise pourtant pas la tradition familiale : … Dans un cas de figure repris souvent dans les romans, l'ing€nieur brillant pouvait succ€der au patron apr‚s avoir €pous€ sa fille. † (Patrick Verley) Dessin d'une usine automobile de la Peerless Motor Car Company ƒ Cleveland (USA) au d€but du XXe Le d€veloppement de la l€gislation sur les soci€t€s anonymes (lib€ralisation totale en 1856 au Royaume-Uni, 1867 en France et 1870 en Prusse), permet progressivement ƒ des capitaux anonymes de se joindre ƒ ceux des grandes dynasties industrielles. Dans Capitalisme, socialisme et d‚mocratie (1942), Joseph Schumpeter pr€voit que ces €volutions juridiques feront ƒ terme disparaŽtre la fonction d'entrepreneur-innovateur et qu'… au romantisme des aventures commerciales d'antan succ‚de[ra] le prosasme †. La disparition de l'entrepreneur, entendu au sens du XIXe si‚cle, m‚ne selon Schumpeter ƒ la disparition de l'initiative capitaliste. L'… €vaporation de la substance de la propri€t€ † nuit ƒ la vitalit€ de l'€conomie, et de par ses succ‚s m„mes, … l'€volution capitaliste, en substituant un simple paquet d'actions aux murs et aux machines d'une usine, d€vitalise la notion de progr‚s †. Finalement, Joseph Schumpeter craint ƒ l'€poque que le capitalisme disparaisse au profit du socialisme. Au XXe si‚cle, les €volutions des productions, la taille des entreprises et la complexit€ de leur gestion poussent de nombreux €conomistes ƒ annoncer la fin du pouvoir des propri€taires du capital au profit des … gestionnaires † (managers). John Kenneth Galbraith pr€voit que le pouvoir au sein de l'entreprise passe … de fa“on in€vitable et irr€vocable, de l'individu au groupe, car le groupe est seul ƒ poss€der les informations n€cessaires ƒ la d€cision. Bien que les statuts de la soci€t€ anonyme placent le pouvoir entre les mains de ses propri€taires, les imp€ratifs de la technologie et de la planification les en d€pouillent pour les transmettre ƒ la technostructure. † On assiste ƒ une … r€volution manag€riale † (corporate revolution), o‹ le manager prend le relais de l'entrepreneur. Les €quilibres entre les diff€rents caract‚res du capitalisme en sont subtilement transform€s : l'objectif essentiel est d€sormais moins le profit (qui pr€occupait l'entrepreneur propri€taire) et les dividendes (soucis de l'actionnaire) que l'agrandissement de l'entreprise et de sa prosp€rit€, dont d€pendent la r€mun€ration et le prestige des managers. L'accumulation du capital devient la nouvelle priorit€. Les €volutions les plus r€centes de l'entreprise traduisent toutefois un retour en force des propri€taires. L'actionnaire redevient la finalit€ de l'entreprise. Il ne s'agit g€n€ralement plus d'un individu, mais souvent de fonds de placement ou de fonds de pensions, ou de banques charg€es de faire fructifier l'€pargne des d€posants, exigeants qu'ils soient petits ou grands. La logique de la … rentabilit€ financi‚re † reprend l'avantage sur celle de la rentabilit€ €conomique. Les plus ƒ m„me de remplir ces nouveaux objectifs restent les managers qui, bien qu'ayant perdu leur pouvoir d'orientation au profit de ce qu'on appelle d€sormais la … gouvernance d'entreprise † (corporate governance), obtiennent des salaires toujours plus importants. Histoire du capitalisme 12 Certains €conomistes contestent cette nouvelle puissance des actionnaires au sein de l'entreprise. Pour Joseph Stiglitz (Quand le capitalisme perd la t…te, 2004) les entreprises sont toujours aux mains des managers et des comptables qui ne fournissent pas aux actionnaires des donn€es r€elles sur la sant€ des entreprises et n'h€sitent pas ƒ voler ces derniers via des manuvres financi‚res incomprises, en particulier la distribution de stock-option. XIXe €XXe siƒcle : capitalisme et salariat La machine contre l'ouvrier ? Une usine de verre de l'Indiana, en 1856, o‹ travaillent entre autres des enfants Cette probl€matique s'illustre d‚s les d€buts de la premi‚re r€volution industrielle. Les modifications du travail et de son organisation engendr€es par l'arriv€e de machines entraŽnent pour les travailleurs une source de ch‰mage, mais surtout de d€qualification. Adam Smith (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776) reconnaŽt que le d€veloppement du machinisme et la division du travail abrutissent les hommes et am‚nent ƒ les consid€rer comme de simples machines devant r€aliser un m„me geste simple toute la journ€e. En 1811, les ouvriers du Nottinghamshire se r€voltent, inspir€s par la l€gende du c€l‚bre Robin des Bois, sous la direction d'un mythique Ned Ludd, pour d€truire les machines, devenues leurs ennemies. Il en fut de m„me en 1831, lors de la … r€volte des Canuts † (ouvriers de la soie Lyonnais). De fait, pour les capitalistes, la machine a longtemps prim€ sur l'Homme. C'est ce dernier qu'on adapte. Lorsqu'un accident le prive d'un bras, on change l'Homme sans s'inqui€ter de l'ad€quation de la machine. Lorsque la machine et certains de ses composants sont d'acc‚s difficiles, on emploie les enfants, dont la taille permet d'aller dans des endroits peu accessibles. D'un point de vue g€n€ral, les €tudes sur longues p€riodes ont montr€ que le r€sultat de l'introduction des machines est plus complexe que l'unique concurrence envers le travailleur, puisqu'elle am‚ne aussi ƒ cr€er de nouveaux postes plus qualifi€s (apparition des ing€nieurs) en parall‚le des anciens postes d'ouvriers. Plus tardivement, les machines ont aussi pu r€duire la p€nibilit€ et la dur€e du travail lorsque leur conception prenait en compte cette approche. Elles ont aussi permis aux hommes d'acc€der ƒ une soci€t€ o‹ les biens sont plus abondants grŒce ƒ l'augmentation de la productivit€. Certains auteurs, enthousiastes face ƒ la forte productivit€ des secteurs primaire et secondaire, confiants en la robotisation, n'h€sitent pas ƒ proph€tiser … la fin du travail † (Jeremy Rifkin, 1996), et encouragent l'av‚nement d'une €conomie essentiellement tourn€e vers les services ƒ la personne (… la production de l'homme par l'homme † selon Robert Boyer). Histoire du capitalisme 13 Les droits sociaux … D€sesp€r€s, r€duits ƒ l'alternative de mourir de faim ou d'arracher ƒ leur maŽtre par la terreur la plus prompte condescendance ƒ leur demande. † Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776 Sous la pression du d€veloppement du mouvement ouvrier et de la question sociale, le l€gislateur va devoir r€agir pour am€liorer les conditions de vie des travailleurs. Des lois vont progressivement am€liorer le temps de travail, les conditions de travail, le premier Œge du travail, l'acc‚s aux soins, ƒ la … retraite †, etc. D‚s 1833 au Royaume-Uni avec le Factory Act, mais de fa“on tr‚s progressive puisque la loi de 1833 ne fait que limiter ƒ 9 h par jour le travail des enfants de moins de 13 ans. Ces progr‚s humains ne se font donc que lentement, et dans le cadre d'un rapport de forces permanent. Cette p€riode voit aussi se d€velopper de nouvelles formes de solidarit€ entre travailleurs qui s'auto-organisent pour faire face ƒ un dur quotidien. Les formes modernes de l'€conomie sociale se d€veloppent en opposition au capitalisme et proposent des services aux salari€s. Dans un premier temps, les premi‚res mutuelles servent ƒ financer les enterrements, puis elles €tendent leur champ d'action au financement des jours de gr‚ves, puis aux cong€s maladie et ƒ la retraite. Certains grands patrons ne seront pas insensibles ƒ la mis‚re du monde ouvrier, et s'illustreront par leur paternalisme, par leur philanthropie et leurs m€thodes de travail tout aussi avant-gardistes que comp€titives. Robert Owen commen“a ainsi ƒ poser les bases du mouvement coop€ratif dans son usine de New Lanark, en proposant ƒ ses ouvriers aussi bien des cours du soir, que des jardins pour leurs enfants. En France, au Creusot, Schneider offre aussi divers services ƒ ses salari€s, sans n€gliger toutefois de faire implanter une caserne. Les salaires Henry Ford Plus tard, Henry Ford comprendra que l'insatisfaction de l'ouvrier, engendr€e par les m€thodes de travail tayloristes, se fait au d€triment de la productivit€, et proposera des salaires bien au-dessus du march€ afin de limiter la rotation du personnel et de fid€liser une main-d'uvre devenue difficile ƒ recruter sur des postes peu valorisants de travail ƒ la chaŽne en une p€riode sans ch‰mage. Cette pens€e se g€n€ralisera et aboutira au … compromis fordiste † des ann€es 1945-1970, p€riode sur laquelle la part des salaires dans la valeur ajout€e va progresser au d€triment de la part relative du profit. Toutefois, la productivit€ toujours accrue des salari€s satisfaits de leurs salaires permet aux profits de s'accroŽtre dans l'absolu : c'est ici qu'apparaŽt l'id€e de compromis. La fin du compromis fordiste, depuis les ann€es 1970 ou 1980 selon les pays, va cependant entraŽner un mouvement inverse toujours en cours, dans lequel la part du profit progresse rapidement au d€triment des salaires

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